Chapitre 8
Ce fut un violent coup d’oreiller qui le tira du sommeil. Il se redressa d’un bond, prêt à répondre à l’attaque, avant de s’apaiser. Mistenna se tenait devant son lit, l’arme du crime à la main, disposée à s’en resservir.
— Allez, lève-toi ! lui lança-t-elle en guise de salutation.
Il écarta les mèches noires sur son visage pâle, l’air confus.
— Mist ? Que fais-tu ici ? coassa-t-il d’une voix rauque encore endormie.
— Je ne suis pas autorisée à me rendre seule au marché, maugréa-t-elle, la mine renfrognée.
Les épaules de son frère s’affaissèrent.
— Tels sont les ordres royaux, poursuivit-elle devant son expression lasse.
— Pourquoi ne pas demander à Mars de t’y accompagner ? Il est sûrement déjà levé.
Il plongea la tête sous son oreiller, désireux de se rendormir. Sans états d’âme, Mistenna jeta sur le lit le traversin qu’elle tenait encore à la main.
— Mars a demandé à Millie de l’aider à choisir sa tenue pour le bal de l’été. Il ne pourra se rendre disponible de tout le matin, ajouta-t-elle d’un ton sans équivoque.
Markus émergea, l’air abasourdi.
— Tu plaisantes ?
Sa sœur se contenta de hausser les épaules. L’aîné poussa un long soupir résigné et hocha la tête en signe de dénégation devant l’expression faussement innocente de sa cadette.
— Fort bien.
Mistenna quitta la pièce en sautillant d’un pas léger, un sourire satisfait aux lèvres cependant que Markus replongeait sous l’oreiller.
Le Château Royal du premier royaume, qui renfermait bien des mystères, regorgeait notamment de passages secrets. Mistenna avait pris l’habitude de les emprunter, par pur caprice ou tout simplement pour échapper aux obligations princières. Certains de ces passages conduisaient directement en dehors de l’enceinte de la bâtisse, tel que celui du deuxième étage. Par chance, c’était l’étage où se situaient les appartements des enfants Primeli, sans doute la raison pour laquelle Mistenna l’avait découvert aussi facilement, bien des années plus tôt. Dissimulé derrière un imposant pot de fleurs judicieusement positionné, il menait tout droit à une sortie étroite au niveau du pont.
À l’instar de son père, la princesse Mistenna ne comptait guère la patience parmi ses qualités et ne s’attarda point pour son frère. Comme elle l’avait anticipé, aucun soldat ne montait la garde sur le pont — les premiers étant postés à l’entrée du Château, des dizaines de mètres à l’arrière. Elle se faufila précautionneusement hors du passage et se rendit au marché en toute liberté.
Le village royal de Primeli ne ressemblait en rien à celui d’Acriona. Plus haut, plus vaste et plus coloré, notamment en raison des innombrables fleurs et plantes ornant les balcons et fenêtres, il avait des allures de véritable ville, à s’étendre, semblait-il, à perte de vue. D’élégantes maisons à pans de bois s’alignaient pour former ruelles et allées le long du sol pavé entièrement achevé. Au cœur des carrefours, croisements et places, les commerçants élisaient résidence plusieurs jours par semaine, sans compter les établissements permanents, tous si fréquentés qu’aucun ne souffrait de la présence de la concurrence. La foule continue de villageois et nobles — hautement concentrée en aristocrates dans cette partie du royaume — déambulant à tout instant de la journée, depuis les premières percées de rayons du soleil jusqu’au crépuscule, se rassemblait çà et là autour du plus offrant ou du plus habile à l’art de la vente. Boucheries, poissonneries, crèmeries, boulangeries, chocolateries, aciéries, forges, caves à vin et tavernes cohabitaient avec les primeurs, tailleurs, bijoutiers, libraires et autres apothicaires qui eux-mêmes partageaient le village avec les commerçants d’instruments de musique, de chaussures, d’argenterie et de porcelaine dans une cacophonie rassurante et familière pour la jeune princesse.
Cette dernière ne s’attarda pourtant point auprès des silhouettes encapuchonnées vendant diverses potions aux propriétés toutes plus étonnantes les unes que les autres, ni même aux alentours des enclos d’animaux et autres créatures sauvages qui attisaient généralement sa curiosité. À la place, elle se fraya un chemin parmi la foule d’adultes qui ne lui auraient pas prêté moins d’attention eût-elle été une simple enfant errante. D’allée en allée, elle poursuivit son trajet jusqu’à une ruelle exigüe, assombrie par l’ombre projetée des maisons rapprochées. Là, le tumulte ténu de la foule distante lui donnait l’impression d’être complètement isolée du reste du village. C’était depuis l’autre extrémité de la ruelle, où le soleil brillait sans encombre, qu’elle avait aperçu ce qu’elle cherchait si ardemment. Le dessin du fruit, grossièrement peint sur le panneau supérieur en bois, avait immédiatement attiré son regard.
Ses cheveux mi-longs d’un noir d’encre voletant dans le dos, Mistenna trottina jusqu’au stand, le bruit de ses bottines en cuir résonnant dans l’allée quasi déserte.
— Excusez-moi, monsieur, je souhaiterais vous acheter des pommes sucrées aux fruits rouges, dit-elle à l’adresse de l’homme affairé derrière le stand.
Se retournant vers elle, ce dernier lui lança un regard perçant. Il la contempla longuement en silence, les yeux de plus en plus plissés. Soudain mal à l’aise, Mistenna recula lentement.
— Je te connais, toi ! s’exclama enfin le commerçant, un sourire se dessinant sur son visage.
Il contourna vivement le stand et s’approcha, le dos aussi courbé qu’un bossu.
— Heu… je ne crois pas, balbutia la jeune fille.
Elle esquissa un mouvement pour prendre la fuite, mais l’homme lui barra la route.
— Si, insista-t-il. Tu es la fille du Roi. Tu dois valoir ton pesant d’or !
— Non. S’il vous plaît, lâchez-moi ! implora Mistenna tandis qu’il lui agrippait fermement le bras.
Il siffla entre des dents jaunâtres et lentemant, des complices émergèrent de l’ombre.
— Je vous préviens, mon grand frère va arriver et vous allez le regretter ! s’écria la jeune fille, les yeux baignés de larmes.
— Ah, oui ? Alors on f’rait mieux de vite t’emmener avec nous, répliqua l’un des complices.
Ses partenaires et lui convergèrent d’un même mouvement autour de la princesse. L’un décrocha la corde à sa ceinture, l’autre un poignard. Mistenna appela au secours de toute ses forces, mais la foule était trop loin. Le faux commerçant qui lui agrippait toujours le bras lui plaqua une main crasseuse sur la bouche tandis que celui à la corde s’efforçait de la maintenir en place pour la ligoter.
Une épée fendit soudain l’air et l’un des complices s’effondra au sol. Alarmés, les autres scrutèrent l’alentour.
— Qu’est-ce que… ?
La lame frappa de nouveau, mais cette fois-ci, tous se jetèrent à terre pour l’éviter. Soudain libre, Mistenna en profita pour se réfugier derrière le stand tout en observant la scène. L’inconnu venu en aide maniait son arme tel un véritable chevalier et combattait deux complices à la fois. Il en désarma un et asséna l’autre d’un puissant coup de pied à la poitrine. Rapidement, il terrassa trois de ses adversaires. L’un fut néanmoins plus rusé que les autres. Il l’attrapa par-derrière et lui sauta sur le dos, donnant à ses camarades encore debout l’opportunité de le poignarder.
Ce fut alors qu’un second épéiste vint à la rescousse. Plus brutal que le premier, il le débarrassa du truand sur son dos en l’attrapant fermement par le col et en le projetant contre le mur d’une des maisons. Il se saisit ensuite d’un autre complice dont il aplatit violemment la tête contre une fenêtre, sans se soucier de la fracture qu’il causa. Puis, il en taillada deux autres d’un même coup d’épée, et avec l’aide du sauveur de Mistenna, estoqua encore trois autres hommes. Enfin, il en resta un dernier qui rampa sur le dos à reculons, terrifié à l’idée d’être le suivant.
— Pitié ! Épargnez-moi ! implora-t-il en sanglotant.
— Vous vous souviendrez, toi et tes infâmes compagnons, de ne plus jamais vous aventurer par ici si vous tenez à la vie ! tonna le second épéiste, le menaçant de sa lame tout en avançant vers lui.
Après des hochements de tête frénétiques, l’homme prit la fuite sans se retourner, abandonnant ses camarades blessés éparpillés sur le pavé.
Mistenna s’extirpa de sa cachette et courut se blottir dans les bras de son frère, occupé à rengainer son arme.
— Mark ! C’est la dernière fois que je fais mon imprudente. Je le promets ! s’écria-t-elle en séchant ses larmes.
L’intéressé se contenta de lui ébouriffer les cheveux. Il s’apprêtait à serrer la main de l’épéiste l’ayant secourue le premier, quand ce dernier ploya le genou, la tête inclinée en signe de respect.
— Prince Markus Primeli du premier royaume du Deyrna, Primeli, fils du Roi Patrem, je suis votre serviteur. Je me nomme Luke Rynkiel. Garde royal au service du roi Zanel du troisième royaume, Acriona.
Il avait reconnu le symbole royal sur le fourreau et la poignée de l’arme de Markus.
— Je te remercie d’être venu en aide à ma sœur et te prie de te relever.
Luke s’exécuta. Les deux jeunes hommes se serrèrent la main.
— Tu me parais bien loin de ton royaume, Luke.
— En effet, Votre Altesse, acquiesça le garde en rangeant son épée dans son fourreau. Merci de m’avoir porté secours.
Mistenna toussota ostensiblement, attirant leurs regards. Elle lança un coup d’œil appuyé à son frère qui devina aussitôt ce qu’elle avait en tête. Relevant la sienne vers Luke, il déclara :
— Je suppose que tu ne connais pas grand monde à Primeli. Je t’offre donc le gîte et le couvert au Château Royal en signe de gratitude.
— C’est bien plus qu’il ne m’est permis d’accepter. Merci, Votre Altesse, mais je vais chercher la modeste hospitalité d’une auberge. Cela me suffira amplement.
— S’il te plaît, Luke, tu m’as sauvé la vie. Laisse-nous t’offrir au moins ça, intervint Mistenna, l’air infiniment reconnaissant.
Le garde parut peser le pour et le contre cependant que le frère et la sœur ne le quittaient pas des yeux. Semblant estimer que séjourner au Château ne le détournerait en rien de la raison de sa venue à Primeli, Luke accepta la proposition. Il ramassa son sac de voyage et son arc — laissés dans un coin en venant secourir Mistenna — et tous trois se mirent en route, parcourant le marché à contre-courant.
Les têtes se retournèrent sur leur passage, s’inclinant respectueusement devant Markus qui leur adressa de sobres sourires.
Bientôt, ils traversaient le pont en pierre menant à l’entrée du Château. Lorsqu’il le vit pleinement, Luke ne chercha pas à masquer son ébahissement. Il leva la tête à s’en rompre le cou pour admirer l’édifice tout à loisir.
Perché au sommet d’une immense colline faisant face au Grand Lac du Nord, de l’autre côté duquel on apercevait les montagnes frontières entre Primeli et Primeor, le Château Royal s’imposait par sa grandeur. Ses nombreuses tours et tourelles donnaient l’impression d’une cathédrale sur le frontispice de laquelle se trouvait l’horloge. Il s’agissait en réalité d’une gigantesque fenêtre à vitraux à la forme peu commune. Circulaire, ses barreaux semblaient avoir été disposés de manière tout à fait aléatoire. En regardant de plus près, Luke s’aperçut qu’ils formaient un « P » rouge énorme, entouré d’un panneau sombre. Chacune des quatre vitres arrondies qu’il découpait par ses barres avait un vitrail d’une couleur différente. Dans le sens des aiguilles d’une montre, les vitraux étaient rouge, jaune, vert et bleu. La fenêtre représentait à la fois le symbole du royaume et les armoiries de la Famille Royale. Elle semblait briller de mille feux sous les rayons du soleil.
Mistenna apprécia avec délectation l’expression subjuguée sur le visage de son invité.
— Je me demandais…, est-il commun pour les héritiers du premier royaume de se promener sans garde ? interrogea Luke en baissant la tête vers Markus.
Ils avaient fini de traverser le pont et parcouraient à présent la cour en gravier entourant l’entrée.
— Pour ma part, je n’ai pas besoin de protection. Et Mist…
— Souhaite que l’on cesse de la traiter comme une enfant ! coupa l’intéressée sur un ton de reproche.
Les gardes postés de part et d’autre de la double porte d’entrée s’inclinèrent respectueusement en les voyant approcher, tandis qu’un élégant jeune homme courrait à leur rencontre.
Grand et très mince, sa chevelure corbeau semblable à celle de Markus et Mistenna, soigneusement coiffée en arrière, recouvrait sa nuque fine. Tous trois avaient également les mêmes yeux bleu nuit et le même teint pâle, alors Luke devina qu’il s’agissait de leur frère.
— Par Ena, où étiez-vous passés ? Il vous faut choisir et essayer vos tenues de bal, s’écria-t-il, tout agité.
— Mist s’est encore attiré des ennuis. Heureusement, Luke ici présent était là pour lui sauver la mise. D’ailleurs, il restera au Château avec nous, répondit calmement Markus.
Lorsque Marsus se tourna vers lui, Luke posa un genou à terre et se présenta comme il l’avait fait pour l’aîné.
— Fort bien, se contenta-t-il de répondre. Millie et les couturiers vous attendent tous les deux dans le salon pourpre, ajouta-t-il à l’adresse de Markus et Mistenna.
— Tu n’as qu’à venir avec nous, Luke. Il te faudra bien une tenue à toi aussi, s’exclama le premier en menant la marche.
*
Accroupie, elle s’était cachée derrière un bloc de pierre. Elle avait beau être à bout de souffle, rien ne l’empêcherait de poursuivre le combat. Rassemblant ses dernières forces, elle se releva pour affronter son adversaire derechef. D’un bond, elle sortit de sa cachette, prête à tirer au moindre mouvement. Le silence qui régnait la gênait : il ne pouvait rien présager de bon. Elle pressa le pas, un sentiment de malaise grandissant au creux de l’estomac. Une goutte de sueur lui perla le long de la tempe. Elle tourna à l’angle du mur et son arme, pointée devant elle, trahit sa position. Son adversaire lui asséna un coup de coude qui la prit par surprise et lui en fit presque lâcher son pistolet laser. Elle se ressaisit rapidement et se baissa, évitant de justesse un crochet du droit destiné à sa mâchoire. Une fraction de seconde s’écoula pendant laquelle les deux se regardèrent avant de se lancer dans une lutte acharnée. Elle esquiva, para et éluda les coups et les rayons lasers lancés par le pistolet ennemi sans jamais véritablement parvenir à prendre le dessus. Son adversaire, se confortant sûrement dans sa prouesse, baissa la garde, lui permettant de donner un puissant coup de tête qui ne parvint pourtant pas à l’assommer. Redoublant d’agressivité, l’autre lui enfonça un genou dans l’estomac avant de la frapper au visage d’un coup de poing. Relevant la tête après avoir perdu l’équilibre, elle constata être de nouveau seule.
Une fois encore, un silence pesant s’abattit sur la pièce. Ses réflexes amoindris par le combat rude, elle tendit tant bien que mal son pistolet laser en avant, résolue à tirer au moindre mouvement brusque.
— Yaaah !
De nouveau surprise, elle ne vit pas arriver son adversaire qui en profita pour la gratifier d’un coup de pied aérien en pleine colonne vertébrale. Une solide corde accrochée au plafond lui avait concédé l’avantage, justifiant le cri de victoire poussé.
La jeune femme tomba brutalement sur le ventre, son arme lui échappant des mains. Elle roula sur elle-même pour se mettre sur le dos et regarder en face le visage dont l’air exultant lui donna la nausée.
Se laissant tomber de sa corde, l’autre s’approcha et l’immobilisa d’un pied sur la poitrine.
— Règle numéro deux : ne jamais tourner le dos à son adversaire.
Sa main tendue aida la perdante à se relever.
— Mais au moins, tu fais des progrès.
— Y’a pas une règle qui stipule qu’on n’attaque jamais par-derrière ? s’indigna la vaincue, les sourcils froncés.
Elle épousseta sa combinaison noire rendue poussiéreuse par le combat intensif. Elle ramassait son arme, restée au sol, quand on sonna à la porte d’entrée, les faisant toutes deux sursauter.
— Papa n’avait pas dit qu’on ne recevrait pas de visite pendant son absence ?
— Si. Tu crois que c’est un piège ? demanda la perdante, soudain alerte.
— Je vais voir. Reste là.
— Il n’en est pas question, Roxanne. Sinon à quoi servent toutes nos heures d’entraînement ?
L’on sonna de nouveau.
La dénommée Roxanne, sachant pertinemment que sa sœur ne renoncerait pas, céda et l’autorisa à l’accompagner, non sans avertissement.
— Très bien, tu viens en renfort. Tu ne te montres que si nécessaire.
L’autre acquiesça. Elle emboîta le pas à Roxanne lorsqu’elle monta précautionneusement l’escalier de la cave menant à un long couloir étroit à l’arrière du salon. La première ouvrit lentement la porte, le cœur battant à tout rompre et le dos courbé, imitée par sa sœur. À l’autre bout de la pièce, une haute silhouette sombre se dessinait derrière la porte d’entrée au verre dépoli. Une goutte de sueur lui perlant sur la tempe, Roxanne fit signe à sa cadette de se cacher derrière le canapé tandis qu’elle dégainait son arme en s’approchant prudemment du mur. Elle y plaqua le dos et se releva de tout son long, sans quitter des yeux la porte à laquelle on sonna une troisième fois. Elle prit une profonde inspiration et l’ouvrit brusquement, prête à tirer.
— Bonjour ! Qu’est-ce que… ?
Une expression de soulagement lui traversa le visage.
— Oncle Faux ! s’exclama-t-elle d’une voix faible.
— Roxanne. En voilà des manières de saluer sa famille !
Le ton faussement réprobateur et l’expression outrée firent esquisser un sourire à sa nièce.
— Désolée. C’est juste que papa nous a dit de n’attendre aucune visite, expliqua-t-elle en rangeant son arme dans l’une des attaches de sa ceinture. Tu peux sortir Raven, c’est oncle Faux.
Sans se faire prier, sa sœur se montra et rangea précipitamment son pistolet laser à son tour.
— Salut, oncle Faux, le salua-t-elle, un sourire coupable aux lèvres. Comment ça va ?
Roxanne fit un pas de côté pour le laisser entrer et referma la porte derrière lui.
— Mieux, maintenant que je sais que vous vouliez m’achever ! Je ne savais pas que votre père vous laissait déjà utiliser des armes, répondit-il en prenant place sur un fauteuil.
— Tu ne nous avais pas prévenues que tu étais à Primeli, s’étonna Roxanne, tentant tant bien que mal de changer de sujet.
Elle s’assit sur le canapé aux côtés de Raven.
— Oui, les garçons et moi séjournons dans une auberge en ville pour quelques semaines. J’ai pensé venir vous dire bonjour.
— Il t’a demandé de vérifier qu’on pouvait s’en sortir seules, n’est-ce pas ? demanda Raven, d’un ton irrité. C’est dingue, il ne nous fait pas confiance !
— Si, au contraire. Et quand bien même ce serait le cas, c’est votre père. Il a tout à fait le droit de s’inquiéter.
Faux lui lança un regard attendrissant de ses pénétrants yeux verts, et elle se renfrogna, bras croisés et sourcils froncés.
— Comment vont les garçons ? demanda Roxanne pour dissiper le silence gênant qui s’était installé.
— Très bien. J’ai enfin accepté de les laisser piloter les vaisseaux du garage. Ils étaient ravis. Lynx se débrouille très bien, d’ailleurs.
— J’en doute pas une seule seconde, grommela Raven. J’imagine qu’on connaîtra aussi ce plaisir quand on pourra aller en mission… dans une dizaine d’années !
Faux ne put s’empêcher de remarquer à l’expression de Roxanne qu’elle partageait l’avis de sa sœur, bien que maladroitement exprimé.
— Ah, les filles. Toi, Raven, tu as beau avoir les mêmes cheveux châtain foncé que ta mère, tu as hérité du tempérament volcanique de ton père. Et toi, Roxanne, il t’a légué sa chevelure châtain clair et ta mère, sa maturité. Et je constate vous partagez toutes deux la même attirance pour la spécialité familiale. Si différentes et pourtant si semblables. Je sais que vous avez grandi et que vous n’êtes plus des petites filles, mais vous ne vous rendez pas compte de la dangerosité du travail de votre père. C’est sans doute mieux ainsi. Il ne cherche pas à vous infantiliser ou à vous brider, simplement à vous protéger.
— Si seulement il était là plus souvent pour nous l’expliquer lui-même, répliqua Raven la tête tournée sur le côté.
Faux soupira.
— Il vous manque, je sais. Mais il n’est jamais bien loin de vous, malgré tout, car il pense toujours à vous et à votre sécurité.
Il leur lança à toutes deux un nouveau regard pénétrant en insistant sur la plus jeune, qui refusait toujours de le regarder dans les yeux. Il sembla un instant perdu dans ses pensées, puis leur sourit d’un air compatissant.
— Bon, je ne veux pas vous embêter plus longtemps. J’ai des choses à régler, de mon côté. Nous passerons peut-être vous emmener voir le rallye de vaisseaux si on arrive à avoir des places.
Il se leva et se dirigea vers la porte, suivi par Roxanne. Elle lui ouvrit, et il lui déposa un baiser sur le front avant de s’exclamer :
— Je rangerais ces armes si j’étais vous. Il ne faudrait pas que vous vous blessiez.
— Promis, lui répondit-elle en souriant.
Il leur fit un clin d’œil et s’éloigna en direction de son vaisseau, au bout de l’allée. Elle le regarda démarrer et attendit qu’il s’envolât au loin avant de refermer la porte. Elle se tourna ensuite vers sa sœur, immédiatement attendrie par son air renfrogné qui la poussa à essayer de lui remonter le moral.
— Prête pour une revanche ?
Raven esquissa un sourire malgré elle et dégaina son arme, soudain de meilleure humeur. Roxanne lui laissa quelques secondes d’avance avant de se lancer à sa poursuite dans la cave, où se trouvait leur terrain d’entraînement.
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