20 : Landry

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Tae fait choux blancs. L’artiste peintre semblait n’être personne. Aussi invisible que l’air. Comment c’était-il prit pour tuer ses victimes ? Pourquoi ne tentait-il plus rien depuis des semaines ? Que fallait-il comprendre dans ses agissements ?

Je suivais Jomarie dans les bas-fonds de la capitale, dans les mondes misérables des guetteurs. Je ne comprenais pas bien pourquoi Polie me l’avait fait envoyer à sa place et pourquoi au lieu de me faire passer les infos, je me retrouvais à tourner d’une rue à l’autre, descendant dans les travers de la ville.

Jomarie me guidait en me disant à chaque instant de baisser la tête. Je ressemblais trop à un agent. J’étais trop sur le qui-vive, prêt à braquer mon arme de service sur une ombres. Mais ici il y en avait partout. Sous les ponts, adossées aux façades. Agonisants dans les caniveaux.

— Croyez’le, j’rai préféré faire autrement. Mais Polie n’voulait pas. Il ‘v’lait vous voir.

— Corne velue, allez vous me dire pourquoi il n’a pas pu ?

— C’est qu’il veux pas. Il préfère que vous’le constatiez par vous-même.

Jomarie avait un beau visage, et croire qu’elle n’avait pas vendu son corps serait fermer les yeux sur ses calvaires et sur ce ventre rond qui s’installer, alors quelle n’était pas bien grosse. Si elle avait mon âge c’était le bout du monde.

En me penchant pour pénétrer dans un tunnel, sombre et odorant, je voyais combien la misère était laide. Combien il y avait à faire pour sauver les gens.

Je marchais derrière elle, observateur des maisons de planches et de déchets collées aux parois. La population dans ce tunnel était si jeune. Des enfants qui veillaient sur d’autres enfants.

Lorsque nous sortîmes se fut pour être accueilli par des toiles agencés de sortes à créer un plafond. Les cordes étaient nouées à des branches d’arbres, à des ruines à des bâtisses tremblantes, à tout ce qui pouvait maintenir cette petite ville de guetteur.

— Je ne suis pas bien sûr d’être le bienvenu ici.

— Pourquoi ? Nous n’avons’rien contre les agents. Nous travaillons avec des gens comme vous. Souvent. Ça permet de manger et d’acheter des couvertures.

Elle baissa les yeux sur son ventre.

— Certains profites, mais ceux-là on leur règle leur compte. Vous, Polie a confiance.

— Je suis comme n’importe qui.

— J’crois pas.

Elle me sourit et m’entraina derrière les rideaux d’une tente. Elle était près de plusieurs pousses d’arbustes. Des arbres fruitiers, si je lisais les écriteaux accrochés à leurs branches.

Jomarie se déplaça dans un labyrinthe de couloirs voilé, jusqu’à tirait devant moi un rideau de plume.

— Il est là.

Elle me laissa, disparaissant derrière une autre « porte » volante. Je remarquai, dans ma solitude qu’il n’y avait pas le babillage que l’on peut retrouver dans les rues du centre villes. Non, ici, dans cette cité voilée, il n’y avait que des murmures, des chuchotements. Un moyen de respecter l’environnement de chacun. Il n’y avait aucun mur et pourtant tout restait intime.

— Landry. Approchez. Ne restez pas planté là.

Je me tournai vers la voix murmurante et y trouvai le visage de Polie. Dans son univers plumé, je me fis la réflexion que des vêtements pouvait changer la personne qui les portait. Pas de manteau sombre et rapiécés, rien qui pouvait me le rendre triste et minable. Il portait une chemise brune et une jupe longue comme on voit certain homme à la mode en portait. Ce n’était pas une mode commune. Elle venait d’Espala. Je devinais que Polie était né là-bas. Y avait-il vécu quelques années avant ici ?

Je fixais longuement son vêtement. On l’avait cousu à la main.

— Qu’êtes-vous en train de regarder si attentivement ?

Même aveugle, il devait sentir quand un regard était posé sur lui. Je ne pense pas qu’il a toujours été ainsi. Un jour, il avait vu.

— La personne qui a cousu votre Archape – c’était le nom de la tenue – est douée.

— C’était une jeune fille douée. Je ne peux le nier. Pour avoir pu constater avec mes doigts ses œuvres, je peux vous jurer qu’elle aurait pu s’en sortir et partir d’ici.

— Etait ?

Il hocha la tête. La tristesse et la rage baignaient son visage.

— Je n’ai pas pu venir. Une blessure m’empêche tout mouvement. J’ai des infos pour vous, mais avant, j’ai ceci.

Il tira de sous la nappe de la table basse derrière laquelle il était assis, une enveloppe.

— Ce n’est pas vous qui me corrigeriez sur ce qu’est la vie d’un guetteur. Je suis certain que tu as déjà soulevé un de nos corps sans vie.

Il avait raison. À l’école de police, nous étions sollicités pour aider les agents. J’avais appris que les guetteurs et les mendiant avaient une différence notoire. Les guetteurs avaient un tatouage représentant un chat. Peu importe la forme. Quand il y avait un chat sur le corps d’un mendiant, c’est qu’il s’agissait d’un guetteur.

Il me tendit l’enveloppe. Elle était lourde.

— Confiez-là à votre inspecteur. Il sera quoi en faire et comment punir.

— Qu’est-ce donc ?

— Des preuves.

— De quoi ?

— De la traite d’enfants. Exploitation sexuelle. J’ai trois gars qui sont mort là-bas. Il y a l’adresse. Et j’ai une gamine qui n’en est jamais ressorti.

Il pressa sa main contre son flanc.

— Je ne sais pas ce qu’il est advenue d’elle, mais voilà, si tu peux faire quoi que se soit, s’il n’est pas trop tard, si elle n’a pas été vendu à l’autre bout de monde, si elle n’est pas morte… Elle s’appelle Claïrie, elle a quatorze ans, brune, des yeux noisette. Une voix douce et un talent pour coudre.

Du sang teinta la chemise.

— Vous devriez aller dans un temple dédié aux blessés.

— On ne guérit pas d’une blessure comme la mienne. On en meurt, Landry.

Il se racla la gorge. Je serrai l’enveloppe.

— Pour ton affaire, j’ai envoyé le petit Marlus surveiller ce Maître Morias. Il y a une personne qui le suit et ce n’est pas un policier. Ce n’est pas systématique, mais assez pour lui avoir mis la puce à l’oreille. Il a vu plusieurs fois un homme. Même regard, même façon de se mouvoir, mais jamais le même visage. Il dit que la peau est bizarre. Ton tueur porte des masques. Chose valable, l’homme apparait toujours à un coin d’une rue en particulier.

Il tapa contre la table cinq coup.

Un gamin entra.

— Marlus, voici l’agent Landry. Je te laisse les rennes, gamin. Montre-lui la rue.

Polie soupira avant de se tourner vers moi. Ses yeux voilés me semblèrent s’accrocher aux miens.

— Je ne sais pas ce que cela t’apportera, mais il y a une infime chance de lui tomber dessus. Déguisé, bien sûr. Ne t’avise pas de ressembler à qui tu es. Pour attraper un homme masqué, il faut se masquer aussi.

Ça valait ce que ça valait.

Je déposai un mouchoir sur la table. Ça ne servirait à rien. Le sang s’étalait. Si Polie ne mourrait pas. Il resterait un moment dans sa tente.

Marlus me tira sur la manche. Ses yeux verts me traversèrent.

— On y va. J’n’ai pas qu’ça à faire.

— Sois respectueux, gamin, envoya Polie. Tu pourrais faire affaire avec ce type dans peu de temps. Il paye bien. Mieux que cette comtesse qui traque son mari.

Le gamin fronça les sourcils, avisant les mots de son aîné. Il reposa ses yeux sur moi. M’analysa de haut en bas.

— Tu es jeune… Pour un agent qui vient de terminer ses classes t’es plutôt entreprenant.

— J’ai dit respectueux, Marlus.

Polie sourit.

Et le gamin haussa les épaules.

— Peu importe, viens avec moi. Landry, c’est ça ? Moi c’est Marlus Rougedevert. Si un jour tu dois venir me trouver, je serais ici.

Je laissais les plumes recouvrir l’image de Polie et suivit le gamin. Il devait avoir treize ans. En regardant son dos, je savais qu’il serait mon prochain Polie.

Il me montra la « porte » que Jomarie avait passé des instants plutôt, et je sus qu’il était un des poulains de Polie. Si je lui demandai de me montrer son tatouage, j’étais certain de retrouver le même que celui que j’avais admiré sur la nuque de Polie et sur la cheville de Jomarie.

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