Le Banc de Paroles

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CHAPITRE 2

Quand un écrivain "perd l'envie d'écrire", c'est qu'il est mort ou qu'on l'a oublié dans la page blanche. Ou qu'il s'est eu en sautant d'un balcon. Quand un écrivain "se fait lire", c'est uniquement parce qu'il a gagné au loto ou qu'il s'est bourré d'anxyolitiques avant de rencontrer l'éditeur. Jamais un éditeur ne vous montrera jamais le manuscrit original de ses oeuvres, et si il le fait il est fou. Jamais un écrivain ne publiera plus de deux livres en un an, sinon il est déjà mort. Quand Thierry s'amuse à lire ses lettres le lendemain de son arrivée à Paris, dans cette suite champêtre minuscule où on avait à peine glissé un lit de 140 dans un coin bordé par la lueur des années 40, il ne sait pas ce qui l'attend. La tapisserie l'écoeure, c'est sûr. Mais c'est le premier texte qui le fait vomir intérieurement, et peine extérieure s'il ne le fait pas tout de suite en ouvrant la lettre :

"Monsieur Lombus, nous sommes fort désolés de vous informer que les Editions Gallimard ne veulent plus de vos manuscrits qu'ils jugent comme ''de la merde douteuse dans un champ''. Bien à vous et bel avenir."

La deuxième lettre le laisse penaud :

"Le Journal des Auteurs vous invitent à écrire plus de livres merdiques comme le vôtre pour ainsi faire fierté de notre cliché des pires livres du monde".

(Merde, c'est aussi mauvais que c'a.

Et la troisième, si ce fut plus simple :

"L'Education Nationale : un cliché modeste à la Chirac. Le Figaro : une fille tue sa mère, le coéquipier toujours en fuite. Une voiture explose en plein Ivry-Sur-Seine, les morts sont nombreux."

Bref, si Thierry ne tombe littéralement pas en larmes devant ce spectacle, c'est parce qu'il est mature et que sa façon d'écrire le change quelquefois en un mot : LITTERATURE. Et cette littérature le laisse littéralement sur le banc de touche, elle le turlupine comme jamais et il sent jalousement l'envie de lire un livre monter. Le syndrome de l'auteur. Pourtant, il lit de la merde comme jamais, comme une merde, mais c'a lui plait. Quel con! Il se lève, jette sa lecture du soir sur son lit et rage intérieurement en fouillant ses poches : je veux pas dormir, je veux pas aller aux toilettes, je veux encore moins lire ses cochonneries politiques ou littéraires. Alors il prend sa veste en jean, il ferme son document vide, et il s'envole dans les couloirs du labyrinthe. C'est la seule beauté des beaux jours Parisiens, ou quoi ? Il se croit tout permis, sans consigne, maisi il y a une Loi fondamentale dans l'écriture : c'est l'écoute. Alors il plane comme une oie, il voit comme une abeille, il s'en va comme une panthère. Mais il reste à l'écart de tout encontre à son sujet. Tout c'a dans un seul esprit qui garde huit milliards d'informations avant de faire le grand nettoyage. Non, Thierry s'ennuit, voilà tout. Thierry veut grâce et amusement, mais il s'ennuit. Et il sait dès qu'il a rendu les clefs de sa 205 qu'elle ne marchera pas, la batterie a claquée son dernier watt hier et le réservoir est à sec. Il entrouvre gentiment la portière, s'assit doucement, le pic du cul coincé dans le coin du siège et...

Rien. Plus rien. Même pas un Rum-Rum, non. Le pot d'échappement râle de ne rien pouvoir consumer, mais c'est comme un fumeur sans sa clope du matin, midi soir suivi du matin, midi soir.

Bon dieu, merde j'ai pas de chance.

Ouais. Alors Thierry voltige, il nage en plein Vaudeville, à quoi bon appeler le garagiste si ce n'est pour qu'il se dérange comme un crétin ? Thierry va se bouger les miches, voilà tout. Il enclenche le frein à main et dévale la rue.

Puis il ne sait pas pourquoi mais comme un con, il repense à sa teen-age quand il s'était brisé la rotule droite à skate sur les bords du Manche en voulant impressionner une femme, une future journaliste qui n'en serait pas une :

- Déhanche-toi bébé.

- Bouge ton skate, Thierry.

- Thierry, tu t'appelles Lhermitte ou Lordure ?

Et lui qui se pète la gueule sur le bord de son skate, tel un bon catholique sans ennui, il se pète deux dents dans l'assaut, une main qu'il retient dans sa chute et sa rotule qui s'éclate littéralement sur la pierre, un gros bruit assourdissant, CRAC ! comme un arbre qui se consume. Et lui qui hurle qu'il veut sa maman pour le blottir avec un bon chocolat chaud. Il repense à cela, vingt kilos de plus et à peine du muscle sur la moelle des os, poussant une faible 205 en rade sur le bord de la route. Et vu qu'c'est pas l'air du portable, où trouver un garagiste en moins d'une heure, dans Paris Chinois, Paris Belle Ville, PARIS TOUT FAIRE, PUTAIN !

C'est pas s'il voit une Audi 90 le dépasser pour le Boulevard Malesherbes, proche de la Place Voltaire et du Jardin du Luxembourg. Les Cévennes c'a vous pompe le cerveau, pas la vie. Alors il attend vingt ans avant de pouvoir trouverun garagiste digne. Le garage, qui vous fait morfler les jambes à vous farcir vingt kilomètres au lieu de dix...Il repense encore !

Et lui, se promenant dans les couoirs d'hôpital, avec les infirmiers qui poussent la table d'opération sur roulettes ("Il va survivre ?" "Il s'est pété quoi exaxtement, le mouflet ?" "Pleure pas, y a ta mère, regarde, mon petit !"). Les souvenirs de la 204 Rouge Family qui fonce comme jamais sur l'A10, doublant et redoulant, évitant les multiples percutations et accidents. A 200 sur l'autoroute, il faut bien éviter de percuter un pylône à cette vitesse !

C'est une banale façade sur un bord parisien, à deux pas de Malesherbes et du jardin du Luxembourg. Les pompistes engagés s'activent à la rame d'essence, les pompes couleur rouille embêlissant les murs de prison de ce bâtiment insalubre. Une seule pancarte, accrochée tout en haut du toit briqué, indique : "GARAGE FLORES : CE QUE VOUS NE VOULEZ PAS, ON VOUS LE VOUDRA". Les Buick corbillards et les Dodge American Express bordant les portails entrouverts. Mon dieu, que de beauté et créativité pour un écrivain émotionnel. Rupture émotionnelle en voyant le mec au Turtle Wax qui débarque, Rue César-Caire, pour faire le nettoyage d'une vieille Giulietta dont le moteur ronronne à la façon d'un chat cancérigène. Un grossier personnage, bretelles et short de bain, aiselles poisseuses et crâne chauve pour une tête de charlatan. Si Thierry était une femme, il aurait à coups sûr tué ce visage à coups de claques.

- Bah ! c'a alors : panne d'essence ? demande le garagiste corpulent, stupéfait.

- Si seulement, parce qu'y a pas que l'les réservoirs qui pompent vos chiottes, Monsieur Fleuri.

- Ya bien les bielles, les pistons, le tout, Monsieur ?

- MonsieurLombus, Thierry Lombus, des Cévennes, dit Thierry, furibard.

Le regard du garagiste, un beau couplet de stupeur et d'évanouissement de passion. Les Cévennes, Mamma MIA !!!

- Mamma Mia ! Beau pays, beugle le type, j'ai ma putain de famille là-bas. Beaux-frères, belles-soeurs, des couillons qui se taillent de l'école à la moindre occasion.

Thierry fixe, il ne visionne pas et ne lis pas, forcément. Il fixe les yeux émeraudes du charlatan devant lui, effrayé par sa propre grossièreté. Enlevez c'a de vot' vocabulaire, très cher, aurait gueulé un bourgeois de l'après-guerre. Thierry, lui, c'a l'énerve juste un peu mais il se les brise pas autant qu'avec le prix.

- Bah je vais pas pouvoir l'examiner avant demain alors disons que vous la laissez. Cent-quinze francs, merci !

(Et bien il se fait pas chi...)

Calmos, Thierry, calmos...

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