Prologue

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Évangéline

Évangéline Lancaster hurla. Le cri déchira la pièce, secoua les meubles et fit trembler les murs du manoir. Elle n’avait jamais cru que la colère pouvait prendre une telle forme, aussi brute, aussi dévastatrice. Ses mains, tremblantes de rage, se refermèrent sur la lampe à huile qui reposait sur la table de marbre, son reflet dans l’onde dorée de l’huile se brisant en éclats au même instant où elle la lança, sans réfléchir, à travers la pièce. Le verre se brisa contre le mur avec un fracas sourd, une pluie d'huile chaude dévalant le sol de pierre, répandant une lueur orange dans l'obscurité du salon.

"Jamais ! Jamais je n'épouserai cet homme !"

Ses mots, comme des épées, fendirent l'air autour d'elle. Le regard qu’elle porta à son père, assis là, dans son fauteuil trop grand pour lui, sembla glacé, mortel. Il ne bougea pas. Pas une once de surprise ne se peignait sur son visage émacié, malgré le spectacle dont il venait d’être témoin. Sa perruque, trop volumineuse pour son crâne décharné, semblait prête à s'envoler dans le vent, emportant les vestiges de ce qu'il restait de dignité.

"Tu m’as vendue, Père. Comme une marchandise. Une pièce sur l'échiquier de ta carrière."

Il ne répondit rien. Ses yeux bleus, pâles comme un ciel d'hiver, fixaient le vide, indifférents aux flammes qui crépitent désormais sur le sol. Il était resté silencieux tout au long de cette comédie que lui-même avait montée, l'échange de ses projets d'avenir contre la promesse d'une alliance avec un homme qu’Évangéline n'avait jamais vu, un homme dont le nom seul lui hérissait la peau.

Berryl. Le commodore Berryl. Qu’était-il ? Un soldat. Un homme d’honneur. Un homme dont le nom résonnait dans les couloirs de la cour royale comme celui d’un général dont on ne discute pas les ordres. Un homme que son père avait jugé digne de la main de sa fille, sans même lui demander si elle en avait le désir.

Elle posa un pied devant l'autre, haletante, le corps secoué par cette révolte qu'elle ne savait plus comment canaliser. Elle n'était pas un pion. Elle n'était pas un nom à échanger contre des privilèges, contre un titre. Ses pensées, comme des vagues furieuses, balayaient tout sur leur passage, son esprit en ébullition.

"Tu as trahi tout ce que je suis", souffla-t-elle, sa voix pleine de haine et de douleur.

Le gouverneur se leva avec la lenteur d'un serpent prêt à frapper. D’un geste fluide, il passa ses mains derrière son dos, ses doigts longs s’entrelacèrent comme pour sceller un pacte qu'il n'avait pas l’intention de rompre. Puis, sans un regard pour la femme de chambre qui s’efforçait d’éteindre les flammes qui léchaient le tapis, il tourna son visage pâle vers sa fille, les yeux froids et durs comme le cristal.

"Évangéline", commença-t-il d'une voix qui portait toute la rigueur d'une vie consacrée à la discipline et à l'ordre, "Vous avez perdu toute mesure." Ses mots étaient tranchants, nets comme la lame d'un sabre, coupant tout espoir de discussion. "À votre âge, laissez donc de côté ces fantaisies d'aventures et autres fables que vous croyez pouvoir vivre à travers ces romans ridicules." Il fit un geste vague, presque dédaigneux, vers les piles de livres qui jonchaient la table. "Ce sont des distractions d'enfant, rien de plus."

Le silence pesa dans la pièce alors que la lumière de l’âtre dansait sur ses traits petrifiés, presque figés dans l'impassibilité. La femme de chambre, maintenant à genoux, éteignait les dernières braises qui avaient commencé à ronger les bords du tapis. Le bruit de ses gestes semblait lointain, comme un écho étouffé, face à la tension qui emplissait la pièce.

"Il est urgent que vous compreniez la situation, Évangéline", reprit-il, ses yeux se posant enfin sur elle avec cette froideur qu’elle connaissait trop bien. "Rien ne se fait sans mariage, rien ne se fait sans alliances. Vous avez atteint l’âge où votre rôle de femme doit désormais primer. Les rumeurs commencent déjà à se propager, comme un venin. Dans les salons, on susurre des doutes sur votre pureté, murmurant que vous auriez déjà souillé notre honneur."

La jeune femme sentit son cœur se serrer dans sa poitrine, comme une enclume pesante. Il avait dit ces mots sans aucune compassion, sans une once d’humanité. Il les avait lancés, impitoyables, comme des projectiles qu'il savait être destructeurs. Chaque syllabe frappait, chaque accusation creusait un peu plus la fosse sous ses pieds.

"Et si vous voulez un jour rétablir votre honneur, vous n'avez pas d'autre choix, Évangéline. Le commodore Berryl vous tend la main, et c’est lui qui vous sauvera de cette honte."

Un frisson parcourut le corps de la jeune femme. Cependant, une chose était sûre : elle allait lutter jusqu’à la mort pour sa liberté.

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