97 - La légende H
La motoneige avance sur la colline. Aucun repère terrestre ne signale quoi que ce soit. Le temps est clair. Le véhicule s’arrête. Le moteur se coupe. La conductrice regarde à gauche et à droite. Elle soulève ses lunettes de ski, retire des gants et sort son Smartphone. Elle descend et marche en regardant l’écran qui passe en fond vert. Elle tourne sur elle-même, range son Smartphone, remet ses gants et regarde ses pieds. Elle sort une pèle de son dos et commence à creuser. Quelques dizaines de mètres plus bas, Sandrine, blonde aux cheveux courts, yeux bleus, athlétique, est réveillée par une alarme rouge clignotante accompagnée d’une petite vibration à sa montre. Elle regarde la cadran qui affiche E-23. Elle sursaute. C’est quoi ça ? Où est le lexique ? Le voilà, lettre E, ligne 23 : véhicule détecté en surface. Aïe. Les 3 autres sont en mission à la citadelle. Sandrine appuie sur le bouton jaune. Au châtelet à Paris, Clémentine voit tout de suite sur son écran de contrôle : Station 25, intrusion. Elle appelle Aurélie :
- Aurèle ? J’ai du E-23 sur la S25, dans le module haut au niveau de la cheminée. Les équipes sont en mission.
- En mission où ?
- A la citadelle de Besançon.
- OK, je fonce en salle de contrôle et je prends le relais.
Au Poste de Commandement Nord Ouest, Aurélie est surprise de voir Valentin et Pauline sur place. Ils sont là pour la même chose.
- Greta nous a prévenu. Elle surveille la S25 depuis longtemps. On a même une image en surface.
- Une image ? Comment ?
- Un drone furtif. Regarde, on peut zoomer. On voit une ligne avec au bout une motoneige, des pas et quelqu’un qui creuse.
- Incroyable.
Clémentine appelle :
- J’ai eu les équipes de la citadelle. Ils ont laissé Sandrine sur place.
Pauline lève le bras :
- J’ai une com avec Sandrine. Greta m’a donné un protocole à appliquer.
- Pour quoi faire ?
- Vérifier l’identité de l’intrus.
Greta apparaît à l’écran :
- Aurélie ? Bonjour. Mes services ont réussi faire passer un message en Suisse. Il nous envoie leur ambassadrice. Pauline à envoyé le code de reco à Sandrine sur place.
- Greta ? Raconte nous, que se passe-t-il ?
- C’est une exfiltration. Une jeune ange blanche est en elle. L’ambassadrice, c’est l’agent H. Elle est déjà une légende à elle toute seule. Les suisses veulent bien nous la laisser pour s’échanger des informations. On va savoir où ils en sont et eux vont je pense être surpris de notre organisation et de nos alliances. H est importante, primordiale, pour eux mais je sens aussi pour nous. Je la veux à Stockholm.
Aurélie sait qu’elle ne saura pas tout mais elle en sait suffisamment pour son niveau à elle. On commence à avoir l’habitude avec Greta. Ce qu’on sait, c’est que les hôtes d’anges blanches sont toutes reliées entre elles, elles communiquent. Aurélie part s’isoler dans son bureau et appelle Sandrine sur un canal privé :
- Sandrine ? Comment ça va ?
- Bonjour Aurélie. J’attends, j’ai un protocole. Je suis montée par la cheminée Nord et j’attends sur la plateforme. Quelqu’un creuse au dessus.
- Oui, très bien, mais sinon, comment ça va ?
Sandrine marque une pause. Un blanc. Elle fait le point.
- Pas terrible. C’est dur. Contente d’être un peu seule. Cohabitation avec Fabrice compliquée. Pourtant on s’est bien préparés. J’ai vu que beaucoup de stations sont passées en équipe A et B, même à Dijon. Ils ont échangés et pris le philtre c’est ça ?
- Oui, Sandrine, je ne te demanderai jamais de faire ça. Je vais te trouver une remplaçante.
- Merci Aurèle.
- Merci à toi. Vous avez assuré sur la coordination du CERN. Je vais te sortir de là. Ton invitée, il faut la suivre, on va trouver un prétexte. Elle va passer par le Châtelet à Paris. Ensuite Clémentine t’orientera sur nous, OK ?
- Merci, merci, merci, je t’aime Aurélie.
- C’est normal ma chérie, je t’aime aussi. A bientôt.
Sandrine
J'étais son élève préférée. Elle était mon instructrice préférée, privilégiée. Trois coups de pèle se font entendre sur la porte ronde en métal au dessus de moi. Je me lève et je prend mon marteau pour répondre, deux coups. J’attends. J’entends : Bong. Un seul. C’est bon. Je mets une grosse clée dans une serrure. Tourne deux fois dans le sens trigonométrique. Il faut maintenant tourner un volant, sur la droite pour une ouverture intérieure, ce sera plus simple. Déverrouillage, de l’air sous pression sort. Des clapets de sécurité se font entendre en dessous. La porte s’ouvre d’elle-même, tout doucement, retenue par des vérins hydrauliques. De la neige tombe, suivi de l’agent H qui saute sur la plateforme. Elle enlève sa capuche, ses lunettes, son bonnet, ses gants et tend la main pendant que sa chevelure brune bouclée se déploie :
- Bonjour, je m’appelle Heidi. Ambassadrice de la Suisse F, dépêchée par Greta. Je dois rejoindre Paris.
- Bonjour je suis Sandrine de la station 25. Bienvenue.
- Je prends sa main et je m’approche pour lui faire la bise. Elle est surprise. Je referme la porte en métal. Clapets, nouvelle pression. On descend se mettre au chaud et à l’aise pour discuter.
- Je suis bien contente d’être là. L’ambiance dans les montagnes suisses n’est pas très agréable. Toute cette confidentialité et ces secrets, ça m’épuise. Je te déclare assermentée, j’ai besoin de quelqu’un de confiance. Je vais voir avec ta hiérarchie si tu peux m’accompagner à Paris. Maintenant, il faut que je te dise : je suis une sorte de médium. Juste en te touchant la main j’ai vu qui tu étais. Et avec ta bise encore mieux. Deuxième couche : Greta m’a trouvée. Elle est moi on est connectées psychiquement ensemble avec toutes celles qui ont également en elle une âme en plus, de passage, on est leur hôte. En fait elle me prend aussi pour une légende. Je suis Suisse. Je m’appelle Heidi. Je suis orpheline. Je vivais avec mon grand-père dans les alpages. Mon copain s’appelait Pierre. Tout comme dans le bouquin. Malheureusement ils sont morts tous les deux, du virus. Et Greta veut absolument me présenter sa Clara. Elle n’est pas paralysée comme dans le roman, elle est juste sourde.
- Tu vas aller jusqu’à Stockholm alors ?
- Je pense que oui. Ils veulent tous d’un agent double ou triple, je dois connecter les réseaux, j’ai les codes sur moi dans mon smartphone et du matériel là-haut dans la motoneige. J’aime bien la déco ici, c’est chaleureux, personnalisé.
- Tu veux boire quelque chose ?
- Je crois que tu as du café et du lait, avec du miel ?
- Tu vois vraiment tous ces détails ?
- Je vois surtout que tu es très jolie.
- Tu rigoles ? J’ai un gros nez et je suis plate comme une limande.
- Je vois en premier avec le cœur et ce que voient mes yeux ne me déplaît pas. Je suis en carence totale de chaleur humaine. Est-ce que je peux te tenir la main, garder le contact ?
- OK, viens, on va préparer le café ensemble. Je suis la main gauche et tu es la main droite, d'accord ?
Elle est trop jolie, elle me plaît bien aussi. Qu’est ce qu’elle parle… ! Les autres ne seront pas rentrés avant plusieurs jours. Je sens qu’on va bien s’amuser. Je sens que je suis sauvée. Merci Heidi. Merci Aurélie. Merci Greta. On boit notre café au bar, l’une en face de l’autre, elle me tient la main, elle parle. Je l’écoute, je la regarde. On se regarde. Elle se tait. On a plus besoin de parler. Elle s’approche et m’embrasse, sur la bouche. Un goût de miel. Je sais qu’à partir de maintenant j’en mettrai toujours dans le café, moi qui n’en met jamais, juste pour me souvenir de cet instant. Pour moi c’est un contact, le contact de ma vie. Un baiser d’amour absolu. La légende Heidi. Je sens maintenant sa langue, je ferme les yeux. Je vois au fond d’elle, son âme, elle est accompagnée d’une autre, une autre qui a été très marquée par sa dernière hôte qu’elle a perdu il y a longtemps, elle a erré pendant des années dans les limbes avant de trouver Heidi. On arrête de s’embrasser et je demande :
- Qui c’est ?
- C’est Annemarie Schwarzenbach, une aventurière, une ange blanche. Elle avait même été repérée par un écrivain de l’époque qui l’avait surnommé « l’ange inconsolable ». Je dois être quelqu’un d’important. Les anges blanches n’investissent pas n’importe qui. Elle m’influence un peu et je pense que moi aussi.
- Oui, j’ai senti que c’était elle qui m’embrassait aussi.
- C’est la meilleure façon de communiquer. Embrasse-moi, à ton tour.
Alors je l’embrasse, tendrement, longuement, on se tient les deux mains et on bascule dans un autre monde, parallèle, perpendiculaire, tangent.
Je vivais dans un endroit où l'air était si pur
Où il y avait de la joie, où tout était nature
L'amour et le calme en ont fait un lieu sûr
Au milieu des alpages, je me sens si bien
Comme en haut d'un nuage où rien ne m'atteint
Il n'y a plus de rayons du soleil le matin
Avec mes amours, j'étais comme au paradis
On m'appelle Heidi, chaque jour est une mélodie
Je vis là où la lumière est la plus belle
Où le vert des clairières me manque avec le ciel
Un peu comme dans un cauchemar, mais tout est bien réel
Et j'apprend à aimer la vie comme elle est
À sourire au présent, ici, maintenant
Avec mon Annemarie et ma Sandrine en moi
On s'en va toutes ensemble retrouver la Greta
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