Rien
Tout aurait pu se terminer ainsi, j’aurais pu ouvrir les yeux et me réveiller.
Me retrouver dans mon lit douillet, la tête enfoncée dans l’oreiller – pour le cliché le filet de bave aux lèvres – en train de me remémorer, éberlué mais serein, cet étrange mais ô combien fascinant rêve.
Avec le recul, je pense même que j’aurais pu l’interpréter de mille façons ou l’analyser en tout sens pour, sans aucun doute, y trouver un sens mystique caché.
Mais aurais-je formulé la bonne interprétation ? La téléologie tomberait-elle juste ? Si tout en était resté là, la fin – celle qui bien entendu se dévoilera à vous – aurait-elle eu le même sens ? Prendrait-elle la même tournure ?
Rien n’est moins sûr, juste un détail et la compréhension devient alors tout autre. Un simple fragment, en plus ou en moins, et la transmission est, si ce n’est erronée, divergente.
De toute façon, vous vous en doutez, vous et moi n’en resterons pas là, puisque ce n’est pas qu’un rêve et, qu’à ce stade, il n’y a pas de réveil !
Le sol, que je vous annonçais sentir pour l’instant encore si dur sous mes pieds, devient subitement mou, flasque, lâche, et commence, tel un sinistre sable mouvant, à m’aspirer.
Je peine à esquisser un pas vers elle lorsqu’à ce moment la lumière vacille ; je me réfrène, la clarté jaunâtre en profite pour redevenir pénombre ; surpris et hésitant, me voilà trop englué pour parvenir à me dégager. Ma chance est passée… mais en ai-je seulement eu une ?
Je tente d’agiter les bras, et j’y arrive !
Mais quand il n’y a rien… rien qu’elle, figée sur son nuage piédestal, qui ne montre pas le moindre geste pour me secourir… à quoi bon me cramponner ?
Je m’accroche à son regard, à ses yeux devenus blancs qui ne cillent pas. L’ange qu’elle était s’est transformé en pure statue de marbre.
Alors je cherche, la bouche grande ouverte, à hurler, hurler, hurler, espérant ainsi que ma voix, telle celle de la Castafiore, puisse briser, non pas le cristal, mais la roche qui forcément l’emprisonne !
Dans ce néant omniprésent, ma voix, à l’image de mes efforts, n’a que peu de portée. À croire que tout ne doit rester que silence. Maintenant, le son n’a plus vocation à naître, à exister, à s’extasier ou à s’accoupler. Tout n’est, à ce moment, que silence.
Et obscurité.
Il ne me reste plus qu’à souffrir et à disparaître… dans le calme… dans le noir absolu.
Je ne m’y résous pas, mes bras continuent à s’agiter sur la droite, sur la gauche, d’avant et en arrière, prêts à faire des étincelles, et ma bouche s’agrandit, encore, prête à avaler tout le néant du monde.
Au final rien n’y fait, je continue à m’enfoncer jusqu’à la taille, jusqu’aux épaules, et ma bouche toute grande ouverte sombre à son tour.
Point de matière ne rentre dans ma gorge, le sable mouvant ne restera donc que pure image pour vous représenter mon ressenti. Rien ne s’engouffre, pas même de l’air. Rien ne pénètre, si ce ne sont du désarroi et de la confusion.
Les poumons vides, je n'ai plus qu'à rugir ma peur et à crier ma rage en silence.
Je geins, je geins tandis que je tombe dans ce rien. Car malgré tout, dans ce rien, dans tout cet abîme rien, une gravité m’attire vers le bas… ou sont-ce les tréfonds ?
Et plus que tomber, je chute. Et je tourne, tel un parachutiste condamné qui voit son ultime voile finir en torche. Et le temps perdure. Et ma chute s'éternise, dure une éternité avant que je m’affale.
Sans douleur, sans casse ni égratignure.
Tout aurait encore pu se terminer ainsi ; avec cette sensation de chuter, puis sursauter au moment où, au fin fond de mon lit, la tête collée à l'oreiller, le filet de bave aux lèvres – toujours pour le cliché – la convulsion de ma jambe me réveille.
Mais tout, ou devrais-je dire rien, n'est pas qu’un simple rêve. Ici, j'atterris – si tant est que je sois sur terre – et me retrouve là où On a voulu que j’échoue.
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