Métamorphose 

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10 ans. 10 ans sont passés depuis la catastrophe. Mais je n'ai rien oublié, pas une seule seconde de cet instant qui a bouleversé ma vie. Et je ne sais que je ne pourrai jamais y déroger tant que je n'aurai pas accompli le but ultime de ma quête.

Alors, voilà 10 ans que je parcoure le monde. J'arpente chaque coin de ces terres, à la recherche de cette maudite créature. Mais plus le temps passe et plus je perds patience. J'ai ce sentiment au fond de moi que je ne la retrouverai jamais. Cette pensée me hante jour et nuit : l'idée que d'autres villages, d'autres villes aient été détruits, ravagés et que les populations aient tout simplement été rayées de la carte.

Face à ces pensées sombres qui me guettent, Milo est un véritable rayon de soleil. Le jeune garçonnet qu'il était autrefois a laissé place à un préadolescent amoureux de la vie et insouciant. Mais pour moi, il restera toujours ce petit enfant que j'ai secouru ce jour-là et qui pleurait à chaudes larmes. Je n'aurais jamais cru que nous passerions les 10 années qui suivirent ensemble. Nous sommeslittéralement devenus inséparables.

Et loin d'être un fardeau, il avait été ma motivation à chaque réveil pour me battre et ne pas abandonner, et l'espoir d'un futur meilleur. Puis, au fond, je n'aimais pas être seule. La solitude me pesait à long terme et sa présence était une bénédiction pour pallier le manque causé en grande partie par la disparition de mes proches. Mes parents, mes frères et sœurs... Face à leur disparition, le temps était la pire des souffrances car j'en venais parfois à oublier leurs visages, semblables à des souvenirs qui s'émiettent au fil des années. Mais il y avait eu des survivants, j'en étais certaine, et j'entendais de toute part que des hordes de vagabonds, des familles entières se déplaçaient pour espérer trouver un nouveau refuge en ces terres désolées. Alors, je gardais espoir. Il le fallait.

Je fus tirée de mes rêveries par la voix faussement grave de Milo, car il muait depuis quelques semaines tout au plus. Je me moquais régulièrement de lui à cause de ça, ce qui l'énervait encore plus. 

- Elia, viens voir ! cria-t-il à plein poumons. 

- Qu'y a-t-il ? demandai-je d'un ton agacé, car il savait pertinemment bien que je détestais être dérangée quand j'étais dans ma bulle.  

Mais pour que ce soit possible, j'imagine que ça devait être de la plus haute importance, ce qui ne manqua pas de m'interroger. 

- Les hydres ! Regarde ! scanda-t-il en pointant du doigt l'océan.

De là où j'étais, je ne voyais pas bien le large car les deux étoiles qui brillaient dans le ciel m'aveuglaient. Je mis ma main pour faire office de casquette et j'écarquillai les yeux devant le spectacle qui s'offrait à moi. De grands mammifères nageaient en bancs les uns à côté des autres sur des centaines de mètres. Je n'avais aucune idée du nombre qu'ils pouvaient être mais à l'œil nu, je pouvais en voir des centaines, même peut-être des milliers.

J'avais découvert ces animaux lors d'un premier voyage en mer il y a maintenant six ans et je les avais revus au fil des ans, migrant d'un coin à l'autre de la planète. Comme tous mammifères, ils s'adaptaient au rythme du climat et des saisons, favorisant un climat frais l'été et un climat plus chaud l'hiver. C'est pourquoi, ils étaient en perpétuel mouvement et nageaient des milliers de kilomètres chaque année sans jamais s'arrêter, sauf bien sûr pour mettre bas.

Dans ce troupeau gigantesque, je voyais des petits qui étaient placés au centre de manière à être protégés des prédateurs. C'était un choix judicieux quand on connaissait les dangers qui parcouraient ce monde. J'avais pu croiser au cours de mes aventures de nombreuses bestioles, de toute taille et de toute apparence, et j'avais appris qu'il ne fallait jamais baisser la garde. C'est grâce à cela que nous avions survécu avec Milo.

Je regardais avec un mélange de contemplation et de tristesse ces hydres, mammifères au long cou de plusieurs mètres, à la peau tachetée et aux ailes élancées, pouvant faire office de nageoires sous l'eau. Ils ne représentaient aucune menace car ils étaient exclusivement piscivores et ne voyaient en nous aucune menace. Tant que nous ne les dérangions pas et ne venions pas troubler leur tranquillité, c'est comme si nous avions instauré une sorte de pacte de paix. 

Je descendis du mât du voilier en lévitant au-dessus du sol. J'aimais toujours voir le regard de Milo face aux dons que j'avais développés, admiratif comme celui de l'enfant qu'il avait été. Au fur et à mesure des années qui s'étaient écoulées, j'avais appris à appréhender cette force que j'avais découverte il y a 10 ans maintenant, à l'accepter et à la maîtriser. J'étais loin de tout savoir et j'en apprenais encore chaque jour. 

J'avais dû me former seule et c'était là toute la complexité de la tâche. Personne ne pouvait m'aider. Nous avions certes rencontré une multitude de personnes au cours de notre périple, de toutes espèces mais je ne m'étais jamais sentie chez moi où que j'aille. Partout, que ce soit dans les campagnes isolées aux grandes métropoles dont les tours côtoyaient les cieux, en passant par les villages se trouvant sur les monts enneigés aux landes désertiques, je m'étais toujours sentie étrangère. Toute ma vie, j'avais eu ce terrible sentiment de ne pas avoir de foyer. Au début, j'avais du mal. Puis, avec le temps et avec la présence de Milo, j'avais accepté. Nous n'avions pas le choix, nous étions des explorateurs et nous devions parcourir le monde sans jamais nous arrêter. Mais j'avoue que parfois, je rêvais d'une terre d'accueil où me sentir à nouveau chez moi, comme l'avait été autrefois Genesis.  

Quand j'arrivai au sol, Milo se précipita vers moi. 

- Tu t'améliores de plus en plus avec tes pouvoirs, me confia-t-il. Tu sais, je crois que tu devrais réessayer. Tu es prête.

- Je... Je ne sais pas, balbutiai-je.

Milo faisait référence à une séance de combat qui remontait à plusieurs semaines et pendant laquelle j'avais failli le blesser. Nous nous entraînions souvent tous les deux pour progresser et nous n'hésitions pas à nous battre en vrai. Généralement, nous retenions nos coups. Mais parfois, nous nous permettions quelques écarts et à employer des moyens plus drastiques.

Ce jour-là, Milo avait employé sa ruse habituelle, à savoir la métamorphose. C'était son don. Il pouvait prendre l'apparence d'une matière, d'un élément, d'un animal et il était sûrement encore loin d'avoir tout essayé et imaginé. Pour cet affrontement, il avait fait le choix de prendre la forme d'un félin qui pouvait courir extrêmement vite.

À la vitesse, je préférais la stratégie, la finesse et l'efficacité. Alors qu'il s'apprêtait à m'attaquer, j'avais fini par produire une boule d'énergie qui grandissait de plus en plus autour de moi. Il avait foncé tête baissée en me sautant dessus à une vitesse éclair mais prévisible. Dès cet instant, il s'était heurté à un mur et avait été repoussé quelques mètres plus loin. Ne trouvant d'autre solution que la force, il avait réitéré son coup, sans succès. Il s'épuisait seul. Je l'aurais à l'usure. Quelques minutes tout au plus.

Au plus il m'attaquait, au plus je me renforçais. C'était comme cela que fonctionnait mon pouvoir. J'emmaganisais une énergie folle en moi, qui croissait au fur et mesure de l'intensité qui m'entourait et je me gavais de celle des autres. C'était un formidable mécanisme de défense et une arme redoutable.

La boule d'énergie avait fini par me recouvrir totalement, rendant impossible toute attaque venant de l'extérieur. Milo ne pouvait plus m'atteindre et il le savait, alors il s'était énervé et s'était jeté d'un coup brusque sur moi, alors que je ne m'y attendais plus et je commençais à desserrer l'étreinte, ouvrant une brèche dans la bulle. Prise de panique, j'avais hurlé et la bulle avait explosé dans un bruit sourd, projetant avec violence Milo contre un mur voisin. Heureusement, il avait pu anticiper la chute et avait pris forme pour anticiper le choc.  

À l'évocation de ce souvenir, je sentis un frisson parcourir mon corps. Depuis ce jour, j'avais peur de blesser quelqu'un en ne maîtrisant pas assez mes pouvoirs. L'erreur pouvait être fatale et je le savais. 

- Ce jour-là, j'aurais pu te tuer, Milo, dis-je en mesurant l'étendue de mes mots.

- Oui, peut-être mais je ne t'aurais pas laissée faire. 

- Je suis sérieuse ! 

- Du calme, je plaisante.

Il vint se positionner face à moi et me prit dans ses bras, avant de relâcher l'étreinte.

- S'il y a bien une personne en qui j'ai confiance sur cette planète, c'est bien toi, Elia. Je ne vais pas te mentir, j'ai eu peur ce jour-là. Mais je n'ai pas eu peur de ta force, j'ai eu peur de tes doutes. Tu as des pouvoirs immenses, que tu ne soupçonnes même pas. Et je pense que tu n'en es qu'au début de ton apprentissage, tout comme moi. Nous connaissons tous les deux les risques, nous n'avons pas le droit à l'erreur. Mais c'est la vie. On s'adapte ou on meurt. C'est toi qui me l'as appris, rappelle-toi. 

J'ouvris des yeux interloqués, mesurant que le petit gamin avait bel et bien laissé place à un jeune homme en devenir, qui avait bien mûri. Pourquoi ne m'en apercevais-je que maintenant ? 

Pris dans mes pensées, je fus ramené à la réalité lorsque le marin hurla à tue-tête : Terre en vue ! 

- Ça y'est, nous y sommes enfin ! cria Milo, sans dissimuler sa joie. 

En effet, nous y étions enfin arrivés. Eldemir se profilait à l'horizon. Des carcasses de bâtiments se dessinaient à l'horizon, vestiges d'un temps passé, abritant toutes sortes de criminels maintenant. C'était littéralement le bout du monde.  

Milo sourit et se retourna vers moi en écartant les bras devant lui, comme s'il présentait une œuvre d'art. 

- Je te présente Eldemir, la Cité Perdue !  

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