Le banc de paroles
CHAPITRE 1
La gare de Poissy s'ouvrit devant les évacués de la guerre du tourisme. Les gens débarquèrent de tout part, des Noirs, des Blancs, des unijambistes, des uniformes...Et même un chat échappé, non mais quelle montrueuse arrivée pour Paris et ses parisiens. Dans le train, certains avaient creusés pour faire un château de cartes ("Le secret, messieurs-dames, c'est de bien réfléchir dans vos actions, histoire de ne pas trop gaspiller, quoi".). Thierry, lui, il avait écrit. Page globale de son document Word, il avait tapé les lettres azimuts de la gloire et la paix ("A pour Amour, F pour futile et S pour Studieux").
Thierry Lombus. Un français fraichement rescapé. La quarantaine, visage épuisé par le décalage horaire, les joues creusés, quelques rides sur une mèche noire de sa chevelure coupée court. Il faisait parfait avocat, même comptable, mais pas écrivain raté. D'ailleurs, n'avait-il jamais dépassé les douze milles exemplaires de ses livres, avec pour critiques "Salaud, je ne voudrais plus jamais relire cette merde, ce serait comme savourer quelque chose parfaitement détestable". Et en plus, il s'efforcait à relire ses manuscrits mot pour mot sans n'y voir aucun inconvénient. Il travaille présentement sur un projet littéraire très chargé, le truc menstruel à ne jamais dépasser sous risque du châtiment accordé de l'éditeur, le truc qui vous prenait la semaine. Le Titre parfait, un truc façon azur et Pennac. Pourquoi s'accorder un temps de relecture après la correction d'un livre ? Parce que les éditeurs sont des cons, et que l'année 1987, année spéciale Chirac, détruisit les rêves de chacunes des conquêtes écrivaines. Thierry s'avança dans la gare, sacoche au bras, les mains encombrées de ses livres. Le téléphone à l'oreille, il n'appelle personne, il écoute. Ouais, t'écoutes le néant, mon vieux. Jusqu'à la sonnerie de son patron, l'éditeur Larry Casa, un violent monsieur aux moustaches de félin :
- THIERRY !!
- Quoi ? demande Thierry, manquant de lâcher ses bagages sur le carrelage du domaine de glace.
Le tumulte de la foule aglutinnée dans les file est désobligeante, à un tel point que le bruit exaspère Thierry en plus de la voix de Casa. Il s'en va vers la sortie, reprenant court à sa libre imagination de littéraire.
- Je t'écoutes, Larry.
- Thierry ! tu te fous de qui ? Je vois des affiches du genre : LE BON LITTERRAIRE : SI VOUS AIMEZ VOTRE FEMME, FAMILLE, essayez la littérature libérale, avec le bon livre à tout coin de rue, et je n'arrives pas à te joindre. Putain, tu me chies dans les bottes, Thierry, et j'aimes pas sentir la merde des autres dans mes bottes. C'a me les casses les burnes !
La grossièreté telle d'un amateur. Il relisait, il lisait, il soignait l'encre et la page. Casa est un amateur de la littérature, un bon homme cependant si violent avec ses employés ! Il risque la faillite mais si rien ne l'oblige à fermer porte avant. Les Editions de la Clareté Indéfinite. C'est un joli bien grand mot, c'a. Et qui l'a trouvé ? (Ta gueule, Thierry, je prends la sagesse d'une main et mon coeur de l'autre, salaud !). Bien. Casa sentait les odeurs édulcorés des souvenirs d'autres écrivains ("C'a sent bon le littéraire, Thierry, c'a suinte de partout ses envies, pire que le sexe ou une pute !"). Mais jamais la bonne senteur de l'encre, le décor des Vercors, le paradis de Suippes à Nice. Bien, c'était la relecture des cons.
- Je veux ce livre, Thierry.
Sa 205 GTI, sa belle lurette des années 80, garée au beau milieu du trottoir, trottant près de la contractuelle qui a eu les crocs.
- Larry, j'te laisse, j'ai un ennui.
- Les ennuis, c'est les merdes qui vont tomber sur ton toit, mon vieux. Prépare-toi et rends-moi le livre à temps voulu. Ciao !
Sans même raccrocher, Thierry sut qu'il allait passer un mauvais moment avec la petite spécialiste du trafic :
- Monsieur, cette Peugeot 205 GTI immatriculé AZ-205-B65 est à vous ? demande-t-elle, ronde comme une pucerelle.
- Oui, mais avant de me dire quelque chose...
- Tenez, un P.V de stationnement à plus de milles francs : c'a, c'a vous apprendra à vous garer, plus vite, à conduire, mon brave !
Et à elle de tendre le papier jaune de ses doigts boudinés aux doigts cochés du petit écrivain dévasté par sa bêtise :
- Mais vous n'avez pas vu cette merde de camion devant moi ? Comment se garer avec ces cochonneries du Moyen-Age ?
- Quel rapport Monsieur avec le temps présent, s'étonne la contractuelle, contrariée, vous voulez une contravention pour agression sur l'autorité légale ?
"Merde, songe Thierry en se glissant dans l'habitacle de sa Peugeot sentant le tout neuf ".
Il insère la clef dans la solénoide, le bruit qui retentit est beau et savoureux. C'est le paradis de l'écriture, non ?
RUM-RUM-RUM-RUMF-RUMF-RUM...RU...R..R-R-R....VROOOMM !!!
L'échappement pète le diesel puant de l'année folle au téléphone portable et aux longs pantalons. La 205 fonce dans le Tout Paris, le décor défile en images comme dans les vieux films colorés à travers les vitres. Et Thierry goûte à la France, les Champs-Elysées, l'Arc de Triomphe, la Tour Eiffel, la Rue Victor Hugo, l'hôtel Au Bonheur Parisien, et les bijouteries Dior.
"Mon dieu, les bijouteries, un bijou sauteur pour les beatniks, merde !"
La 205 se gare dans un élan de tendresse devant l'hôtel, les bagages volent dans le ciel et Thierry dans sa souplesse d'imagination. Il ouvre la portière méchamment et elle cogne contre le rebord du muret. Il balaye d'un regard séducteur le ciel et s'étonne. L'hôtel est beau, c'est son seul avis de son haut de ses soixante-quinze mètres de hauteur. A peine il regarde l'entrée qu'il sait que tout son voyage a été une aventure. Merde alors, pourquoi il a accepté le livre ? Pourquoi ? C'est comme dans les bons livres français, là où l'on attend le verdict final comme à la loterie. Et qu'on comprend que finalement, non, on n'aura jamais la bonne réponse à c'a. Quand Thierry entre dans cet hôtel, il a plus envie d'en vomir le contenu que de le contempler au microscope de ses yeux.
- Puis-je faire quelque chose pour vous, Monsieur ? demande une voix à la réception.
- Monsieur Lombus, des Cévennes. Et faites-moi plaisir, butez le chef de cet hôtel parce que c'est vraiment une ordure ce qu'il a créé.
Voyant que l'homme ne rie pas, Thierry se reprend comme un con, à demi sur le comptoir lisse :
- Désolé, mon beau : j'veux juste les clefs de ma chambre 111. Merci et à bientôt, pauvre mec.$
(C'est étrange comme les mecs de nos jours ressemblent à de belles camélias...)
Et Thierry de prendre sa clef et de s'enfuir vers son paradis Verdun à l'étage. Merde, comprenez-le, c'est un cas irrésistible, c'est son roman, merde, bordel, putain !
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