Chapitre 3 - Partie 2

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Accroupie, elle s’était cachée derrière un bloc de pierre. Elle avait beau être à bout de souffle, rien ne l’empêcherait de poursuivre le combat. Rassemblant ses dernières forces, elle se releva pour affronter son adversaire derechef. D’un bond, elle sortit de sa cachette, prête à tirer au moindre mouvement. Le silence qui régnait la gênait : il ne pouvait rien présager de bon. Elle pressa le pas, un sentiment de malaise grandissant au creux de l’estomac. Une goutte de sueur lui perla le long de la tempe. Elle tourna à l’angle du mur et son arme, pointée devant elle, trahit sa position. Son adversaire lui asséna un coup de coude qui la prit par surprise et lui en fit presque lâcher son pistolet laser. Elle se ressaisit rapidement et se baissa, évitant de justesse un crochet du droit destiné à sa mâchoire. Une fraction de seconde s’écoula pendant laquelle les deux se regardèrent avant de se lancer dans une lutte acharnée. Elle esquiva, para et éluda les coups et les rayons lasers lancés par le pistolet ennemi sans jamais véritablement parvenir à prendre le dessus. Son adversaire, se confortant sûrement dans sa prouesse, baissa la garde, lui permettant de donner un puissant coup de tête qui ne parvint pourtant pas à l’assommer. Redoublant d’agressivité, on lui enfonça un genou dans l’estomac avant de la frapper au visage d’un coup de poing. Relevant la tête après avoir perdu l’équilibre, elle constata être de nouveau seule.

Une fois encore, un silence pesant s’abattit sur la pièce. Ses réflexes amoindris par le combat rude, elle tendit tant bien que mal son pistolet laser en avant, résolue à tirer au moindre mouvement brusque.

— Yaaah !

De nouveau surprise, elle ne vit pas arriver l’autre qui en profita pour la gratifier d’un coup de pied aérien en pleine colonne vertébrale. Une solide corde accrochée au plafond lui avait concédé l’avantage, justifiant le cri de victoire poussé.

La jeune femme tomba brutalement sur le ventre, son arme lui échappant des mains. Elle roula sur elle-même pour se mettre sur le dos et regarder en face le visage dont l’air exultant lui donna la nausée.

Se laissant tomber de sa corde, l’autre s’approcha et l’immobilisa d’un pied sur la poitrine.

— Règle numéro deux : ne jamais tourner le dos à son adversaire.

Une main tendue aida la perdante à se relever.

— Mais au moins, tu fais des progrès.

— Y’a pas une règle qui stipule qu’on n’attaque jamais par-derrière ? s’indigna la vaincue, les sourcils froncés.

Elle épousseta sa combinaison noire rendue poussiéreuse par le combat intensif perdu. Elle ramassait son arme restée au sol quand on sonna à la porte d’entrée, les faisant toutes deux sursauter.

— Papa n’avait pas dit qu’on ne recevrait pas de visite pendant son absence ?

— Si. Tu crois que c’est un piège ? demanda la perdante, soudain alerte.

— Je vais voir. Reste là.

— Il n’en est pas question, Roxanne. Sinon à quoi servent toutes nos heures d’entraînement ?

L’on sonna de nouveau.

La dénommée Roxanne, connaissant sa sœur par cœur et sachant pertinemment qu’elle ne renoncerait pas, céda et l’autorisa à l’accompagner, non sans avertissement.

— Très bien, tu viens en renfort. Tu ne te montres que si nécessaire.

L’autre acquiesça. Elle emboîta le pas à Roxanne lorsqu’elle monta précautionneusement l’escalier de la cave menant à un long couloir étroit à l’arrière du salon. La première ouvrit lentement la porte, le cœur battant à tout rompre et le dos courbé, imitée par sa sœur. À l’autre bout de la pièce, une haute silhouette sombre se dessinait derrière la porte d’entrée au verre dépoli. Une goutte de sueur lui perlant sur la tempe, Roxanne fit signe à sa sœur de se cacher derrière le canapé tandis qu’elle dégainait son arme en s’approchant prudemment du mur. Elle y plaqua le dos et se releva de tout son long, sans quitter des yeux la porte à laquelle on sonna une troisième fois. Elle prit une profonde inspiration et l’ouvrit brusquement, prête à tirer.

— Bonjour ! Qu’est-ce que… ?

Une expression de soulagement lui traversa le visage.

— Oncle Faux ! s’exclama-t-elle d’une voix faible.

— Roxanne. En voilà des manières de saluer sa famille !

Le ton faussement réprobateur et l’expression outrée firent esquisser un sourire à sa nièce.

— Désolée. C’est juste que papa nous a dit de n’attendre aucune visite, expliqua-t-elle en rangeant son arme dans l’une des attaches de sa ceinture. Tu peux sortir Raven, c’est oncle Faux.

Sans se faire prier, sa sœur se montra et rangea précipitamment son pistolet laser à son tour.

— Salut, oncle Faux, le salua-t-elle, un sourire coupable aux lèvres. Comment ça va ?

Roxanne fit un pas de côté pour le laisser entrer et referma la porte derrière lui.

— Mieux, maintenant que je sais que vous vouliez m’achever ! Je ne savais pas que votre père vous laissait déjà utiliser des armes, répondit-il en prenant place sur un fauteuil.

— Tu ne nous avais pas prévenues que tu étais à Primeli, s’étonna Roxanne, tentant tant bien que mal de changer de sujet.

Elle s’assit sur le canapé aux côtés de Raven.

— Oui, les garçons et moi séjournons dans une auberge en ville pour quelques semaines. J’ai pensé venir vous dire bonjour.

— Il t’a demandé de vérifier qu’on pouvait s’en sortir seules, n’est-ce pas ? demanda Raven, d’un ton irrité. C’est dingue, il ne nous fait pas confiance !

— Si, au contraire. Et quand bien même ce serait le cas, c’est votre père. Il a tout à fait le droit de s’inquiéter.

Il lui lança un regard attendrissant de ses pénétrants yeux verts, et elle se renfrogna, bras croisés et sourcils froncés.

— Comment vont les garçons ? demanda Roxanne pour dissiper le silence gênant qui s’était installé.

— Très bien. J’ai enfin accepté de les laisser piloter les vaisseaux du garage, ils étaient ravis. Lynx se débrouille très bien, d’ailleurs.

— J’en doute pas une seule seconde, grommela Raven, j’imagine qu’on connaîtra aussi ce plaisir quand on pourra aller en mission… dans une dizaine d’années !

Faux ne put s’empêcher de remarquer à l’expression de Roxanne qu’elle partageait l’avis de sa sœur, bien que maladroitement exprimé.

— Ah, les filles. Toi, Raven, tu as beau avoir les mêmes cheveux châtain foncé que ta mère, tu as hérité du tempérament volcanique de ton père. Et toi, Roxanne, il t’a légué sa chevelure châtain clair et ta mère, sa maturité. Et je constate vous partagez toute deux la même attirance pour la spécialité familiale. Si différentes et pourtant si semblables. Je sais que vous avez grandi et que vous n’êtes plus des petites filles, mais vous ne vous rendez pas compte de la dangerosité du travail de votre père. C’est sans doute mieux ainsi. Il ne cherche pas à vous infantiliser ou à vous brider, simplement à vous protéger.

— Si seulement il était là plus souvent pour nous l’expliquer lui-même, répliqua Raven la tête tournée sur le côté.

Faux soupira. Il comprenait ce qu’elles éprouvaient.

— Il vous manque, je sais. Mais il n’est jamais bien loin de vous, malgré tout, car il pense toujours à vous et à votre sécurité.

Il leur lança à toutes deux un nouveau regard pénétrant en insistant sur la plus jeune, qui refusait toujours de le regarder dans les yeux. Il sembla un instant perdu dans ses pensées, puis leur sourit d’un air compatissant.

— Bon, je ne veux pas vous embêter plus longtemps. J’ai des choses à régler, de mon côté. Nous passerons peut-être vous emmener voir le rallye de vaisseaux si on arrive à avoir des places.

Il se leva et se dirigea vers la porte, suivi par Roxanne. Elle lui ouvrit, et il lui déposa un baiser sur le front avant de s’exclamer :

— Je rangerais ces armes si j’étais vous. Il ne faudrait pas que vous vous blessiez.

— Promis, lui répondit-elle en souriant.

Il leur fit un clin d’œil et s’éloigna en direction de son vaisseau, au bout de l’allée. Elle le regarda démarrer et attendit qu’il s’envolât au loin avant de refermer la porte. Elle se tourna ensuite vers sa sœur, immédiatement attendrie par son air renfrogné qui la poussa à essayer de lui remonter le moral.

— Prête pour une revanche ?

Raven esquissa un sourire malgré elle et dégaina son arme, soudain de meilleure humeur. Roxanne lui laissa quelques secondes d’avance avant de se lancer à sa poursuite dans la cave, où se trouvait leur terrain d’entraînement.

Les membres du Conseil Royal se turent aussitôt que l’on frappa à la porte. Un serviteur pénétra dans la pièce après y avoir été autorisé par la voix forte du Roi Patrem. Il s’inclina respectueusement puis lui glissa un mot à l’oreille. Le Roi hocha la tête cependant que le serviteur repartait déjà.

— Le Conseil est levé, mes seigneurs.

Sans plus d’amples explications à l’adresse du Conseil, il quitta les lieux, immédiatement accompagné des gardes postés à l’extérieur de la salle.

— Bien, si ma présence n’est plus requise, je vous laisse, mes amis, s’exclama le seigneur Dives en adressant un sourire au seigneur Pécunia, qui ne jugea pas indispensable de lui rendre.

Un à un, les seigneurs se retirèrent.

Quatre étages plus bas, le Roi ouvrit la porte de son bureau personnel, dans lequel l’attendait un homme grand et solide, droit comme un « I ». Il revêtait une combinaison de combat noire comportant plusieurs attaches auxquelles s’accrochaient armes diverses et variées. Il affichait un visage sérieux et imperturbable sous une courte chevelure châtain clair. Il inclina solennellement la tête lorsque le Roi entra, et prit place sur le fauteuil en face du secrétaire, une fois y avoir été invité.

— Vous rentrez bien tôt, Bex, commenta Patrem en s’asseyant lui-même sur le fauteuil en cuir rouge sang en forme de trône derrière son bureau. Comment sont les nouvelles ?

— Mauvaises, j’en ai bien peur, Votre Majesté. Oneira est tombée. La révolte a perdu.

Patrem se servit un verre de cognac dont il but une longue gorgée, l’air accablé.

— Qu’avez-vous découvert ? s’enquit-il.

— C’était bien un coup d’état, comme vous le craigniez. Organisé par le seigneur Dito…

— Dito ? l’interrompit-il en manquant de s’étrangler.

Il toussa et crachota quelques gouttes, les joues soudain rouges. Bex esquissa un mouvement pour se lever et lui venir en aide, mais le Roi l’arrêta d’un simple geste de la main.

— Tout va bien, articula-t-il en inspirant de grandes bouffées d’air, j’ai simplement avalé de travers. Dito, dites-vous ? Mais pourquoi ?

— C’est encore trop tôt pour le déterminer, Votre Majesté. Tout ce que nous avons réussi à découvrir pour l’instant c’est qu’il s’est fait proclamer nouveau roi d’Oneira. Il avait plus de la moitié des hommes du roi Asteri avec lui. Je pense que le coup était prémédité depuis des semaines, sinon des mois.

— Et… qu’en est-il des Cornella ? demanda Patrem en redoutant la réponse.

Bex prit son temps pour répondre. À l’évidence, il lui en coûtait d’annoncer la nouvelle.

— Le roi Asteri et la reine Estrella ont été assassinés dans leur calèche au moment où ils se rendaient au Festival des Cascades, Votre Majesté.

Une lourde pause suivit.

— Et leur enfant ?

— La princesse Stella reste introuvable. Personne ne sait rien de son sort, hormis qu’elle n’était pas avec eux.

Patrem se leva et se mit à faire les cent pas, les mains dans le dos, les sourcils froncés. Une dizaine de minutes plus tard, il lança depuis l’autre bout de la pièce :

— J’aurai encore besoin de vous au Château, Bex. Vos hommes ont fait un travail admirable. Il me faut un peu de temps pour réfléchir. Je ne peux vous laisser repartir sur votre pôle tout de suite. Ce sera tout pour le moment, merci.

— Votre Majesté, salua Bex en sortant du bureau après avoir incliné la tête.

— Nous devons nous montrer intelligents et pragmatiques face à toute cette affaire, Votre Majesté. Primeli ne peut s’offrir le luxe de laisser Primeor le dominer sur le plan économique. Avoir un allié de poids dans le Sud est primordial. Si nous voulons continuer à bénéficier du privilège du commerce avec Oneira, nous nous devons de soutenir le nouveau régime, conseilla le seigneur Pécunia, un quart d’heure plus tard, assis sur la chaise qu’occupait Bex avant lui.

Patrem l’avait convoqué pour le tenir informé des nouvelles que venait de lui apprendre le général de sa division d’espions. Il écoutait attentivement son avis, lui-même incapable de décider de la bonne démarche à adopter.

— Dito… conseiller personnel du roi. Traître ! s’exclama-t-il soudain. Il avait les avantages du pouvoir sans les inconvénients. Pourquoi trahir son royaume ainsi ?

— Ceux qui gravitent autour du pouvoir sans le posséder vraiment ne se rendent jamais véritablement compte de leur chance, je le crains, Votre Majesté. Au lieu de cela, ils passent leur vie à échafauder des stratagèmes douteux et à envier la place du vrai monarque.

Patrem lui lança un regard foudroyant teinté de méfiance. Pécunia s’empressa d’incliner la tête :

— Ce n’est guère mon cas, bien évidemment, Votre Majesté. Je n’ai aucun intérêt à diriger. Conseiller me convient tout à fait. Pour en revenir à Oneira…

— Je me rappelle très bien ce que vous disiez sur Oneira ! coupa sèchement Patrem. Mais comment pourrais-je soutenir un roi qui a massacré une partie de sa population et ses dirigeants légitimes pour subtiliser le pouvoir ? Pour quel genre de roi passerais-je auprès de mon propre royaume ?

— Des guerres sont déclarées toutes les décennies, Votre Majesté. Vous ne pouvez vous arrêter à celle-ci simplement parce qu’…

— … parce qu’elle serait la première depuis la Guerre du Nord, acheva Patrem, les yeux dans le vide. Depuis douze ans, la paix règne sur le Deyrna grâce à moi.

— La paix n’est qu’une période de temps délimitée par deux guerres, Votre Majesté. Vous avez le pouvoir de repousser la seconde extrémité en reconnaissant le nouveau régime de Dito et d’assurer à un plus grand nombre d’innocents une période de paix dont ils n’auront peut-être jamais à connaître la fin.

— Les fidèles à la couronne d’Oneira m’abhorreront.

— Beaucoup ont fui le soir du massacre, beaucoup d’autres ont péri.

De nouveau, le Roi se leva de son siège et se mit à faire les cent pas, mains dans le dos, lèvres marmonnant des paroles inaudibles.

— Bien entendu, il faudrait s’assurer que Dito ait à cœur d’entretenir les relations qui lient Primeli et Oneira.

— Il serait fou de ne pas les avoir.

— Comme il est fou d’avoir trahi son royaume une première fois... Et la princesse Stella ?

— Votre Majesté ? demanda Pécunia, les sourcils légèrement froncés.

— J’ai été informé qu’elle restait introuvable. Et si l’on venait à la retrouver ? Si on l’aidait à récupérer son royaume ?

— Ses habitants les plus malins auraient raison de proclamer haut et fort leur allégeance au roi Dito. Qui sait en qui avoir confiance par ces temps troubles ? Après tout, la moitié de son armée l’a trahie.

— Vous avez raison, mon cher Pécunia. Mais je me demande : qu’avait Dito à offrir aux soldats qui les intéressa au point de commettre un régicide ?

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