Chapitre 1
Sebastian
Le vent marin glissait sur le visage du Capitaine Blackwell, jouant avec ses cheveux mi-longs, qu’il repoussa d’un geste paresseux et désinvolte. Le soleil déclinait lentement à l’horizon, jetant des reflets dorés sur les vagues qui s’étendaient à perte de vue, pareilles à une mer de pièces scintillantes. Il plissa les yeux, ses paupières mi-closes lui donnant l'air d'un homme toujours à moitié plongé dans un rêve. Une mouette solitaire poussa un cri quelque part au-dessus de sa tête, comme pour saluer la souveraineté indéniable qu'il exerçait sur cette étendue infinie.
Ses mains, légèrement calleuses, tenaient la barre avec une familiarité intime, chaque rugosité du bois gravée dans sa mémoire. Le Black Tempest gémissait doucement sous la caresse des vagues, ses voiles noires gonflées d’un vent docile qui semblait obéir uniquement au bon vouloir de son capitaine. L’air salé emplit ses poumons, une saveur vive, presque piquante, qui lui rappelait qu’il était exactement là où il devait être : libre, maître de son destin et du moindre soupir de vent qui le portait.
Sebastian inclina la tête, comme s’il écoutait un murmure que personne d’autre ne pouvait entendre. "Ah, ma belle," murmura-t-il, un sourire effronté accroché à ses lèvres. "C’est toi et moi contre le monde, n’est-ce pas ? Toi et moi, et tout ce que ce vaste horizon promet de prendre ou d’offrir."
Un roulis plus fort fit tanguer légèrement le navire, mais le pirate ne vacilla pas. Ses bottes usées s’ancrèrent sur le pont comme des racines, et il se laissa bercer par le mouvement, son corps suivant le rythme naturel de la mer, comme une danse qu’il avait apprise depuis toujours. Le clapotis des vagues contre la coque, le grincement des cordages au-dessus de sa tête, et ce parfum enivrant de bois humide mêlé au sel... Tout cela n’était rien de moins qu’une symphonie. Une symphonie qui n’appartenait qu’à lui.
Il bascula la tête en arrière, laissant l'air frais caresser sa gorge et savourant cet instant comme un homme qui venait de plonger ses mains dans un coffre plein de joyaux. Un cri perça l’air salé, porté par le vent jusqu’à la barre :
"Terre en vue !"
Le Capitaine leva les yeux vers le haut du mât, plissant les paupières dans un mélange d’intérêt feint et de nonchalance calculée. Perché là-haut, le mousse pointait un bras maigre et surexcité vers l’horizon, où une ligne sombre se dessinait à peine dans la lumière vacillante du crépuscule.
"Port-Écarlate," souffla Sebastian, ses lèvres s’étirant en un sourire narquois qui dévoila une rangée de dents inégalement blanches, mais parfaitement charmantes. Il tapa doucement du doigt contre la barre, comme un musicien jouant une note secrète. "Ah, l’endroit rêvé pour finir en charpie, enchaîné dans les profondeurs d’un cachot, ou – pour ceux d'entre nous assez malins – pour se faire une place parmi les légendes."
Il se redressa, prenant une pose théâtrale, une main posée nonchalamment sur sa hanche, l’autre agrippant toujours la barre. Son regard s’égara un instant sur la silhouette lointaine de Port-Écarlate, une ville dont il pouvait presque sentir l’agitation : les cris des marchands, le cliquetis des coffres d’or, et – bien sûr – les sabots des gardes royaux patrouillant lourdement, le regard à l’affût du moindre gueux un peu trop hâlé ou à l’allure douteuse.
"Ahoy, mes braves !" lança-t-il d’une voix forte, tournant sa silhouette théâtrale vers l'équipage, balayant l’air de son bras dans un grand geste, ses bagues étincelant sous la lueur du coucher de soleil. "Voici le paradis des nobles trop pleins de soie et des traîtres trop pleins de bourses !" Il fit une pause, scrutant son équipage du regard, les yeux brillants de malice. "Et j'ose parier qu'ils ne nous ont pas invités à leur petit bal... Non, non. Ce n’est pas du genre à nous envoyer des cartes d’invitation, ces chiens-là."
Il ajusta d’un coup de poignet son veston râpé mais porté avec une arrogance qu’aucun vêtement, même le plus usé, ne pouvait éclipser. Puis, penchant la tête sur le côté, il ajouta avec un haussement de sourcil exagéré : "Enfin, peut-être que leur facteur est un peu lent... Qui sait."
Un éclat de rire rauque s’éleva parmi les hommes, et il en profita pour se pencher un peu plus sur la barre, les yeux rivés sur Port-Écarlate. Plus ils approchaient, plus il distinguait les hauts toits de tuiles rouges, les voiles colorées des navires marchands amarrés, et la lumière des lanternes qui commençaient à parsemer le port comme une guirlande d’or.
"Allons-y, mes loups !" cria-t-il en frappant dans ses mains avec force, l’écho de sa voix résonnant sur l’eau. "Préparez-vous à l’impossible : faire une entrée fracassante, prendre ce qu’on peut et repartir avec plus d’or qu’on en aurait jamais vu."
Son sourire se fit encore plus large, presque carnassier, alors qu’il ajoutait pour lui-même, d’un ton pensif et joueur :
"Enfin, si on sort tout court."
Alors que la ville s’étirait à l’horizon, ses toits d’un rouge éclatant comme des braises au coucher du soleil, le capitaine se redressa à la barre du Black Tempest, ses yeux bruns plissés contre le vent salé. Il humecta ses lèvres avec une satisfaction presque insolente et tapota du bout des doigts le bois usé de la barre, comme si le navire lui-même partageait son enthousiasme.
"Mes rats d’bord ! Voyez-là !" lança-t-il en désignant d’un grand geste le lointain port avec une théâtralité digne d’un dramaturge. "La belle Port-Écarlate, royaume des nobles, des collets montés, et d’ces fichus gardes de la Couronne qui rêvent d’nous passer la corde au cou."
Il inclina la tête, jouant un instant avec une boucle de ses cheveux bruns, et esquissa un sourire en coin, comme s’il discutait avec la mer elle-même. Puis, brusquement, il pivota sur ses talons et s’avança sur le pont d’une démarche chaloupée, le regard flamboyant de malice.
"Alors écoutez-moi bien, bandes de morues sans écailles !" rugit-il en levant les bras pour attirer l’attention. "On n’va pas pointer not’ nez au beau milieu du port, hein ? Non, non, non. Pas cette fois ! Pas après qu’les nobles chiens de la Couronne aient juré qu’ils m’pendraient à la plus haute vergue la prochaine fois qu’ils m’verraient !"
Il fit un geste vague de la main, mimant une explosion invisible au-dessus de sa tête, et ajouta d’un ton léger : "Un canon ou deux, et voilà, fini le Black Tempest. Et entre nous, j’aime beaucoup ce navire. Il est presque aussi beau que moi."
L’équipage éclata de rire, plus nerveux qu’amusés, tandis que Sebastian s’avança en direction du pont.
"Alors, mes braves ! Que fait-on quand on veut arriver incognito dans un port où tout le monde souhaite gentiment nous couper la gorge ? Hmm ? Une idée ? Personne ? Personne."
Il pivota sur lui-même, levant les bras comme pour dire qu’il était seul au monde face à tant de désintérêt intellectuel. Puis, d’un geste théâtral, il claqua des doigts. "Donc, ce qu’on va faire, mes amis – écoutez bien, c’est d’la stratégie d’pirate pur jus, ça ! – on va jeter l’ancre ici, loin des regards indiscrets de ces braves messieurs des douanes. Sortez les canots, préparez les rames, et qu’ça saute ! On passe par la plage, comme d’hab’, vous savez, là où leurs grosses bottes ne s’plaisent pas dans le sable."
Il s’arrêta un instant, scrutant l’équipage de son regard perçant. "Et tâchez d’être discrets, bande d’baleines échouées. La dernière fois, c’était pas des empreintes dans le sable qu’vous avez laissées, c’était une foutue carte au trésor !"
D’un coup de main dramatique, il désigna deux hommes à bâbord. "Toi, ramène-moi cette ancre, et doucement, hein ?! Pas comme cette fois où j’ai cru qu’on allait finir au fond comme un tas d’cailloux !" Puis, se tournant vers un autre : "Et toi, file m’préparer les canots."
Un des hommes hésita un instant avant de marmonner un "Aye, capitaine."
Le bois grinça sous ses bottes tandis qu’il reprenait sa place près du bastingage, observant ses hommes s’exécuter avec une excitation visible. Le capitaine Sebastian Blackwell posa une main sur sa hanche et, avec son sourire rusé habituel, murmura d’un ton conspirateur : "Port-Écarlate… me voilà. Vous pensiez vous être débarrassés de moi, hein ? Grossière erreur."
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