Origines
Le jour où le drame est arrivé, je n'avais pas plus de 10 ans. Je ne pourrai jamais oublier ce qui s'est produit, comme tous les drames qui vous traumatisent à vie.
J'étais à l'école à ce moment-là. Nous étions mélangés entre enfants d'une multitude d'espèces qui vivaient en paix. Quand je repense à ces instants, je me dis que nous étions heureux, insouciants du drame qui allait se produire. Nous étions tous affairés à nos tâches, sans imaginer quoi que ce soit. Je me rappelle que je rêvais d'ailleurs déjà à l'époque et que je me faisais souvent gronder parce que j'avais la tête dans la lune.
Du haut de mes dix ans, je me voyais déjà sur un voilier naviguant aux 4 coins du monde sans jamais m'arrêter, allant d'île en île à la découverte du monde. Il y avait tellement de choses à découvrir que je m'imaginais être un marin voguant sur l'océan. De ce que je me rappelle, j'avais toujours été attirée par la mer. Et comble de l'ironie, c'est elle qui m'avait tout pris.
Je fixais l'océan du regard par la fenêtre. Il paraissait bizarrement agité aujourd'hui. Au début je n'avais rien remarqué d'alarmant, il arrivait de par cette saison que les eaux soient tumultueuses et que de grandes vagues viennent fracasser les côtes environnantes. Au dehors, le temps s'était gâté et les habitants regardaient le ciel avec inquiétude, comme s'ils s'attendaient à de fortes précipitations pouvant provoquer de terribles dégâts. Mais la plupart se voulaient rassurants, nous étions préparés.
Certains signes ne présageaient pourtant rien de bon. Les oiseaux volaient furtivement en direction des terres, fuyant la mer. Se préparait-il une catastrophe ? On pouvait lire la peur et l'incompréhension sur les visages des habitants de Genesis ; des Ergiliens, de grands reptiles aux écailles argentés se déplaçant à l'aide de quatre grandes pattes musclées, en passant par les Atmanciens, des elfes aux ailes de dragons mesurant plus de 2m, aux Valryn, de petites fées voltigeant dans les aires et produisant des sons enchantés.
Genesis était l'unique endroit à la surface du globe où les habitants de tout peuple pouvaient se retrouver en paix. D'un point de vue statutaire, Genesis possédait un statut d'indépendance totale qui lui permettait de vivre en autarcie sans avoir à craindre de dépendre de ses voisins. Le pays s'était construit il y a quelques décennies, ce qui remettait parfois sa légitimité en doute face à des territoires ancestraux qui revendiquaient leurs droits sur le sol génisien. Mais jamais Genesis n'avait subi la loi de ses voisins et ce notamment grâce à des alliances stratégiques, à la fois économiques et politiques.
Genesis n'était pas seulement un havre de paix. C'était un véritable paradis pour les yeux de tous les touristes qui affluaient du monde entier pour en découvrir les charmes. Genesis était une ville à l'image de ses habitants, cosmopolite. Les quartiers se succédaient, se mélangeant de couleurs et de style pour créer une harmonie parfaite. C'est en tout cas comme ça que mes yeux d'enfant le percevaient en ce temps. Mais je crois que j'étais loin d'être la seule à le penser. Je me rappelle des regards émerveillés de la foule devant les teintes châtoyantes des ruelles de la ville, face aux fontaines dont coulait de l'eau brillant tel des éclats de diamant ou encore devant les immenses bâteaux amarés au port, des minuscules bâteaux de pêche revenant du large aux paquebots luxueux des riches citadins qui vivaient dans les hauteurs de la cité.
Mais ce jour-là, les bâteaux n'étaient pas revenus. Et cela annonçait le pire. Nous étions préparés à faire face aux tempêtes, nous rendant dans ces cas soit en hauteur pour être à l'abri ou bien dans des abris sousterrains, sorte de bunkers, pour affronter toute catastrophe. Mais nous n'avions pas prévu ce qui allait arriver. Qui aurait pu en même temps ?
En l'espace de quelques minutes, la situation avait tourné à l'apocalypse. Les premiers incidents furent de constater les tuiles arrachées des maisons, la végétation volant en tout sens, de simples plantations d'abord. Puis ce fut ce pire en pire avec des arbres qui furent projetés dans les airs, percutant au passage de pauvres malheureux qui n'avaient pu les éviter. Et bientôt, ce furent des voitures, des bouts de maison qui partirent en éclat dans un vacarme impossible alors que le ciel grondait et que le vent soufflait, hurlant tel un homme agonisant au combat. Mais c'était bien les passants qui criaient de terreur, simple spectateurs de la catastrophe qui se produisait.
Et c'était la loi du plus fort, chacun pensant à soi-même avant de penser aux autres, cherchant à échapper à l'inévitable. Au calme avait succédé le chaos. Nous étions sortis mes camarades et moi de la classe, cherchant à nous réfugier dans l'un des abris construits pour éviter ce type de menace. Mais de tout temps, nous n'avions jamais eu à affronter la mort elle-même.
Nous rejoignions l'abri quand nous fûmes interrompus dans notre élan par un râle effroyable qui me glaça le sang à tel point que j'en fus pétrifiée, scotchée au sol. Le monde sembla s'arrêter l'espace de quelques secondes, les regards apeurés pointés en direction du hurlement qui venait de jaillir en direction de l'océan. Et c'est là que je la vis. La bête.
Elle mesurait littéralement la taille d'un immeuble. Elle devait facilement approcher les 30m. Ses grands yeux noirs nous observaient avec une fureur que je ne saurais su décrire, comme si nous l'avions mis hors d'elle. Elle n'avait rien de commun à ce que tous les mythes et légendes racontaient sur les créatures d'autrefois. Dans ces histoires à faire frémire les enfants, on nous racontait autrefois que des divinités avaient foulé le sol de la planète et qu'elles avaient disparu depuis bien longtemps. Cela coïncidait avec l'arrivée des premiers hommes.
Mais cette créature, malgré sa rage affichée, avait quelque chose d'étrange, que je ne saurais décrire. Son corps, bien que caché en partie par des vagues immenses qui se dressaient autour d'elle, faisait penser à celui d'une sirène. En effet, si l'on ne pouvait apercevoir le bas de son corps, on pouvait deviner la forme d'une queue de poisson qui se dessinait sous l'eau, avec des écailles dorées qui brillaient de mille feux. De ma position, je pouvais apercevoir quatre bras qui s'apparentaient à de longs tentacules. Tout son corps était doré et semblait être fait d'écailles, comme les poissons et les reptiles.
Son visage, lui, avait une apparence humaine très troublante. Pas par la forme, car elle ne semblait pas disposer à proprement de nez et son crâne se prolongeait en une espèce de crinière bleutée qui tombait le long de son dos. Sans parler de sa grande bouche ouverte de laquelle s'écoulait de l'eau, même si je ne pouvais apercevoir ses dents tranchantes d'ici. Mais ses yeux, eux, reflétaient quelque chose qui me paraissaient profond, intense sans que je ne puis l'expliquer. Il ne faisait aucun doute que cette créature quelle qu'elle soit possédait une intelligence hors normes, peut-être même supérieure à la nôtre.
Pendant que nous étions tous scotchés à son regard et à sa grandeur démesurée, nous ne vîmes pas l'attaque venir. La bête se mit à hurler en direction des cieux et d'un coup de queue, elle projeta une vague immense en direction de la ville. Je me rappelle qu'à cet instant, nous n'avions eu que quelques secondes pour constater les dégâts sans comprendre ce qui nous arrivait. L'eau avait atteri avec une brutalité féroce sur nous, engloutissant au passage les maisons et les habitants qu'elle contenait.
Ceux qui survécurent à cette première attaque n'étaient pas encore sains et saufs et ils le savaient pertinemment bien. Tous s'enfuirent dans un désordre chaotique qui sema une pagaille monstre. Les gens se marchaient dessus, ne pensant plus qu'à se sauver, oubliant toute forme de civisme. Pendant ce temps, la créature continuait de projeter des vagues gigantesques sur la ville, qui balayaient les rues de toute forme de vie. Tout était emporté dans les flots.
Je ne sais pas combien de temps dura ce supplice. Je ne sais même pas comment j'ai survécu. Je me souviens juste qu'à un instant, alors que je me précipitais pour me réfugier dans un bunker en espérant retrouver mes parents, j'aperçus un petit garçon qui devait être âgé tout au plus de 3 ou 4 ans. Il pleurait à chaudes larmes sans que personne ne se préoccupe de lui. Mais surtout, il était seul et c'est cela qui m'inquiétait.
Alors que j'approchais de lui, oubliant le reste de mes camarades, je vis que la toiture d'une maison juste au-dessus de lui était en train de s'effrondrer. Je me précipitai alors dans sa direction pour le protéger. Il n'avait pas l'air de comprendre ce qui lui arrivait. Il avait soudain cessé de pleurer, focalisé sur ma course, seulement surpris de ma présence. Il n'avait pas vu la menace juste au-dessus de lui. Je parvins alors à le pousser de côté, m'exposant directement à la toiture qui me tombait dessus. Puis, dans un vacarme infernal, je perdis connaissance.
Lorsque je me réveillai, je pensais être morte, être atterie dans une sorte de paradis. Mais lorsue je repris conscience, j'aperçus un petit garçon au regard livide et anxieux. Je n'étais donc pas morte, mais comment cela était-il possible ?
- Tu... Tu m'as sauvé la vie, murmura le garçon.
Devant mes yeux interrogateurs, il me tendit la main pour m'aider à me relever et pointa du doigt les décombres du toit qui se trouvaient tout autour de nous.
- Je ne sais pas comment tu as fait, on aurait dit de la magie ! s'empressa-t-il de dire. Tu aurais dû être écrasée mais à la place, tu as survécu ! Je n'ai pas pu tout voir, puisque tu m'as projeté sur le côté, mais les morceaux de la toiture ont volé en éclats et c'est là que tu as perdu conscience.
Je ne comprenais pas. Je n'avais jamais pensé posséder une quelconque capacité et encore moins une sorte de pouvoir. Je ne me l'expliquais pas.
Je revins sans doute très vite à la réalité.
- La ville... Mes... Mes parents... tentai-je d'articuler tant bien que mal.
- Je ne sais pas si tes parents s'en sont sortis, moi j'ai... J'ai perdu ma maman.
Le pauvre enfant se mit à pleurer à nouveau à chaudes larmes à l'évocation de cet horrible souvenir. L'idée qu'il est dû voir sa mère périr me fendit le cœur. Je le pris dans mes bras pour le réconforter. À ce moment-là, plusieurs pensées s'entremélèrent dans mon esprit. La première, angoissante, de retrouver ma famille, mes parents, mes frères et sœurs. Angoissante, parce que j'avais peur de découvrir la vérité. Ensuite, une seule obsession me vint en tête alors que j'entendis un hurlement qui me glaça à nouveau le sang, provenant de la bête. Je jura à cet instant que je la tuerais et que j'aurais ma revanche.
- Comment tu t'appelles ? demandai-je au petit garçon.
- Milo, peina-t-il à dire dans un sanglot.
- Enchanté Milo, moi c'est Elia. Viens, nous allons retrouver les autres. Et Milo, tu as ma parole, un jour je tuerai cette bête.
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