Premier Épisode : Toutes les Questions du monde
Dysill glissa sa petite main à l'intérieur du sac posé là quelques instants plus tôt. Elle y trouva un portefeuille en cuir grassement rempli et s'en empara avant de s'enfuir en courant. Ce n'était pas une activité très gratifiante, mais c’était tout ce qu’on lui avait appris.
Elle y avait trouvé goût. Elle passait son temps à perfectionner ses techniques de chapardages et d'escroqueries en tous genres, volant ici, truandant là. Très tôt, elle avait compris qu’il lui faudrait être efficace et que pour l'être, il fallait travailler.
Depuis une bonne trentaine d'années, la vie dans la cité était devenue périlleuse. Désormais, peu pouvaient se vanter de gagner autant que ce que venait de récupérer Dysill. D’ailleurs, elle était heureuse de connaître la valeur des choses. S'asseoir au sommet d'un clocher, manger un plat chaud, dormir sur un duvet pas trop troué, survivre après s'être mangé une mandale ou deux…
Mais aujourd’hui, c’était particulier. Aujourd’hui, les rues étaient pleines à craquer, plus encore que d’habitude, car une nouvelle venait de tomber.
Cette ville, c'était un point de passage obligatoire pour tout voyageur qui se respectait. Le carrefour du monde, une immense cité de roche noire et d'argent qui s'étendait sur soixante lieues du Nord au Sud, quarante d’Ouest en Est. C'était une cité d'un nouveau genre où métiers et castes se confondaient dans les rues. Ici, les étrangers habitués au confort de la ségrégation se trouvaient bien mal à l’aise en surprenant le notable en train de discuter avec le saltimbanque. Les autochtones, au contraire, tiraient une certaine fierté de la situation. Depuis que la cité était devenue ce rond-point civilisationnel, les affaires semblaient marcher plus que bien pour ces habitants de la Plaine. En fait, c’était à présent le centre du monde, le pays de tous les possibles.
Tout le monde avait oublié que la Cité-Monde était autrefois une petite bourgade de fermiers, parce qu’elle inspirait le monde, maintenant. Tout comme Nicolas Gath en son temps.
Du moins, c'était l'image que l’on pouvait s’en faire, vu de l’extérieur. A force de n’exister qu’en apparence, de vouloir tout être à la fois et de ne jamais rester une chose ou une autre, cette ville n’était plus vraiment grand-chose. Une coquille vide, sans âme, sans corps, sans peuple car celui-ci allait et venait, commerçant au fil des saisons. Il formait une masse informe et incohérente qui refusait de se structurer autour d’autre chose que la marchandise. Ces pauvres remparts n’étaient plus qu’un immense tirelire à ciel ouvert attendant un jour d’être brisée par celui qui en aurait la force.
Et pourtant, une idée saugrenue commençait à s’insinuer dans cette mosaïque insolite. Une idée qui orientait enfin tous les regards dans la même direction : Nicolas Gath était de retour.
Il ne faut cependant pas croire que dans la Cité-Monde, tout le monde était logé à la même enseigne. Quelques propriétaires immobiliers tiraient leurs épingles du jeu et trouvaient loisir dans les quartiers les plus luxueux, loin de la foule. Ces goinfres mangeaient à la déraison, forniquaient tant que c'était possible et, par ennui, en venaient à faire les deux en même temps. D’un autre côté, c'était grâce à eux que Dysill pouvait subvenir à ses besoins et, à chaque larcin, elle ne manquait pas d'avoir une petite pensée pour eux.
Elle avait élu domicile dans l'un de ces vieux greniers à blé qui servaient encore du temps où l’Andar avait moins de bouches à nourrir. Comme tous les entrepôts de ce genre, il avait sans doute appartenu à un riche paysan. Un de ces pionniers qui avaient donné une partie de sa renommée à la Cité-Monde. Il était ensuite tombé à l'abandon lorsque les dernières terres cultivables n'offraient plus rien de bon et que les fermiers durent s’établir plus loin au Sud. Il avait par la suite été occupé par un groupe de malfrats ou de terroristes.
Peut-être l'était-il encore.
Si c'était le cas, Dysill n'aurait qu'à changer une fois de plus de repaire. Cela dit, ça ne l'effrayait pas. Il lui était déjà arrivé de rouler la pègre locale en offrant ses services de cambrioleuse. Ce jour-là, elle s’était emparée à la fois du butin et de la récompense qui lui avait été promise. Elle avait ensuite mis l’escroquerie sur le compte d’une bande rivale et déserté le quartier. Ce souvenir l'amusait encore, même si elle ne pouvait le raconter à personne. Elle dépensait tout son argent dans les tavernes et offrait de bon cœur le reste de ses gains à ceux qui en avaient, selon elle, bien plus besoin. De toutes façons, c'était une hors-la-loi, elle pouvait difficilement se permettre d’acheter une maison et de faire imprimer des papiers à son nom.
D'ailleurs, il fallait pour cela qu'elle ait au moins un parent Andarien, et, manque de chance, elle n'en avait jamais eu.
Dysill, c'était un nom que la rue lui avait donné, parce qu'il en fallait bien un pour nommer la petite fouine qui s'amusait à se jouer du gratin et de la mafia. Elle n'avait pas de nom de famille parce qu'elle n'avait pas de famille, c'était Dysill, juste Dysill. En marge de la marge.
Elle vivait au jour le jour dans cette fourmilière. Seul le présent existait dans un endroit comme celui-ci. Pas de prise de tête, pas de prise de risque inutile, pas le temps pour réfléchir à la suite des évènements. Elle ne se le permettait pas.
Mais, parfois, du haut des tours, elle voyait l’horizon se dessiner. Si la brume se dissipait, elle s’autorisait à y penser. Si elle pouvait entrevoir ce qu’il y avait au-delà de la Cité… elle avait le droit de se poser toutes les questions du monde.
Ce soir-là, elle était affamée et assoiffée, mais elle avait décidé de ne pas se rendre dans sa taverne favorite. Elle commençait à trop y être connue, et s'il y a bien une chose qu'elle avait appris, c'était de ne pas trop attirer l'attention. Aussi marchait-elle parfois pendant des jours pour changer de quartier.
Il n'est pas difficile de se cacher dans une ville de cette envergure, mais il faut parfois faire preuve d'un peu de prudence, surtout lorsque l'on pratique un métier à risque. Encore moins ces derniers temps, depuis que Nicolas Gath est de retour.
Dysill était donc sortie dans la rue, vêtue de son habituelle tunique bleue délavée et nouée à sa taille par une ceinture. Elle avait emporté son butin d’une dizaine de pièces et cherchait une petite auberge, un lieu où elle pourrait manger, boire et s'amuser un peu. Son petit plaisir personnel était d'écouter les histoires de voyageurs qui allaient et venaient. Elles lui laissaient toujours entendre que d’autres mondes existaient, en dehors de la Cité.
Elle s'arrêta pour refaire ses lacets près d'un petit bistrot, à peine à deux lieues des portes Sud de la ville. Là, un homme était accoudé au mur. Son épaisse paire de lunettes rectangulaires donnait à ses yeux tristes un peu de discipline. Il fumait un petit cigare et semblait attendre quelque chose ou quelqu'un. Il adressa un sourire à Dysill lorsqu’il la vit et cela suffit à la jeune fille pour se décider à entrer.
En plus du fait qu'elle commençait sérieusement à avoir faim.
L'endroit était plutôt sympathique. De nombreux voyageurs trinquaient à leur arrivée ou à leur départ. Des amis se retrouvaient pour la cinquième fois de la semaine. D'autres buvaient simplement parce qu'ils avaient soif, mais il faut avouer que ceux-ci étaient les plus rares. Au milieu du brouhaha incessant que Dysill affectionnait tant, il restait quand même une petite table dans le fond de la pièce. Elle alla s'y installer et commanda un rumsteck avec une pinte de bière.
Ah... le boeuf… ! Elle l’aimait bien juteux, saignant, salé et assaisonné d'épices dont elle ne parvenait jamais à prononcer le nom correctement. Souvent, elle s’éclatait la panse à la bavette de flanche, à l’onglet, à la hampe, au tendron... Tous ces noms mélodieux éveillaient en elle une colossale envie de vivre, et elle se disait souvent que si elle avait pu arriver jusqu’ici sans en mourir, c’est parce que ces choses-là avaient entretenu son sens de la victoire. Elle avait mieux mémorisé la cuisson parfaite de chaque pièce d'un boeuf que le plan de sa propre ville.
Mais à une tablée d'elle se trouvait un duo pour le moins atypique. Une sorte de jeune colosse qui devait bien peser ses deux cent cinquante livres se trouvait en face d'un autre garçon de son âge, beaucoup plus mince. Celui-ci était vêtu d'un long manteau blanc et or dont le col recouvrait même sa gorge et sa bouche.
Le plus gros était d'apparence aussi titanesque que le repas qu'il avait commandé. Comment un être humain était-il capable d'engloutir tout ça ? Lui, les bavettes et les entrecôtes, il se les enquillait avec châtaignes, pommes de terre, champignons, petits légumes, fromages et sauces par-dessus le marché. Le pire, c’est que l’on distinguait pourtant sur son visage la hargne et la déception de celui qui a encore faim. Il portait l'une de ces vieilles tenues de voyage légères des gens du sud, avec une bandoulière qui maintenait sa ceinture.
Cette ceinture luttait avec fermeté pour ne pas perdre face à l’impressionnante tonicité du ventre du colosse, et un petit poignard y était accroché. Un poignard qui devait aussi bien servir d'arme de défense que de couteau à tout faire. Il était également équipé d'une petite sacoche qui semblait terriblement lourde, vu le bruit de ferraille qui s'en échappait.
Il ne parlait que très peu à son compagnon qui ne répondait que par des hochements de tête et de petits signes de la main. Et, de temps à autres, il regardait autour de lui pour vérifier que personne n'entendait ce qu'il était en train de dire. Après avoir laissé s’échapper un filet de bave peu féminin sur sa viande grillée, Dysill tendit l’oreille pour tout écouter de leur conversation, non par intérêt, mais par curiosité. Cela l'occupait un petit moment.
Entre les chuchotements et les signes discrets, il est une phrase qu'elle distingua mieux que les autres.
Le gros s'adressait à son compère :
- Passe-moi la carte, tu veux ?
Le garçon au long manteau s'exécuta, il sortit de sa veste un petit casse-tête de bois orné d'inscriptions et le tendit à son ami. Le mécanisme semblait pouvoir s'emboîter et se déboîter dans tous les sens comme un puzzle, mais en trois dimensions. Le colosse s'affaira à le résoudre et se frotta la tête. On voyait qu'il connaissait la solution mais que ce n’était pas la première fois qu’il l'oubliait.
- Il pouvait pas rendre ça plus compliqué encore, cet espèce de tordu ?
Le garçon au manteau ne répondit toujours pas. Le gros finit par achever de résoudre le puzzle et, voyant qu'il se mettait à remuer vivement, le serra contre lui pour en absorber les vibrations.
- Et pas fichu de construire un machin plus discret.
L'objet intriguant cessa de bouger dans tous les sens et le colosse le posa sur la table. On y distinguait très clairement un itinéraire routier incrusté dans le bois.
- Bon alors, écoute bien, Lurian. Nous, on est là. Donc tu vois, une fois qu'on aura passé l’Andar, on sera tranquilles pendant un moment : C’est que de la steppe et de la rocaille. Mais après, c'est là que ça se corse : on sera obligé de couper par le Sidaltra. C'est dangereux, mais il faut qu’on suive très précisément l'itinéraire si on veut le trouver, notre "Gath"… Et sans guide, ce sera compliqué.
Dysill se trouva alors amusée par les mots du jeune garçon. "Gath", tout le monde avait déjà entendu parler de cet homme. Tout le monde savait qui était le fameux Nicolas Gath. Une sorte de sage. Un érudit qui aurait réponse à toutes les questions. L'un de ces gardiens du savoir qui en savaient plus que n'importe qui. L'encyclopédie humaine ultime à qui rien ne semblait pouvoir échapper, pas même l'intimité des millions d'âmes qui peuplaient ce monde.
Certains parlaient de mysticisme et de pouvoirs occultes, d'autres d'une intelligence hors-norme et d'un incroyable sens de la déduction, mais tous s'accordaient à dire qu'il s'agissait d'un être exceptionnel, y compris ceux qui ne le considéraient que comme une légende.
Nicolas Gath n'avait rien d'une histoire à dormir debout, il avait acquis ce statut après avoir complètement disparu de la circulation il y a de cela bien longtemps. Peut-être était-il mort. Toujours est-il qu'aucun corps n'avait jamais été retrouvé, et s'il était encore en vie, personne ne savait où il avait pu se trouver pendant tout ce temps.
- Toujours obligés de se donner l'air mystérieux, ces vioques, reprenait le colosse.
Lurian acquiesça.
- Tu l'as dit. Ce pays me fout la nausée, en plus. S'il avait pu venir à nous plutôt qu'on vienne à lui, ça m'aurait pas fait de mal.
Lorsque Dysill se souvint des rumeurs et des murmures qui agitaient les voyageurs du moment, elle se sentit envahie d’un sursaut d’émotions. «Nicolas Gath est de retour », disait-on depuis des mois .
On lançait sans arrêt le nom de Gath, on disait qu'il avait été aperçu, certains voulaient se lancer à sa poursuite pour lui demander où se trouvaient les plus grandes richesses. Dysill commençait à se demander si les énergumènes à côté de qui elle s'était assise n'avaient pas réellement en leur possession la clé vers tout le savoir du monde.
Peut-être que non. Sans doute que non.
Mais elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer que ces jeunes hommes savaient vraiment où se trouvait Nicolas Gath. Et alors que la curiosité commençait à titiller la jeune fille, les deux voyageurs quittèrent la table sans finir leurs assiettes. Peut-être parce qu'ils n'avaient plus faim, sans doute parce qu'ils avaient remarqué que la jeune fille s'était rapprochée à quelques centimètres d'eux justement pour écouter leur conversation. Ils se rendirent vite compte qu'ils avaient été entendus et s'empressèrent de sortir de la taverne avant de tourner dans une petite ruelle. Dysill avala cul-sec ce qu'il restait de sa boisson, déposa quelques piécettes sur la table et emboîta le pas des deux étranges personnages.
Filant à travers la nuit, le grand et le petit couraient dans le labyrinthe que constituait le quartier. Ils escaladaient les murs, enjambaient les barrières et se hâtaient de trouver un coin tranquille. Car si la jeune Dysill avait pu les entendre, qui sait quels esprits cupides les avaient eux aussi écoutés dans la taverne ?
Ils s'arrêtèrent et reprirent leur souffle dans une petite impasse avant de s'asseoir un moment.
- Ville de malheur… Va falloir être plus discrets que ça, lança le colosse.
Mais son interlocuteur, une fois de plus, ne prononça mot.
- Surtout moi, je sais, lui dit-il comme pour lui répondre.
Et puis, l'espace d'une seconde, entre deux battements de paupières, il sentit un courant d'air frais dans son cou. Il se retourna et vit avec stupeur apparaître Dysill juste derrière elle. Elle tenait dans ses mains la sacoche qu'elle venait de lui voler et était déjà en train de fouiller à l'intérieur.
- Alors... des rations, une pierre à feu... Ah, un collier ! C'est rare de voir un homme se promener avec des bijoux de femme... Tu te travestis pas, quand même ?
- Qu'est-ce que... Mais quand est-ce que t'as... Rends-moi ça !
- Ah ! Voilà le cube ! Ça, c'est intéressant ! Alors, qu'est-ce que c'est ? C'est avec ça que vous allez voir Gath ?
- Mêle-toi de ce qui te regarde, dit le gros en essayant de lui reprendre l'objet.
Dysill s'écarta d'un pas fin et gracieux pour éviter que la poigne du lourdaud ne se referme sur la "carte".
- Alors il existe vraiment ? Qu'est-ce que vous comptez lui demander ? Vous pensez qu'il y a, je ne sais pas, une limite de questions à lui poser ?
- J'en sais rien, mais toi t'en poses déjà bien assez à mon goût. Rends-moi cette carte, sauf si tu préfères que je te l'arrache de force.
- Très bien, dit-elle en lui tendant la carte. Puis elle écarta sa main d'un petit mouvement circulaire avant de poursuivre. Mais à deux ou trois petites conditions…
- Lesquelles ?
- J'ai quelques questions à poser à ce Gath. Si c'est bien chez lui que vous allez, alors je veux venir avec vous.
- Même pas en rêve. Non mais pour qui tu te prends ?
- Alors tant pis ! dit-elle avant de partir sereinement, la carte en main. Mais le garçon au manteau blanc qui s'était jusque-là fait plutôt discret se jeta sur elle, tentant au passage de dérober le précieux document avec une vitesse et une agilité déconcertantes, sans succès.
- Hé ! Mais t'es un rapide, dis-moi ! C'est quoi, ton nom ?
- Il risque pas de te répondre, lui dit le colosse, Lurian est muet.
- Lurian, hein ? Vous venez du sud, donc. Rétorqua-t-elle.
- Oui, et si tu connaissais mieux les gens de chez nous, tu saurais qu'il vaut mieux nous rendre cette carte maintenant.
- Encore une menace ? Je suis pétrifiée de terreur, lança-t-elle d'un ton sarcastique.
- Tu l'auras cherché, gamine, s'exclama le colosse avant de dégainer son poignard.
Il se rua sur la jeune fille et tenta de lui envoyer un coup de poing dévastateur, à en faire trembler les dalles du chemin pavé sur lesquels se trouvaient les trois adversaires. Mais l'agilité de la cambrioleuse avait raison de la force titanesque du Khenasien. Un par un, elle évita chacun de ses coups avant de bondir en arrière.
« C’est qui, ce taré ?! frissonna-t-elle. Si je m’étais mangé ça, je serais morte. »
La brute ne se décourageait pas pour autant, elle se rapprochait encore de Dysill, tentant de la coincer devant le mur de l'impasse. A nouveau, le gros envoya deux grands coups de poing lents mais horriblement puissants. Elle parvint à esquiver le premier mais fut frôlée par le second qui vint lui entailler la joue et la fit tomber à la renverse. Au sol, prise au piège, elle prit appui sur ses deux mains avant d'envoyer un fulgurant coup de pied en plein dans la mâchoire de son assaillant. La tête de celui-ci heurta le rebord d’une fenêtre de plein fouet et il sembla ne rien sentir. Elle se décala quelques mètres plus loin et passa un instant dans le rayon de lumière d’un réverbère. Ses deux adversaires distinguèrent plus clairement sa forme : C’était une jeune fille de quinze ou seize ans qui ne dépassait pas le mètre soixante. Elle avait des cheveux châtains et frisés qu’elle avait dû couper court pour une meilleure visibilité lors des combats. Petite et peu robuste, elle avait pourtant une efficacité hors-normes pour ce qui était de l’esquive et de la précision. Elle avait l'air consciente de son gabarit et du peu de force qu'il lui allouait. Aussi, elle cherchait toujours à frapper là où l'on ne l'attendait pas, à se servir de son environnement et à fuir s'il n'y avait pas d'autre choix.
Elle faisait à présent face à celui que l'on appelait Lurian, le garçon au manteau. Jamais Dysill n'avait vu de pareil habit, ni chez les hommes du sud, ni parmi les gens des montagnes, des plaines ou de l'est. Les runes et les dorures de son manteau ne semblaient pas représenter quoi que ce soit d'identifiable, si bien qu'on aurait pu croire qu'il venait d'un autre monde.
Si le jeune garçon n'était physiquement pas très impressionnant non plus, une aura terrifiante émanait de lui. Il ne clignait jamais des yeux, bougeait à peine et semblait guetter chaque faille de son adversaire avant de passer à l'attaque. Un peu comme un fauve à l’affût de sa proie.
Chasseur contre voleur, voilà un programme qui semblait intéressant. Ils se fixèrent une seconde de plus avant que Lurian ne lui fonce dessus. Il lui lança de nombreux coups du tranchant de la main. Si ceux-ci étaient moins puissants que ceux du colosse, ils étaient bien plus précis et efficaces. Articulations, nerfs, gorge : il savait exactement où il frappait. Pendant un instant, Dysill ne put suivre la cadence de ses déplacements et lâcha le précieux casse-tête, qui tomba dans la boue. Elle tenta alors de le récupérer, saisit le cube fermement dans sa main mais le lâcha aussitôt. Un puissant coup de poing dans les côtes lui fit perdre le souffle l’espace d’une seconde. Jamais elle n’avait été mise à mal de cette manière.
Prise au piège entre les murs et les deux garçons du Sud, elle fit mine d'escalader l'une des maisons. C'est à cet instant qu'elle prit appui sur la paroi et se projeta avec force sur Lurian. Elle comptait lui tomber dessus pour l'assommer, mais sa stratégie était inutile face au muet. Celui-ci saisit méticuleusement sa jambe en plein vol et l'envoya manger le sol en un seul mouvement, fluide et parfaitement maîtrisé. Dysill, à peine consciente, peinait à bouger ses membres. Lurian ramassa la carte le plus calmement du monde et alla la rendre à son ami. Il essuya la sueur qui perlait sur son front et donna une tape sur l’épaule de son compagnon. Cette image fut la dernière que vit Dysill avant de s'évanouir.
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