Retrouvailles mouvementées 

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Des années plus tard, je me retrouve à nouveau face à eux. Nous avons pris des routes différentes. Vince et les autres sont restés ensemble, unis, se cachant de l'ennemi, vivant tapis dans l'ombre. Je comprends son choix, mais ça n'a jamais été le mien. Depuis toujours, je suis guidée par cette obsession de retrouver le monstre qui a détruit ma ville natale et qui m'a séparée de ma famille. Jusqu'ici, j'étais sûre de moi. Je pensais que c'était la seule raison qui vaille la peine de se battre.

Milo m'a suivi jusqu'ici mais déjà à l'époque, je sentais qu'il était perdu. Je me remémorais la phrase de Vince : "Sans Milo, sans nous, tu n'aurais pas survécu. Et puis, qui te dit que Milo a envie de repartir ? Ça fait plusieurs jours que vous êtes ici et il a eu le temps de se faire des copains. Pourquoi lui enlever ça ?"

Je pensais souvent à ces mots qui résonnent encore au fond de moi. Le petit garçon que j'avais connu m'avait suivi dans mes péripéties. Nous avons grandi ensemble. Mais était-ce vraiment une existence pour un jeune garçon ? Avais-je fait le bon choix ou un choix purement égoïste ? Milo me connaissait littéralement sur le bout des doigts et lisait en moi comme dans un livre ouvert, ce que personne ne savait faire d'habitude. Et un jour alors que nous nous étions disputés pour une broutille, ce sujet était revenu sur le devant de la scène.  

- Toi tu réfléchis trop, tu sais, m'avait-il dit, les bras derrière sa nuque, l'air moqueur. Arrête un peu de te sentir coupable.

- De quoi tu parles ?

- Je sais que tu culpabilises alors arrête d'essayer de le dissimuler. Tu as beau être la fille la plus puissante que je connaisse, sur bien des points d'ailleurs, tu n'en es pas moins la pire des menteuses. 

- Comment peux-tu savoir ce que je pense ? Tu es devenu médium entre-temps, en plus de tes dons de métamorphose ? 

- Tout simplement parce que je te connais Elia. Ce n'est pas une question de don, c'est une question de confiance. Pas de confiance en moi, mais de confiance en toi. J'ai fait mes choix et je ne les ai pas faits en suivant systématiquement les tiens, de manière aveuglée. Je ne t'ai pas suivie parce que tu m'as sauvé la vie un jour, et tant d'autres depuis. Je ne t'ai pas suivie parce que j'avais peur. Si, j'ai peur. Mais pas peur de la vie, peur de ne plus te voir et te voir partir. J'ai fait mes choix, j'en assume chaque conséquence. Tu n'as pas à te sentir coupable de quelque chose que tu ne peux pas maîtriser. Aie confiance en toi et en tes choix.   

Ce petit garçon n'en était plus un depuis bien longtemps. J'avais dû faire avec. Et ce jour-là, comme d'autres finalement, je me rendais compte qu'il était déjà un homme. Mais je percevais toujours l'enfant qu'il était, au détour d'une phrase, d'une action, d'un moment d'innocence. Et d'ailleurs, où était Milo en cet instant même ? Encore une fois, je réalisais à quel point il m'était d'un grand soutien au quotidien et à quel point j'avais besoin de lui.

J'étais encerclée par Vince et sa bande. Cette même bande qui avait été la mienne autrefois. Nous avons passé des moments incroyables que je n'oublierai jamais. Et Milo avait trouvé une famille malgré tout, des amis aussi. Puis, nous sommes repartis. Personne n'avait compris, certains m'en avaient certainement voulu. Mais c'était comme ça, j'avais suivi mon intuition et Milo m'avait suivi.

Et à nouveau je me retrouvais face à eux. Aldor se tenait sur le côté, impassible, le visage fermé, déformé par les coups qu'il avait dû recevoir au cours de je ne sais quelle rixe. On aurait dit une espèce de grand singe fait entièrement de muscles, du plus petit orteil jusqu'au sommet de son crâne. Le dénommé Valdar se tenait à l'opposé d'Aldor, les mains serrées sur une espèce de fusil à pompe dans ma direction. Je ne pouvais m'empêcher de regarder son visage à moitié brûlé et l'autre partie totalement recouverte de bandelettes blanches. Je sentis un frisson me parcourir.

- Eh bien, on a peur de l'homme masqué ? se moqua Ayva, pointant avec ferveur le bout de son arme dans mon dos.

Comment l'oublier ? La gamine timide et chétive de ma chambre de rescapée avait bien changé. Au fil des années, elle avait gagné en confiance en elle et ne se le cachait pas. Elle en abusait certainement même. Parfaite occasion de lui rappeler. 

- C'est marrant que tu parles de peur, mon petit lézard adoré. La dernière fois que je t'ai vue, tu me suppliais d'arrêter de te battre en reconnaissant que j'étais la meilleure devant tout le monde. Ils peuvent tous témoigner, à part le mec dérangeant avec ses bandelettes.  

Il n'en fallut pas plus pour énerver cette sanguine d'Ayva qui me frappa sur le crâne avec son arme. Même si je m'y étais préparée, je reconnais que la violence du coup ne me laissa pas intacte. Je mis quelques secondes à récupérer pleinement mes capacités. Mais Ayva ne me laissa pas de temps mort. Elle m'attrapa par les cheveux, me tournant sur le dos et m'immobilisant les bras à l'aide de ses jambes. Puis elle commença à me ruer de coups au visage, à gauche, puis à droite, à gauche et encore à droite. Je dois admettre qu'elle avait gagné en force, mais pas en jugeote. Elle s'épuisait vite, trop vite. Ses coups commençaient à faiblir, sa respiration à se condenser.

Je sentais que du sang commençait à couler de mon nez qui devait être probablement cassé, de ma mâchoire et de mon crâne peut-être en raison du coup qu'Ayva m'avait portée. Ses coups se faisaient de plus en plus rares. Elle devait croire que j'avais compris la leçon, que je me tairais maintenant, pour rester poli. Je ne voyais pas mon visage mais une chose est sûre, ma jolie frimousse devait en avoir pris pour son grade. Et alors, je ne sais pas pourquoi, je ne saurais me l'expliquer, mais je fus pris d'un fou rire incontrôlable. Il ne fit que s'amplifier lorsque je vis les expressions d'incompréhension des autres, entre le regard impassible du grand débile Aldor, à la bouche déformée sans expression du fameux Valdar ou des yeux écarquillés de cette saloperie d'Ayva.  

- Pourquoi tu rigoles ? me dit-elle en pleine incompréhension. Tu pisses le sang, tu as le nez pété et tu te marres ? Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ? Tu veux crever ? Je peux t'en donner l'opportunité. 

Ayva levait déjà son poing en signe de menace, mais cette fois je n'allais pas me laisser faire. Fini l'entraînement, terminée la cour de récréation. Passons aux choses sérieuses. J'allais répliquer quand soudain un éclair jaillit, m'aveuglant totalement. Lorsque je rouvris les yeux, je vis qu'Ayva était inconsciente, allongée sur le sol à quelques mètres plus loin. À ma gauche, Valdar, le taré brûlé aux bandelettes, tenait son arme pointée dans sa direction. Mais pourquoi avait-il fait ça ? Se pourrait-il que...

Aldor, furieux et complètement déboussolé par la situation, s'apprêtait à charger dans sa direction mais il fut très vite rappelé à l'ordre.

- Toi, l'homme singe, si tu bouges ne serait-ce qu'un petit doigt, je te réduis à l'état de néant, c'est clair ? répliqua Valdar. Tu ne bouges plus d'un poil.

Valdar marcha tranquillement en direction de la pauvre Ayva qui gisait sur le sol. Il jeta un regard dans ma direction qui me glaça le sang. 

- Ne t'en fais pas, elle est vivante, me dit-il d'une voix froide et grave. Malheureusement.

De l'autre côté, jusqu'ici simple observateur de la scène alors qu'il aurait largement pu intervenir depuis, Vince eut un rictus puis éclata de rire, son œil de verre luisant à la lumière des lanternes.

-  Bon dieu, vous n'avez pas changé tous les deux, dit-il. 

- Comment ça tous les deux ? interrogeais-je, dans une incompréhension totale face à ce qui se passait.  

- Mon dieu, ma petite Elia, tu as toujours eu des capacités hors normes que tu as perfectionnées au fil des ans, des dons incroyables dont je ne saurais expliquer l'origine. Mais tu n'es pas toujours pas foutue de voir ce qui est devant tes yeux, encore une fois.

Tout à coup, l'homme aux bandelettes se métamorphosa et Milo apparut. Je n'en croyais pas mes yeux. Comment pouvais-je m'être laissée berner ? 

- Toi, mais quand, comment, pourquoi !? hurlai-je alors que je me redressai avec peine.

- Ça fait trop de questions, me répondit Milo, avec son air narquois habituel agaçant. Quand ? Dès que je les ai vus arriver. Comment ? Parce que je suis un sacré magicien et tu devrais le savoir mieux que quiconque. Pourquoi ? Parce que tu ne peux jamais te passer de moi apparemment.

- Espèce de petit merdeux...

- Oh, pas d'insulte ! Rappelle-toi que j'aie un fusil à pompe entre les mains. Ou un truc du genre.

- Et moi, je peux t'envoyer valser dans le décor d'un claquement de doigt. 

- Bon ça suffit ! 

Nous nous tûmes tous les deux après le rappel à l'ordre de Vince. Les années passaient, mais son autorité naturelle ne faiblissait pas. Il se contenta d'ajouter : 

- Suivez-moi, on doit causer. Aldor, fais-moi plaisir, ramène Ayva à l'abri et prends soin d'elle. Malgré ce qu'elle croit, ce n'est encore qu'une ado insouciante. Et le monde est plein de fous qui ne veulent qu’une chose : voir le monde brûler. J’ai peur que vous finissiez tous par le savoir d’une manière ou d’une autre.

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