Écrit en écoutant notamment : Narfos – Immortal Power

4h20 du matin.

• On a le choix entre prendre un uber ou bien attendre le premier RER, d’ici trois quarts d’heure, dis-je lorsque la question de notre retour à l’hôtel se pose.
• Va pour le RER, répond Dimitri.
• D’accord, ça me va. Et dis-moi, t’as vraiment improvisé ton discours, tout à l’heure ? C’était vraiment… sensationnel.
• Ahah ! Pour être honnête, pas tout à fait. Avec la tension de la cérémonie, je n’ai pas trop dormi la nuit passée. Ça m’a laissé le temps de réfléchir à quelques éléments de langage.

Nous faisons le tour des lieux pour saluer nos amis et collègues, sans pouvoir mettre la main sur Alexis et Dorian. Je soupçonne fort que les spectacles leur aient donné des idées ; quand il s’agit de sexe, ces deux-là tergiversent moins que moi.

Enfin, si Dimitri m’avait entraîné dans un coin isolé pour me faire des choses, je n’aurais pas refusé.

La sensation de fraîcheur à l’extérieur ne reste pas longtemps agréable. La nuit parisienne et son brouillard nous dérobent toute la chaleur accumulée pendant la soirée ; elle s’attaque à nos doigts et à nos orteils, nous mord les oreilles.

• Tu te souviens du samedi matin où je t’ai accompagné sur le quai du tram, à Nantes ?
• Évidemment !
• Cette fois-là, on se quittait. Mais aujourd’hui, c’est le contraire. À chaque fois que je me le rappelle, mon cœur tressaille et je souris bêtement.

« Prochain départ en direction de Saint-Rémy-lès-Chevreuse dans sept minutes », dit la voix de la station.

J’attrape Dimitri par-derrière en croisant les bras autour de son torse. Comme je mesure cinq centimètres de plus, la position est parfaitement confortable. J’adore sentir ses formes élancées contre moi. Le seul éclat de ses cheveux blonds sublime le décor de béton austère qui nous cerne. Ses courtes mèches en bataille s’affranchissent de la géométrie régulière et cartésienne des quais, de leurs marquages, des escaliers et des panneaux d’affichages.

***

Comité exécutif régional de Minsk, le 19 décembre 2021.

• Catherine Mozharovitch, représentante de l'ambassade française en Biélorussie. Je suis mandatée sur l’affaire Alekhine.
• En effet, on m’a informé de votre venue. Asseyez-vous, dit l’homme qui lui fait face.

Un chevalet noir posé sur son bureau indique en lettres dorées sa qualité de gouverneur de la région. Derrière lui, un portrait de deux mètres par un montre Alexandre Loukachenko, cheveux blancs, moustache grisonnante et drapeau biélorusse en pins sur le revers de son costume.

• Je vois qu’ils envoyent une jeune femme pour me séduire, s’amuse le gouverneur. J'ai déjà tout ce qu'il me faut à ce niveau-là… Bref, voyons-voir ce que vous avez à me dire.
• Un des maillons de votre chaîne macabre n’a pas été très discret. Nous savons que prévoyez d’éliminer M. Daniel Alekhine la veille de Noël, dans cinq jours. L’agent chimique prévu est le composé A-232, aussi connu sous le nom de Novitchok-5.
• Beau travail, commente son vis-à-vis.
• Voici une copie des documents que nous nous sommes procurés.

Elle étale les preuves sur le bureau et fixe gravement son interlocuteur.

• Ceci n’est qu’un échantillon des informations recueillies sur le commandement de l’opération, ajoute-t-elle.
• Vous me menacez donc de partager ces informations sensibles. Croyez-moi, j’en ai déjà vu d’autres. Et des situations bien plus complexes. De cette manière, vous créerez simplement un incident diplomatique qui ne jouera pas plus en votre faveur qu’en la mienne. Soyez raisonnables.
• Pourquoi avez-vous accepté ce rendez-vous si vous n'êtes pas disposés à entrer dans un processus de négociations ?
• Mais je le suis tout à fait. Seulement, en ma qualité de gouverneur, ma principale vocation est de défendre les intérêts de ma région et de mon pays. En ce moment, nous avons besoin de retrouver un climat de confiance.
• Dans ce cas, laissons-nous du temps. Il serait déraisonnable d’agir alors que nous n’avons examiné aucune piste de compromis.
• Gagner du temps… pas très original comme stratégie. L'ambassade n’a rien à proposer immédiatement ?

Un silence s’étale sur une minute complète. L’homme se lève, fait le tour de la pièce en longeant les murs et leurs dorures.

• La question n’est pas là, lance Mme. Mozharovitch. Rappelons qu'aujourd'hui, M. Alekhine est exclusivement français et qu’il doit être jugé en France pour les délits dont il s’est rendu coupable ces dernières années.
• Pourquoi devrions-nous vous remettre M. Alekhine alors que vous retenez certains de nos ressortissants en France ? Je vous en prie, la cohérence est la première pierre d’une négociation aboutie.
• Bien sûr. Dans ce cadre, nos avocats ont méticuleusement étudié le traité d’extradition existant entre la Biélorussie et l’Union européenne. Je…
• Je sais bien, c’est leur mission. Mais comme je vous l’ai exposé, nous vivons actuellement un contexte de tensions exacerbées. Il serait mal vu de céder sans des concessions majeures de votre part. M. Alekhine a trahi sa patrie et représente une grave menace à l'ordre public, faut-il vous le rappeler ?
• Voici qui pourrait donc vous intéresser, poursuit-elle en dévoilant une nouvelle fiche rassemblant des noms.

***

Une demi-heure plus tard.

• J’ai bien noté vos revendications, annonce le gouverneur. Faites le travail nécessaire de votre côté en vue d’un possible accord d’échange de détenus. Aucune information ne doit être transmise au public, sous peine de mettre en péril notre collaboration. Nous vous informerons des intentions définitives du Comité lorsqu’elles seront validées.