Episode Quinze : Trois petits lapins

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Un jeune homme aux cheveux longs et noirs avance dans la forêt embrumée. Ce pourrait être n'importe quelle forêt, n'importe où. Il est vêtu d'un très vieux sac en bandoulière auquels sont attachés toutes sortes d'ustensiles et un grand plastron. A première vue, il pourrait s'agir d'un soldat revenant de la guerre. Le silence hurlant des bois l'occupe mais ne l'inquiète pas. Et puis, il aperçoit le bout du sentier. Le village - qui pourrait, encore une fois, être n'importe quel village - est au beau milieu des arbres, et il se dresse devant lui. A première vue, celui-ci est désert. "Non", se dit-il. Il entend quelque chose. Il s'approche de l'une des maisons, celle-ci est un peu plus grande que les autres.

Il frappe à la porte. On lui demande "Qui est-ce ?", il répond "Le chasseur".

Le verrou se lève, on le laisse entrer au milieu d'hommes et de femmes pâles et frigorifiés. Pourtant, il ne fait pas si froid. La pièce est chauffée au bois. En fait, on dirait qu'il s'agit d'une ancienne auberge.

- C'est lui ? demande un vieil homme barbu en bousculant les autres.

- C'est moi, réponds le jeune vétéran. Je vais faire ce que je peux.

- Vous savez ce que vous risquez, au moins ? Vous saisissez ?

- Oui, sinon je serais pas venu.

- Cette chose, ce... Il a mangé son propre père.

La petite foule qui s'est réunie dans l'auberge se tait pour écouter ce qu'il est entrain de se tramer. Le jeune homme était-il venu pour les libérer du mal qui rongeait la ville déserte ?

- Je l'ai vu, ce jour-là, continue-t-il en perdant son souffle petit à petit. Pourtant, monsieur Glaz était un homme bien, il ne causait de souci à personne. C'est moi qui ait trouvé ses... restes. Il l'a laissé dans un sale état, je n'avais jamais vu ça... Et pourtant je l'ai faite, la guerre. Il ne restait rien de son visage et il avait rongé tout ce qui était dans son ventre...

- Pépé, dit la jeune femme qui avait laissé entrer le chasseur, épargne nous les détails.

- Ce n'est pas un homme, c'est... ! Je ne sais pas ce que c'est, mais il nous tuera tous ! Il n'est pas de ce monde, c'est certain, il vient d'ailleurs, il est...!

- Pépé, calme-toi, continue sa petite fille en lui proposant de s'asseoir, voyant qu'il s'affolle, les larmes aux yeux.

Le vieil homme essuie son front avec un tissu et reprend son souffle.

- Vous devez nous aider, monsieur. Plusieurs braves garçons de chez nous ont essayé de le tuer, et ils ne sont pas revenus. Quel malheur nous vivons....

- Bon, et bien je vais faire en sorte que vous n'en entendiez plus parler. Où est-il ?

- Il erre entre la forêt et le village, on pense qu'il habite dans la petite cabane au Nord du village où jouent les enfants... Du moins, où ils jouaient avant qu'il ne... Vous voyez. Dit la jeune femme.

Sans plus de discussion, le chasseur part à la recherche de la créature, il s'engouffre assez profondément dans la forêt pour ne plus distinguer de sentier. Il entend des pas, des bruits de sifflotements et de crissements. Prudemment, il continue d'avancer jusqu'à l'entrée d'un petit terrain de jeu. Le bac à sable est baigné de sang et de morceaux de chairs. En voyant cela, le chasseur grimace.

- Ah oui, quand même.

Les feuilles volent près d'ici, il se tient aux aguets jusqu'à ce qu'une petite silhouette bondisse sur lui. Celle-ci l'agrippe à la jambe et la mord de toutes ses forces. C'est un enfant. Le chasseur donne un coup de pied à l'arbre le plus proche pour le faire lâcher prise. Le garçon s'enfuit et se cache dans les arbres.

Le chasseur se calme, il semble souffler un peu plus fort que d'habitude et le venin sort naturellement de la plaie. Le garçon bondit à nouveau sur lui depuis les airs et se ramasse une énorme claque qui lui fait mordre la poussière. Ni une, ni deux, le chasseur le plaque au sol d'une main et cache ses yeux de l'autre.

- Je la connais, ton astuce. Il suffit de ne pas croiser ton regard et tu deviens aussi inoffensif qu'un petit lézard.

L'enfant se débat avec une force qui surpasse largement celle d'un garçon de son âge, il râle comme une bête et donne sans cesse des coups de pieds au chasseur qui le maîtrise tant bien que mal.

- Je vais te saigner ! hurle-t-il au milieu de ses grognements. Je vais te saigner, sale pute !

Le chasseur appuie sur son abdomen avec le genou pour l'empêcher de bouger.

- Ce ne sont pas des mots qui devraient sortir de la bouche d'un enfant de ton âge. Baisse d'un ton, dit-il en appuyant un peu plus fort avec son genou pour le faire taire.

L'enfant hurle.

- Alors soit tes petits copains étaient mal élevés, soit tu as souvent entendu ça. Mais qu'est-ce que ça voudrait dire, hein ? Que monsieur Glaz n'était pas un père "modèle" ?

L'enfant se tait, ne laissant entendre que le bruit de ses coups de pieds et de sa débâcle.

- Est-ce par pure folie que tu l'as mangé ? Je ne sais pas. Dans le doute, je vais te le demander, Moord. Où est ta maman ?

L'enfant arrête de bouger et de se battre, il accepte de se rendre complètement à l'inconnu et reste au sol, maîtrisé. Il se met à sangloter. L'homme retire son genou doucement, de peur qu'il ne s'enfuie à nouveau.

- C'est bien ce que je me disais. Sois sage, maintenant.

L'enfant attends patiemment son châtiment mais ne le reçoit pas. Il pense que son existence misérable va enfin prendre fin, avec toutes ses souffrances et toutes celles qu'il a infligées. Mais il ne reçoit rien.

- Lève-toi, maintenant, dépêche-toi de me suivre.

Le petit Moord se relève et regarde le grand inconnu qui semble être entrain de l'épargner.

- Tu ne me tues pas ?

Le chasseur n'a pas envie de répondre. Il a encore envie d'ignorer que de telles choses puissent sortir de la bouche d'un enfant.

- Je t'emmène loin d'ici. Elle est pas mal ta cabane, mais je pense qu'on peut te trouver un meilleur endroit où dormir.

Désorienté et toujours dans sa psychose, l'enfant ne sait pas comment réagir.

- Pourquoi ?

- Parce que t'es un monstre, et que moi, contrairement aux autres, je n'ai pas peur des monstres. Alors suis-moi avant que je change d'avis, et n'essaie pas de me grignoter sur la route, compris ?

- Tu es un monstre, toi aussi ?

- Pour le moment, contente-toi de m’appeler Ensh'Idai.

Ces mots résonnaient avec ceux qu'entendaient Edward Sica, près d'une quinzaine d'années plus tard.

- Ensh'Idai, en personne... Souverain de Khenas. C'est un honneur d'enfin rencontrer celui qui fait tant parler de lui, lança le mafieux.

- Et toi, qui est-ce que tu es, déjà ?

- Edward Sica, maître de...

- Non, finalement, je m'en fous. Je vais pas le retenir, de toutes façons.

- Charmant. Je commence à en avoir sérieusement assez, Ensh'Idai. Je vais te faire ravaler ton orgueil, dit-il en déboutonnant son veston et en enlevant sa cravate. Il les posa près de lui.

- Alors on fait vraiment ça ici ? demanda Idai.

- On dirait bien. Montre-moi ton Souffle.

- Pour qui tu me prends ? J'ai pas roulé ma bosse toutes ces années pour me battre avec un vulgaire marchand de tapis. Rentre chez toi, connard.

Une pression phénoménale envahit Sica, la même que Dysill avait ressenti le jour où il avait rendu Adrian fou. On pouvait presque entendre ses battements de coeur aux alentours, ses veines menaçaient d'éclater et les verres de ses lunettes se brisèrent en mille morceaux. Darren et Lawrence rejoignirent leur maître et se mirent en position pour se battre.

- "Trois petits lapins face au Maître Chasseur", hein ? dit Ensh'Idai.

- Un choix de mots intéressants. J'aurais aimé savoir qui tu étais réellement.

Et puis, en un éclair, Sica et Idai se jaugèrent avant de passer aux mains. S'ensuivit en échange de coups phénoménal dans lequel Sica essaya plusieurs fois de poignarder le tyran. Celui-ci recula et chacun des deux opposants se regardait. Il semblait se passer quelque chose qu'eux seuls pouvaient observer et qui restait invisible aux yeux des deux autres. Et puis, les échanges recommencèrent. Idai prenait soin d'éviter méticuleusement les coups qui pouvaient lui être portés à la tête. Et puis, Sica parvint à l'attraper à la gorge et une lumière l'envahit, comme cela avait été le cas pour Adrian.

Il hurla avant que Sica ne le lâche. Il tomba au sol et se releva quelques secondes plus tard. Celui-ci voyait flou et une mer de paquerettes s'offrait à lui. Il volait vers de nouveaux rivages dans un monde inconnu. Tout du moins, dans sa tête. A l'extérieur, il avait simplement l'air d'un vieux chien qui n'arrivait plus à se lever. Il bavait au sol et griffait la roche dans l'espoir de s'échapper de ce cauchemar infini.

Sica sourit.

- Alors c'est ça, le tyran des régions du Sud ? C'est lui qui peut battre une armée à lui tout seul ? Laissez-moi rire...

Lawrence était tétanisé, c'était la première fois qu'il voyait son maître employer son étrange capacité. Selon ce que Darren lui avait expliqué, il pouvait apparemment entrer dans la tête des gens et dérégler leurs émotions pour qu'ils ne sachent plus du tout que ressentir au bon moment. C'était déjà une idée perturbante, mais il était encore plus terrifiant de le voir en réalité. En un instant, un homme devenait un véritable légume, incapable de comprendre quoi que ce soit. Et dire que c'est ce qu'il faisait subir aux traîtres et aux déloyaux...

Pourtant, Ensh'Idai se releva, et en quelques secondes, il secoua la tête et la lumière qui était entrée en lui s'échappa par les pores de sa peau. Sica écarquilla les yeux, il n'avait jamais vu ça.

- T'es une armée, peut-être ? dit Ensh'Idai pour le narguer.

Idai dépassa en un instant les limites physiques de l'être humain et envoya un coup de coude d'une vitesse démentielle à Lawrence, qui s'évanouit. Après avoir entravé Darren et l'avoir fait tomber dans l'eau, il allait s'attaquer à Sica, mais celui-ci lui envoya son couteau en plein dans la jambe. Ensh'Idai le retira avec douleur. Cette fois-ci, il ne plaisantait pas du tout.

- Tu ne sais que donner des coups en douce ou il t'arrive d'avoir des couilles et de te battre comme un homme ? lança-t-il d'un ton froid.

- Tu as du toupet pour me dire ça, vu les méthodes de ton larbin.

- Tu as affronté Moord ?

- Oui et ce n'était pas un gentilhomme des plus agréable. Mangeur d'hommes, en plus ? Je l'ai supprimé, naturellement.

- Tu l'as...?

A ce moment là, lorsque l'on est Ensh'Idai, on espère de tout coeur que Sica est entrain de bluffer. Mais au fond, on sait que non. Et là, tout explose en nous. On sait depuis quand on foule ces terres à la recherche de la Clé. On se demande si tout n’est pas vain. Si tout ne devrait pas se finir maintenant. Mais on est Ensh’Idai, et l’on n’aime pas du tout être dérangé. Pas à ce point. On repense à Moord, et on réalise que pendant ces longues années de solitude à gouverner une terre si loin de chez soi, cette créature était ce qu'il se rapprochait le plus d'un ami.

Alors on se tapote les joues, et on regarde celui qui a osé se croire plus fort que nous. On se demande comment il a pu croire un instant que ses petits intérêts avaient plus d'importance que notre Mission.

Et on explose. Une matière noire et visqueuse nous envahit, et Sica se rend compte bien trop tard de son erreur. La pression augmente encore et encore, alors que la matière fond autour de nous. Il savait que le Souffle circulait en nous, et il n'a pas sû être raisonnable. On le regarde commencer à courir, alors que ses convictions s'envolent pour laisser place à ce pitoyable esprit de survie.

On juge sa volonté, et l’on estime qu’elle ne vaut rien. Quel gâchis : perdre Moord face une si faible force de caractère. On l'attrape par la nuque et on sent sa chair fondre. Non, disparaître, comme si elle n'avait jamais existé.

Le Souffle du Néant nous enveloppe, et et on ne laisse de lui que des monceaux de chair pour les vers. On rend enfin insignifiant ce qui pensait signifier quoi que ce soit : Rappel à l'humilité.

C'est ce qu'Ensh'Idai pensa, et c'est ce qu'Ensh'Idai fit. Jusqu'alors, il avait déjà perdu beaucoup trop de temps, et la perte de Moord ne signifiait plus qu'une chose à ses yeux. Un choix. Il obtiendrait une réponse de Gath, ou il réduirait le monde entier en cendres.

Et en parlant de monde détruit, c'est exactement ce qui se passait dans la tête de Dysill en entendant ces quelques mots : "Nicolas Gath est mort". Depuis dix ans. Soit le vieux s'était bien fichu de Keldan, soit son message était arrivé bien trop tard. Ironique que l'homme qui savait tout n'avait apparemment pas anticipé sa propre mort.

- C'est une blague ? Tenta-t-elle.

- Non, répondit le jeune homme. Je regrette, mais il est mort il y a 15 ans, 6 mois et 21 jours, dit-il en se grattant la tête.

- Mais vous, qui êtes-vous ?

- Je m'appelle Kyundo. Je... garde la demeure de Nicolas Gath depuis qu'il est mort.

Les questions se bousculaient dans la tête de Dysill. Elle ne savait pas par où commencer. Tout ce à quoi elle s'attendait tombait en miettes.

- Entrez, je vous en prie, dit Kyundo en ouvrant la porte en grand.

Les trois jeunes gens s'installèrent sur des chaises que Kyundo avait avancé pour eux. Il mit de l'eau à bouillir dans une petite marmite et prépa quatre tasses. Il rangea ensuite quelque chose dans des placards, assez vite pour ne pas que ses invités le voient. Et puis, il nettoya un peu la table.

- Monsieur Kyundo, vous saviez si Nicolas Gath a passé des annonces avant de mourir ?

- Oh, ne m'appelle pas monsieur, on doit presque avoir le même âge... dit l'homme.

- Quoi ? dit Keldan. Mais quel âge vous avez ?

- Et bien, je suis né en 1312, sachant qu'on est en 1336, je vais avoir 24 ans, ou je les ai eus... Je ne sais pas.

- Pardonnez-moi, Kyundo, mais, à moins que le calendrier soit différent dans cette région, nous sommes en 1343.

- En... 1343 ? Je n'ai pas assez prêté attention à l'heure...

"Il est complètement à l'Ouest", pensait Keldan depuis leur arrivée.

- Mais je ne vois pas de quoi vous parlez. Des messages ? Dans quel genre ?

- "Trouvez-moi, et je répondrais à une dernière question". Ca vous dit quelque chose ? Il l'aurait envoyé à des amis, dit Keldan.

Kyundo eut un instant d'absence avant de revenir à lui et de servir une tasse de thé à ses invités.

- Non, j'ignorais qu'il avait ce projet, dit-il en s'installant en bout de table, buvant son thé un peu trop chaud. En fait, si vous avez reçu quelque chose dans le genre, j'ai bien peur que ce soit un faux.

- Et pourtant, on avait aussi une carte, et elle nous a mené jusqu'ici, dit Dysill.

- Non, c'est impossible... dit Kyundo. Nicolas Gath n'aurait jamais fait une carte qui mène à cet endroit. Montrez-là moi.

- On l'a égaré, malheureusement. Mais c'était plutôt un genre de cube, qui rentrait entre deux petits cerceaux, et les côtés pouvaient bouger pour révéler la carte, continua-t-elle.

- Même en y réfléchissant, je ne vois pas pourquoi il aurait construit une telle chose.

- Pourtant il l'a fait, dit Keldan. Comment on serait arrivés ici, sinon ? On peut pas dire que vous viviez en centre ville...

- Ce n'était pas son genre, c'est tout.

Ces mots interloquèrent Dysill.

- Vous le connaissiez bien ? Vous étiez une sorte de majordome, ou ce genre de choses ?

- Ce genre de choses, oui. Répondit-il, l'esprit ailleurs.

Dysill et Lurian commencèrent à boire, mais Keldan ne toucha même pas à la boisson. Il se leva brusquement en posa ses lourdes mains sur la table.

- Je suis pas venu boire le thé, Kyundo. On est tous venus pour une raison. Gath a promis de répondre à une question. Est-ce que vous pouvez le faire à sa place, oui ou non ?

- Seulement dans la mesure du possible, dit Kyundo en regardant sévèrement Keldan, un peu irrité qu'il violente autant sa belle table cirée.

- Donc, vous ne savez pas tout. Vous n'avez pas de pouvoir magique ou de savoir éternel.

- Ni l'un, ni l'autre, répondit Kyundo.

- D'accord, très bien. Merci pour votre accueil mais je dois rentrer chez moi.

Keldan se leva et prit la porte dès qu'il le put, il mis son sac en bandoulière sur son épaule et emboîta le pas fermement. Lurian courut après lui pour le rattraper. Il se mit devant lui et l'empêcha de passer.

- Pousse-toi, Lurian, on rentre. Que veux-tu qu'on fasse ? On a perdu assez de temps.

Lurian lui fit signe de faire preuve d'un peu de patience pour que tous trois comprennent ce qu'ils faisaient ici.

- De patience ? De patience ?! hurla-t-il en le saisissant par le col pour le soulever largement au dessus de sa tête.

Dysill accourut à son tour vers les deux garçons pour les calmer.

- J'ai perdu DES MOIS à venir ici, des MOIS entiers, pendant lesquels tout le monde chez moi est peut-être MORT ! Maintenant, il faut qu'on refasse TOUT le chemin inverse sans avoir RIEN appris ! Ce voyage m'a rendu malade, on a rencontré des fous dangereux, des bêtes dégueulasses, un serpent humain, des villages malsains et maintenant un vieux paumé dans une cabane en ruines nous dit qu'on a fait tout ça pour RIEN !!! Ce vieux cube, ça servait à RIEN, et par dessus-tout, Soto a été assassiné... POUR-DU-VENT !

- Lâche-le Keldan ! Lâche-le, enfin ! cria Dysill en s'accrochant à son bras.

Il reposa Lurian, réalisant à peine ce qu'il venait de faire.

- Je m'excuse, pardon Lurian.

"Non, tu as raison. Nous devons rentrer à la maison." répondit son ami avec des signes.

Keldan et Lurian commencèrent à partir.

- Je vous rejoint, les gars. Je vais juste faire quelque chose.

Dysill rentra chez Kyundo, qui les regardait depuis le pas de la porte. Elle tendit sa main à l'homme pour qu'il lui la serre.

- Je suis vraiment désolée pour le dérangement, Kyundo. Vous comprenez, nous espérions vraiment obtenir des réponses.

- Oui, je comprends. Moi aussi, j'aurais aimé qu'il soit là pour vous répondre, Dysill.

- Vous savez, je n'avais qu'un faible espoir. Mais pour eux, la situation est critique, de ce que j'ai compris, alors il a craqué. Excusez-le, il n'est pas toujours comme ça.

- Quelle était votre question, Dysill ? demanda-t-il.

- "Comment triompher de n'importe quelle adversité ?"

- Ah oui ?

- Oui.

- "Je répondrais à une seule question", vous avez tenu ça en compte, n'est-ce pas ? Vous avez préféré opter pour quelque chose de général plutôt que de choisir quel "souhait" exaucer.

- C'est ça...

- C'est bien pensé, mon père aurait adoré répondre à cette question. Il vous aurait certainement aidé, mais je ne peux pas faire de même.

- Vous avez dit "mon père" ?

Kyundo sourit.

- Oui. Je n'étais pas le majordome de Nicolas Gath. C'était mon père adoptif, et mon maître.

Dysill était choquée, elle n'osait plus répondre.

- Je... je... Kyundo... Gath, donc ?

- Oui, en quelque sorte.

- La vache...

- Je compte sur vous pour ne pas alerter le monde, Dysill... Mon père préférait être discret et ne voulait pas que l'on vienne le voir sans arrêt... Je suis un peu de son avis.

- D'accord, t-très bien... Mais donc, vous n'avez pas hérité de ses "capacités" ? C'est quoi d'ailleurs, un pouvoir magique ? Une astuce ?

- Ca, je pense qu'il aurait aimé le garder secret.

- Mais vous, vous pouvez répondre à nos questions ? Tout à l'heure, vous l'avez dit ! "Dans la limite du raisonnable" ! Et pour vous, pas de limite de questions ! Alors dites-moi : Comment est-ce que l'on défait un tyran ? Comment est-ce que l'on trouve un maximum d'argent pour construire un orphelinat ? Est-ce qu'il y a un moyen de retrouver un père perdu ? Est-ce qu'un enfant peut ressusciter ? Est-ce qu'on peut...

- Stop, Dysill. Arrêtez. Faites preuve d'un peu de respect.

- Oui... Pardon.

- Vos amis vous attendent, je crois.

- Oui. Pardonnez-moi. Merci pour tout, monsieur Gath.

- Kyundo.

Dysill partit toute penaude. Qu'allait faire le petit groupe, maintenant ? Que feraient-ils pour Ensh'Idai ? Et aussi : Qu'allait devenir Adrian ? Allait-il encore croupir dans son hospice pendant longtemps ? Elle finit tout de même par rattraper ses coéquipiers, assis sur un rocher dans la petite forêt. Keldan avait pleuré, cela se voyait, mais elle ne voulait pas le lui dire. Elle s'assit près d'eux.

- Ca y est, la fin du voyage, hein.

- On dirait bien, dit Keldan.

Quelques oiseaux parlaient encore dans les arbres, mais excepté eux et le bruit du vent dans les feuilles, le silence régnait. Cela dura bien une heure.

- On y arrivera, dit Dysill.

- Pardon ? demanda Keldan.

- On battra Ensh'Idai, on trouvera un moyen. De toutes façons, même si on avait eu notre réponse, il aurait fallu qu'on la mette en application.

Keldan ne pensait même pas que Dysill pensait à ce voeu-ci.

- Et comment ? Je te rappelle que c'est ce type qui peut vaincre une armée à lui tout seul.

- Alors on improvisera, c'est pas grave. Esvet connaît peut-être des gens, Gulliver aussi. Et on lui ramènera une bestiole bizarre comme celle qu'on a rencontré !

- Le cerf, là ?

- Non, Kyundo, rit-elle.

Keldan et Dysill rirent un peu, le garçon se releva et lui donna une tape sur l'épaule.

- Merci d'être là, avec nous.

Keldan redevint peu à peu lucide, au fur et à mesure que le choc ressenti plus tôt redescendait.

- Mais c'est quand même bizarre, cette histoire, dit-il. La carte, l'endroit, tout est bon. Mais on est en retard de quinze ans. Comment c'est possible ? Et Kyundo, aussi...

- Ah oui ?

- Ouais... Déjà, son prénom. Kyundo, c'est un nom de chez nous, ça... C'est du Khenasien ancien, ça n'a rien à faire ici.

- "Keldan" aussi, c'est du Khenasien ancien ?

- Non, si tu voulais retranscrire mon nom dans cette langue, ça donnerait plutôt "Shildo". Et pour Lurian, "Liu Lee Han". Mais à part ça, je le trouve louche. Pourquoi est-ce qu'il habite ici, tout seul ? Qu'est-ce qu'il y fait ?

- Ca, je le sais pas, dit Dysill en s'appuyant contre un arbre. On ne le saura jamais.

Keldan regarda Dysill un instant et parut légèrement troublé. L'arbre sur lequel elle se tenait appuyée avait un air singulier.

- Euh... C'est quoi, cette...

A la base de l'arbre, ce qui semblait être un enchevêtrement de racines avait l'air beaucoup trop symétrique et linéaire. Et malgré la mousse, on aurait dit que la texture de l'écorce était écailleuse. Mais en Rlevant la tête, les enfants virent avec horreur que cet arbre n'avait pas de cîme. C'était un gigantesque oiseau à très longues pattes qui devait mesurer vingt mètres de haut. Celui-ci avait une peau et un plumage imitant parfaitement le terrain mousseux et boisé de la forêt. Mais le pire, c'est que ses deux petits yeux brillants les regardait avec cruauté dans l'obscurité des bois.

Les trois enfants reculèrent et l'animal poussa un cri perçant. Il déploya ses ailes d'un geste brusque, faisant tomber tous les arbres environnants. Il tenta d'avaler Keldan tout rond à l'aide de son énorme bec, mais celui-ci parvint à l'éviter de justesse.

Celui-ci les fixait à nouveau de toute sa hauteur. Cette créature inhabituelle savait la même chose que les enfants : Qu'ils n'avaient nulle part où s'échapper. L'oiseau était assez grand pour toujours les rattraper, et assez fin pour passer même dans les petits passages. Ils étaient complètement piégés, et aucune arme, aucune ruse ne pourrait les sauver, cette fois.

'Trois petits lapins face au Maître Chasseur', comme le disait la comptine.

Mais les feuillages vibrèrent soudainement. Quelque chose était à l'affut dans les arbres. Et en un puissant coup de pied, Kyundo fit tomber la bête géante par terre.

Dysill n'en croyait pas ses yeux. Non seulement le fils de Gath venait d'assomer une bête de près de dix fois son poids, mais en plus, il volait. Pas métaphoriquement ou de manière exagérée. Il flottait vraiment dans les airs et flamboyait.

Elle était là, la solution. Gath n'avait peut-être pas fait d'erreur en les envoyant ici. Peut-être que d'une manière étrange, il avait prévu cette rencontre, et que Kyundo serait la clé de l'énigme.

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