Episode Dix-Sept : Loyauté

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Deux hommes drapés d'or et de noir marchent dans le sable chaud. Ils traversent le désert depuis ce qui semble être des jours. Ils doivent être en quête d'un peu d'eau.... ou d'un peu de chair...?

- Hâte-toi, Moord. Le soleil se couche.

- Attendez une seconde, s'il vous plaît... répondit le garçon d'une quinzaine d'années. Je crève de chaud.

- Moord, ne joue pas à ça. Tu crèveras d'autre chose si tu continues de te plaindre.

- Pardonnez-moi, Seigneur Ensh'Idai, répondit-il noyé de sueur, et pas seulement à cause la chaleur.

Mais quelques dunes plus tard, Ensh'Idai et Moord aperçurent une immense tente située près du fleuve. Du haut de la dune, on pouvait déjà y lire "Relais du Désert".

- Ah... Se réveilla Moord. Le carnage va pouvoir commencer.

- Tiens-toi sagement, Moord. Et prends ton mal en patience. Si on doit vraiment récupérer l'homme en question, nous devons être plus diplomates qu'à l'accoutumée.

Plus ils s'approchaient du coin de repos, plus ils se rendaient compte que celui-ci était silencieux. Il n'y avait pour ainsi dire que trois chameaux attachés près de l'endroit, et il devait sans doute s'agir d'animaux de location. Bien sûr, une panthère des sables se trouvait dans une cage à côté de la tente. Il était de coutume pour les habitants du désert de Fasach d'en avoir une. Moord jeta un regard à la créature et celle-ci se coucha. Curieusement, l'entrée était fermée, et contrairement au reste de la tente qui était de toile tendue, ces deux portes étaient en bois. Les deux hommes frappèrent à la porte, non sans avoir remarqué qu'ils n'entendaient pas grand chose. Une voix s'éleva de l'autre côté.

- Oui ?

- Pardonnez-nous, seigneur, nous sommes assoiffés. Pouvons-nous nous reposer ici jusqu'à demain matin ?

Des pas se rapprochèrent et un homme ouvrit la porte qui donnait sur une grande pièce qui comptait de nombreuses tables et divans. A l'intérieur se tenaient deux hommes accoudés à un comptoir, servis par le troisième qui venait d'ouvrir.

- Ah bé... Oui. Enfin, c'est fait pour ça, qua' même, héhé ! répondit lE gérant des lieux. C'était un petit homme sympathique et potelé qui devait souvent accompagner ses clients lors de tournées.

"Seigneur ? pensa-t-il. Ch'ais pas qui c'est, ceux là, pour m'appeler seigneur..."

- Merci de tout coeur.

Ensh'Idai s'assit au comptoir et commanda deux verres d'eau fraîche. En les servant, l'homme croisa le regard de Moord et frissonna un instant, avant de baisser les yeux pour ranger le pichet d'eau.

Derrière le rideau qui servait de séparation entre la pièce à vivre et le bar, on entendait quelques rires. Ensh'Idai ne s'interrogea pas longtemps sur leur nature, puisque l'homme du bar y répondit directement.

- Ah, c'est les p'tits, ça ! Ma p'tite famille ! Faites pas attention, on les entends moins quand il y a plus de monde !

Ensh'Idai sourit sincèrement à l'homme.

- Comment ils s'appellent ?

- Hekill et Yord pour les p'tits merdeux, et ma gentille bonne femme, c'est Frieda. Et vous, étrangers, c'est comment ?

- Ensh'Idai, et voici mon compagnon, Moord.

- Pas bien commun, ça... Vous êtes d'où ?

- De loin. Vous ne connaissez pas.

- Dites toujours, j'en ai eu ici qui venaient de...

- Vous ne connaissez pas.

L'homme commençait à trouver la conversation étrange. Mais après tout, il avait vu passer de nombreux voyageurs, parfois bien plus étranges. Dans le doute, il allait s'éclipser un petit instant.

- Hekill ! Viens, mon garçon ! dit-il en appelant son fils. Excusez-moi, je vous laisse aux soins d'Hekill, je vais aller préparer vos couches.

- Non, nous n'avons pas le temps.

- Comment ça, pas le temps ? Vous avez bien dit que vous restiez pour la nuit, non ?

- J'ai menti. Il faut que je vous pose des questions, Sassyr Rashnir.

L'homme sembla paralysé.

- Navid, Robhert... Rentrez chez vous les gars, lança-t-il aux hommes du comptoir.

- Quoi ? répondit Navid. Bah pourquoi ?

- Fait ce que je te dis. On ferme tôt, ce soir.

Les deux hommes étonnés finirent leur verre avant de laisser un peu de monnaie sur la table. Ils sortirent et reprirent leur route, laissant les trois hommes seuls. Le jeune Hekill entra alors dans la pièce.

- Oui, p'pa ? lança le petit garçon en salopette.

- Non, rien, retourne avec ta mère. Ne sortez pas.

- Bah, pourquoi ?

- Fais ce qu'on te dit.

Confus, l'enfant retourna auprès de sa mère. Sassyr regarda Moord et Ensh'Idai avec un regard enragé. L'homme qui avait l'air si doux ne comptait visiblement pas se laisser faire.

- Je savais que ça arriverait. Qu'un jour, vous viendriez me chercher.

- On n'a pas besoin de se battre, vous savez. Si vous nous en dites assez, on vous laissera tranquille.

- Je la connais, votre astuce. Mais ça marchera pas.

- Dommage, dit Ensh'Idai en se levant.

Une terrible aura envahit Sassyr, la toile de la tente manqua de s'envoler et le sable tourbillonna autour des lieux pendant un instant. Il tendit la main vers le sol et une tempête de sable envahit la pièce. Celle-ci vint se concentrer en une masse autour de sa main et se transforma en pierre, prenant la forme d'une sorte de marteau grossier qu'il empoigna. Il le lança à toute vitesse sur Ensh'Idai, mais Moord se plaça sur sa trajectoire et subit le coup de plein fouet dans le plexus et s'écroula.

- Ah, pu-tain ! cria-t-il en déployant son aura noire et visqueuse. Puis il fondit sur son adversaire qui forma un énorme mur de pierre devant lui. Ensh'Idai l'eut à peine touché que la matière noire qui l'envahissait avait complètement anéanti le mur. Il se tourna vers Moord qui se tenait le ventre en se relevant.

- C'est lui ? demanda Moord.

- Non ! Vraiment pas ! lui dit Ensh'Idai, furieux.

Au moment où il se retourna vers l'homme, il reçut une chaussure en pleine figure. C'était Frieda, la femme de Sassyn qui venait de lui envoyer.

- Oh, chic, ça ! dit Moord en libérant lui aussi son Qwer, qui faisait se déssecher sa peau et acérait ses dents. Il se jeta sur la jeune femme avant de la mordre violemment à l'épaule. Celle-ci se mit en baver, en proie à des délires.

- Frieda ! hurla Sassyn, qui s'était caché derrière le comptoir pour préparer une attaque.

Mais Frieda ceda à ses convulsions, sa peau devint violacée et nécrosée puis elle s'effondra, morte de douleur.

- Frieda...! dit-il à peine distinctement, l'horreur de la scène l'empêchant presque de respirer. Putain de saloperie, tu vas...!

Mais à peine eut-il le temps de finir sa phrase qu'Ensh'Idai fondait sur lui, lui envoyant un violent coup imbibé de matière noire, ce qui eut pour effet d'effacer complètement la partie supérieure de son corps, comme si elle n'existait plus du tout.

Moord se tourna vers les deux petits garçons qui venaient d'entrer dans la pièce. Tous les deux étaient pétrifiés de peur et de douleur, et rien qu'en regardant les yeux vides et jaunes de Moord qui les fixait, ils savaient ce qui les attendait.

- Non, Moord... dit doucement Ensh'Idai.

Le serpent se jeta de toutes ses forces sur les deux garçons, salivant et souriant, dans une immonde frénésie de cannibale assoiffé de sang. Mais il fut interrompu brusquement par un coup de genou d'Ensh'Idai a la tête qui le fit passer au travers de la toile de tente. Il sortit pour l'attraper par le col et le plaqua contre la cage de la panthère endormie.

- Je te l'ai déjà dit, enragea-t-il. Encore, et encore. Pas les gamins. Tu comprends, putain de dégénéré ? C'est clair ?

La panthère se réveilla et s'approcha pas à pas de Moord, dont elle aurait bien scalpé un petit morceau.

- T'as failli en buter un, ordure... Si j'avais pas été là...

La panthère s'arrêta un petit instant, comme pour vérifier si elle pouvait bien sauter pour attraper le dos ou le crâne de Moord.

- Réponds, petite merde !

- Je vous demande pardon, seigneur, demanda sincèrement Moord, qui repris son apparence initiale. C'est dans ma tête, vous le savez bien...

Ensh'Idai jeta un coup d'oeil aux enfants dans la tente, encore tétanisés. Il reposa Moord, et à l'instant où tous les deux s'écartèrent de la cage, la panthère bondit pour se retrouver à nouveau toute penaude.

- On y va. On a une clé à trouver.

Et ainsi continua le voyage de Moord et d'Ensh'Idai, deux ombres qui parcouraient la terre en ne laissant derrière eux que le chagrin et la mort. A la nuit tombée, ils montèrent leur campement.

- C'est vraiment craignos ce pays... Encore un échec, en plus... lança Moord.

- Tu ferais bien de t'habituer, parce qu'on risque d'y rester un moment, on a encore quelques candidats ici.

- M'enfin, ça devrait pas être bien long. Depuis qu'on est là, on a croisé aucune police, aucune garde. Ils sont feignants et laxistes, dans ce patelin... J'en sais quelque chose, c'était un peu pareil, chez moi... On en est pas loin, d'ailleurs.

- C'est vrai que quand j'y pense... Khenas, c'est encore moins militarisé qu'ailleurs. C'est ce que j'appelle du gâchis. Autant de terrain, autant de moyens... et surtout, pouvoir déléguer tout ce pouvoir et ne rien en faire... Si on avait autant d'hommes qu'eux, notre quête serait achevée depuis bien longtemps.

- Vous y avez déjà pensé ?

- A quoi ?

- A prendre le pouvoir ici ! Vu ce que vous pouvez faire, personne ne pourrait vraiment s'opposer à vous. Et puis, les gens d'ici, ils connaissent pas le Souffle, aucun Qwer, aucune Arcane, rien ! Ce serait un jeu d'enfant, non ?

- Raconte pas n'importe quoi. L'Ordre de Fer nous en empêcherait.

- Mouais... Mais sérieux, imaginez... "Le Roi Ensh'Idai", ce serait pas mal, non ?

- Comment veux-tu qu'ils m'obéissent ? Je suis pas d'ici.

Ensh'Idai remarqua alors que Moord mettait de l'alcool sur un énorme hématome qu'il avait au plexus. Il avait sûrement dû se casser quelque chose. C'était la marque du marteau de pierre qu'il avait encaissé à la place d'Idai.

- Pourquoi tu fais des trucs comme ça ?

- Quoi ?

- Prendre des coups pour moi.

Ensh'Idai récupéra la bouteille d'alcool de médecine pour en boire une gorgée. Il continua.

- Parce que je te préviens, je te donnerais rien de plus. Pas de paye, pas plus de bouffe, rien.

- Je sais bien, Seigneur.

Ensh saisit un monocle dans sa poche et commença à examiner la blessure de Moord. Il saisit des bandages dans son sac et commença à les enrouler autour de son torse.

- Mais vous m'avez pas tué quand j'étais petit, alors je peux pas vous laisser vous faire tuer, c'est normal, non ?

Ensh'Idai ne répondit pas, il était trop occupé à soigner son compagnon.

- J'y pense souvent, moi. A ce que je ferais si vous mourriez.

- Oh, ça... Tu serais libre. Tu pourrais te balader, manger des gens...

- Justement. Je sais que c'est pas bien, vous savez.

- Première nouvelle. T'as un sens affuté de la morale, dis moi.

- Mais si vous êtes pas là pour me rattraper... Je sais pas trop ce que je pourrais faire.

- Non, moi non plus je sais pas trop ce que tu ferais.

- En tous cas, pensez-y. A Fasach, Khenas, ou ailleurs... Il y a peut-être un coup à jouer. Si on réunit les autres : Scott, Eman, Drogon, Childebrant...

- Oui, et Sullivan.

- Mouais... Si on veut.

Ensh'Idai venait de finir d'enrouler Moord dans des bandages.

- Voilà. C'est fait, Moord.

Il se leva et regarda le ciel.

- Allez, il est l'heure de dormir, maintenant.

Equipé d'une armure de Dorma'Han, le tyran des terres du Sud errait maintenant dans les montagnes à la recherche de Nicolas Gath. Bien sûr, il avait aussi éliminé Edward Sica sans que cela ne lui pose problème. Mais avant de continuer ses recherches, il devait retrouver cet endroit. Celui où Sica avait éliminé Moord. Il le reconnaîtrait facilement. Pour ce qui est des traces, il était déjà arrivé au bout. Il ne lui restait qu'à sonder la zone.

Mais cela fut de très courte durée.

Lorsqu'un homme parcouru par le Souffle meurt, tout le fluide contenu en lui se déverse dans la terre. Il la rend particulièrement fertile et accèlère la pousse des végétaux. On reconnaît donc la tombe d'un homme du Souffle par les grandes plantes qui poussent dessus.

Des plantes comme ces deux grandes fleurs jaunes perdues au milieu de la forêt, poussant sur un petit tas de terre qu'Idai venait de trouver. C'était là que Darren avait enterré le corps du serpent qui fut jadis un petit garçon perdu.

- J'espère que ta folie est apaisée, Moord.

Son visage grimaça et quelques larmes amères coulèrent de ses yeux.

- Mais si tu n'es pas là pour me rattraper... Je ne sais pas trop ce que je vais faire.

Il arracha un morceau de tissu de sa précieuse manche noire ornée de blanc et d'or. Il se mis à genoux et l'attacha délicatement à l'une des fleurs dorées.

- La maison Idai te remercie.

Après cela, le tyran se leva dignement et essuya ses larmes.

- Pars en paix, fidèle serviteur.

Cela faisait déjà un mois que Keldan, Dysill et Lurian s'entraînaient d'arrache-pied et le programme de Kyundo était loin d'être aussi facile que ce qu'en montraient les prémices. Celui était rempli de tâches aussi simples que répétitives mais obligeait les trois compagnons à se battre sur plusieurs fronts. Bien sûr, l'essentiel de l'entraînement consistait en de la course à pied, de la marche en montagne ainsi que des étirements et des exercices de soulever de poids. Seulement, lorsque les corps des adolescents devaient se reposer, l'entraînement continuait. Kyundo leur enseignait les sciences et les mathématiques (tant en théorie qu'en pratique) et passait toutes les fins d'après-midi à leur enseigner l'art de l'ermitage.

Ainsi, ils étaient devenus de parfaits apprentis, dans tous les sens du terme. Ils jardinaient, fabriquaient des meubles, tannaient le cuir... Et même s'ils ne comprenaient pas en quoi tout ce travail était sensé les aider, ils s'y soumettaient.

Si Dysill était à la traîne au départ, elle avait sû faire preuve d'assez de persévérance pour combler ses lacunes. Elle savait, par exemple, qu'elle ne pourrait pas être aussi forte que ses deux comparses, ni aussi robuste. Alors, sans négliger cette part de la formation, elle se focalisait sur les domaines où elle pouvait devenir meilleure que les autres. Elle redoublait d'attention et de concentration, excellait au tir à l'arc et faisait de tout son possible pour apprendre ses leçons.

Pour Keldan, c'était l'inverse. Alors qu'il avait bien démarré l'entraînement, le poids de tout ce travail semblait l'écraser. Pour ce qui était du travail manuel et de l'entraînement de force, il était évidemment le meilleur de tous. Il avait d'ailleurs repris du poids et surpassé ses anciennes performances. Pour le reste, il se sentait dépassé et la fatigue d'accumulait tant dans son corps que dans son esprit. Il ne cessait de penser à ce qui pouvait se passer dans son pays et se questionnait régulièrement sur l'utilité de ce que ses amis et lui étaient entrain de faire.

Lurian était de tous celui qui tirait le plus son épingle du jeu. Habitué à une stricte discipline, il tirait, poussait, courait, sautait, s'agrippait, frappait, méditait, apprenait sans jamais broncher. Et son travail portait ses fruits, puisqu'il était maintenant encore plus rapide, précis et fort qu'avant.

Quoi qu'ils pouvaient penser, ils avaient remarquablement progressé, alors que la formation de Kyundo n'avait duré qu'un mois. Même Keldan, habitué à de longues périodes d'entraînement n'avait jamais vu un tel saut de performance.

Ils portaient maintenant tous les trois une tenue similaire à celle de Kyundo. Il s'agissait de grands manteaux de cuir épais avec une épaisse capuche et un col en fourrure, ainsi qu'une lourde ceinture pour le refermer à la taille. Les pantalons étaient eux aussi assez épais et rentraient dans de grandes bottes de fourrure. Dysill avait teint la sienne en bleu et celle de Lurian avait la particularité de se fermer jusqu'en haut de la bouche. Il gardait bien sûr son habituel manteau blanc et or pour plus tard.

Chaque soir, avant de passer au repas, les élèves de Kyundo s'entraînaient au combat dans un style que Kyundo avait inventé à partir de ce que Gath lui avait enseigné. Il était surtout constitué de percussions aux pieds et aux poings, mais incluait des prises au sol et des frappes sur des poings vitaux.

Etrangement, il n'avait jamais fait s'affronter ses élèves entre eux. Leur travail consistait en des répétitions d'enchaînements, d'esquives et de déplacements. Mais ce soir, Kyundo avait terminé de leur fabriquer des gants de cuir rembourrés de laine et de crin de cheval sauvage. Ce soir, ce serait le premier vrai cours de pugilat.

- Voilà comment nous allons procéder : je vais vous laisser trois fois trois minutes chacun pour me montrer ce que vous êtes capables de faire. Pas de morsure, de griffure ou de tentative de crever les yeux de l'adversaire, pas d'utilisation d'objet et pas de coup passé la limite de temps. Puisque vous êtes un chiffre impair, Lurian et Dysill passeront ensemble, puisque leurs poids sont similaires. Keldan passera avec moi. C'est compris ?

Lurian acquiesca.

- Compris ! dit Dysill.

- Compris, dit Keldan.

Dysill et Lurian enlevèrent alors les vestes de cuir qu'ils portaient, révelant un haut bien singulier. C'était un fin vêtement de tissu jaune aux motifs noirs noué par une grande ceinture, elle aussi d'un tissu noir. Sur celle de Dysill était représenté une sorte de plante qui poussait depuis son épaule gauche et arrivait à son abdomen. Lurian portait quant à lui un point d'interrogation sur son col et une série de figures géométriques. C'étaient les tenues que Kyundo leur avait confectionné. Celles de ce qu'il appellait le "Clan Laydear", sans vraiment qu'il explique un jour de quoi il s'agissait. Celui-ci leur remis les deux paires de gants en cuir, qu'ils enfilèrent.

Ils se saluèrent comme Kyundo le leur avait appris et attendaient un signal de leur maître. Keldan regardait l'affrontement avec un peu de gêne. Non seulement il y avait une différence de dix kilogrammes entre les deux combattants, mais il savait en plus de quoi Lurian était capable. Selon lui, ça allait être vite plié, malgré l'estime qu'il portait pour son amie.

Dysill n'était pas de cet avis. En fait, depuis l'instant où elle avait commencé l'entraînement, elle ne se posait qu'une question : "Et si je devais affronter Lurian ou Keldan, comment je ferais ?". Comme elle l'avait appris lors des cours de Kyundo, elle avait un gros désavantage en tant que femme. Ses capacités pulmonaires étaient plus limitées, ses os plus fins, ses muscles moins puissants, son coeur moins gros... Et cette idée l'obsédait. Toute sa vie, elle s'était servie de distraction, de discussion et d'agilité pour voler, escroquer et échapper à ses ennemis. Ici, elle ne pourrait pas se dérober. Alors comment ? Comment pouvait-elle surmonter cet obstacle ?

Durant tout le mois, elle avait cette montagne infranchissable en tête et savait qu'elle devrait redoubler d'ingéniosité pour la dépasser. Mais elle avait bien réfléchi et aujourd'hui, elle vérifierait ses hypothèses directement sur le terrain. C'était peut-être un simple combat d'exposition, mais cela comptait beaucoup pour elle. Elle voulait prouver que quelle que soit la force de ses alliés, son aide leur serait toujours précieuse.

Elle adopta une garde de boxe telle que Kyundo lui avait enseigné et Lurian ne bougea pas. Elle n'était pas fébrile. Après tout, elle s'était même préparée à affronter Keldan.

Kyundo désigna du doigt limites de l'arène, qui étaient franchement bien assez grandes pour que personne n'en sorte. Pourquoi étaient-elles si larges, d'ailleurs ? Quel genre de combat avait pû avoir lieu ici ?

- N'expulsez pas votre adversaire de cette zone ou vous serez d'office éliminés. Ceci étant dit, préparez-vous...

Les muscles de Lurian se préparaient à agir vite et bien, comme si on allait donner le départ d'une course. Dysil restait détendue et concentrée sur son adversaire.

- ...allez-y, dit-il d'une voix forte, mais calme.

Lurian s'approcha d'elle pas à pas, répliquant à la perfection le jeu de jambes que leur avait enseigné Kyundo : un pas souple, léger mais bien ancré dans le sol. Il commença à se mettre en garde : une jambe en avant, l'autre en arrière. Un bras près de sa machoire, l'autre en avant pour jauger de la distance qui le séparait de Dysill. Elle avança elle aussi, plus prudemment, mais le premier coup ne tarda pas à partir. Lurian envoya un simple direct du gauche pour engager les hostilités mais Dysill le para en levant simplement les mains. Il réitéra en envoyant son coup droit directement après le gauche. Dysill parvint à l'esquiver parfaitement et se retrouva sur son côté droit. En un instant, elle lui plaça un "one-two" dans les côtes avant s'écarter de son opposant. Elle relâcha un soupir de soulagement, comme pour dire "D'accord, premier coup. Au suivant".

Lurian analysa ce qu'elle essayait de faire et se dit qu'elle tenterait sûrement de refaire la même chose. Alors, il envoya exactement la même salve, à ceci près qu'il ne fit que feinter la deuxième droite pour envoyer la gauche. Dysill ne tomba pas dans le panneau et para celle-ci pour envoyer elle aussi sa gauche et toucher son adversaire au visage. Tout le monde se rendit alors compte de sa concentration : Elle ne prévoyait pas ses coups et n'anticipait pas ceux de Lurian : elle le regardait simplement et agissait en temps voulu.

Visiblement, elle était quand même sur la défensive : elle n'avait porté de coups que pour contre-attaquer. Lurian décida de se montrer un peu plus imprévisible et s'approcha le plus près possible de Dysill pour la pousser à attaquer, adoptant de fait la même stratégie qu'elle. Elle commença à reculer et à essayer de s'échapper pour se tenir à l'écart, mais voyant qu'il était bien plus rapide qu'elle, elle ne vit d'autre solution que d'attaquer. Elle enchaîna Lurian avec deux coups au corps avant de tenter de l'avoir au visage, mais celui-ci para chaque coup. Il riposta en profitant de chaque faille de Dysill pour lui asséner des coups de plus en plus rapide, mais elle esquiva ou para à chaque fois pour renvoyer des coups qui furent eux-mêmes parés. La première minute était déjà écoulée.

Dysill remarqua que Lurian cherchait à chaque fois une faille et décida d'en créer une fausse en laissant le côté gauche de sa tête ouvert. Lurian en profita pour lui envoyer un crochet du droit mais celle-ci passa juste en dessous et lui envoya un puissant crochet au foie. Profitant de l'onde de choc que celui-ci était entrain de ressentir, elle lui envoya direct du droit à la tête qui fit mouche et un coup de pied dans le ventre qui le fit un peu reculer. Alors, elle s'approcha encore et tenta un nouveau direct mais celui-ci fut instantanément arrêté par un contre de la part de Lurian. Profitant d'une allonge plus longue d'à peine quelques centimètres, il avait envoyé beaucoup de force dans ce coup et Dysill le ressentit violemment. Elle recula.

"Si c'était Keldan qui me l'avait faite, celle-là, je serais au sol, pensa-t-elle."

Mais si ce coup avait pû toucher Dysill, ce n'était pas qu'à cause de l'attention de Lurian. Dysill s'était surtout enorgueillie de ce début de combat et avait décidé de laisser sa stratégie défensive dès qu'elle avait pris l'avantage. Elle ne referait plus cette erreur.

Le reprise continua encore un peu de temps, Dysill et Lurian restaient surtout à distance et envoyaient encore quelques coups pour prendre conscience de la stratégie de l'adversaire.

- Les trois minutes sont terminées, annonça Kyundo.

Dysill et Lurian firent le tour du terrain pour récupérer. C'est bon, ils avaient commencé à prendre leurs marques.

- Rappellez-vous que ce n'est qu'un premier test. Vous pouvez y aller doucement.

"Doucement ?" pensait Keldan, déjà impressionné par la première manche.

Dysill se craquait le cou et se tenait prête à enchaîner la deuxième manche.

- Dysill, Lurian, tenez-vous prêts. Je lance le départ dans quelques secondes.

Lurian se tint prêt.

- Allez-y ! Deuxième reprise.

Dysill avança prudemment vers son adversaire, comme au début de la première manche. Elle reçut d'entrée de jeu une gauche et une droite qu'elle ne sut esquiver mais regagna vite sa concentration et évita le troisième coup. Elle voulut envoyer un coup au corps pour répliquer mais Lurian lui envoya un violent coup de pied dans les côtes qui lui coupa complètement le souffle. Puisqu'ils s'étaient jusque là surtout servis de leurs poings, Dysill ne pensait même plus à l'énorme palette de coups dont ils disposaient. Et puis, Lurian continua sa charge avec deux coups de pieds latéraux supplémentaires. Le premier fit mouche dans la cuisse de Dysill et la fit trébucher. Elle para le second, dirigé dans les côtes, mais son instabilité la fit tomber au sol. Et alors que Lurian s'accroupit pour l'immobiliser sur le sol, il reçut un coup de pied frontal dans la mâchoire qui le fit chavirer. Dysill se releva et lui envoya un autre coup de pied dans le ventre. A son grand désavantage, Lurian lui attrapa la jambe et la fit de nouveau tomber à la renverse, se mangeant une bonne cuillerée de sable. Non, elle ne se laisserait pas mettre au sol. Elle se releva aussitôt malgré les tentatives de Lurian de la refaire tomber et s'encra dans le sol comme un bloc. Lurian l'attaquait et à chaque fois, elle parait ou esquivait, parfois avant de renchérir avec un autre coup. Les échanges étaient de plus en plus rapides et Dysill commençait à être vraiment fatiguée quand Kyundo annonça la fin de la deuxième manche.

Tous d'eux s'assirent sur le rebord de l'arène et si Lurian était toujours calme, Dysill avait l'air énervée. Après avoir repris son souffle, elle se leva et s'adressa violemment à son adversaire :

- Non mais tu te fous de moi, ou quoi ? T'étais beaucoup plus fort, la dernière fois !

Keldan et Kyundo ne disaient rien, voyant que les yeux de Dysill se remplissaient de larmes.

- Tu crois que je me permettrais de te manquer de respect comme ça si je le pouvais ? Alors bats-toi à fond, ou je te parle plus jamais.

A cet instant, les entrailles de Lurian semblèrent s'emplir d'un goût amer qui lui remonta dans la gorge. Elle avait raison, Lurian n'osait pas donner tout ce qu'il avait, mais ce n'était ni parce qu'il la sous-estimait ni parce qu'il l'a méprisait. C'est parce qu'il n'arrivait pas à frapper sérieusement quelqu'un qui avait été si gentil avec lui. Dysill était son amie, et au même titre que Keldan, il ne pouvait pas se permettre de la blesser.

Dysill pensait que Lurian était aussi fort qu'agile, et Keldan le pensait très bon combattant, mais ils avaient tous les deux tort. Il était bien plus que ça.

Un gardien des runes n'est pas seulement un bon chasseur et un bon pisteur, il reçoit aussi des secrets tenus à l'écart de l'oeil humain depuis la nuit des temps. Lurian avait beau être doux, gentil et se faire discret auprès de ses amis, il avait été elevé spécialement dans le but d'être de conserver, protéger et, s'il le fallait, tuer.

Mais il ne supporterait pas de faire autant de peine à Dysill. Même du haut de son vrai niveau, il avait vu à quel point elle s'était préparée et admirait toutes les fois où elle avait réussi à le surprendre. Alors il respecterait son choix et se donnerait à cent pourcent, même si cela signifiait la mettre K.O. dès le début.

- Mettez vous en place, on reprend, dit Kyundo.

Lurian et Dysill acquièscèrent et se mirent en garde.

- Allez-y !

Lurian fondit à toute vitesse sur Dysill et même Keldan ne l'avait jamais vu faire preuve d'une telle vélocité. En fait, il ignorait qu'un garçon de cet âge-là pouvait physiquement atteindre une telle vitesse. Il prépara un coup du tranchant de la main pour mettre fin au combat, mais Dysill l'attrapa subitement et il sembla glisser sur son épaule. Une seconde plus tard, il s'abattait avec violence sur le sol.

"Quoi, mais ?" pensait-il. Il se releva à toute vitesse, envoyant un coup de poing vers le haut pour frapper Dysill d'un uppercut, mais celle-ci saisit de nouveau son bras sans même forcer et le renvoya au sol au point où il manqua de perdre connaissance.

En se relevant (beaucoup plus doucement, cette fois), il croisa le regard de Dysill, rusé et malicieux. Celle-ci souriait à pleines dents et se tenait en garde.

Les yeux de Lurian se décomposaient alors qu'il comprenait ce qui était entrain de se produire. Ce n'était ni une question d'honneur, ni d'amitié ! Dysill attendait simplement depuis le début que Lurian utilise toute sa force pour pouvoir la retourner contre lui !

- J'ai bien cru que t'allais jamais forcer...

Et soudainement, Lurian se rappelait des sessions d'entraînements. Il se souvenait des enchaînements répétés encore et encore sur le terrain. Alors que Keldan et Lurian suivaient l'entraînement de manière régulière, Dysill avait tout de suite compris qu'elle devrait se focaliser sur ses points forts : la précision... et la ruse ! En réalité, elle ne frappait pas un sac comme les deux autres, mais imaginait réellement un adversaire se battre contre elle et, estimant même sa vitesse, se préparer à l'attraper au vol en le retournant contre lui. Mais ce qui impressionnait le plus Lurian, c'est qu'elle était parvenue à ce résultat en un mois. Certes, un mois qui en valait bien quatre, mais tout de même une courte durée.

D'abord agacé de s'être ainsi fait berner, Lurian sourit et manqua de rire. Quel orgueil... Après tout ce temps à se penser le plus fort de tous, il avait oublié à quel point ses amis étaient exceptionnels.

Dysill l'attendait, prête pour les deux dernières minutes du combat. Lurian redoubla d'attention et prit vraiment le combat au sérieux. Il fonça sur elle et commença à faire des pas de côté à toute vitesse, feintant des coups si rapidement qu'elle ne savait plus ou donner de la tête. Il lui envoya un coup de poing au visage et celle-ci monta sa main pour se défendre. Le gant de Lurian ripa sur celui de Dysill et il put quand même l'atteindre. Celle-ci se mit à saigner du front.

Lurian hésita un instant, ce qui permit à Dysill de lui envoyer deux gauches dans la tête.

- Eh oh, je te rappelle que tu te bagarres, là ! lui balança sa rivale.

Lurian feinta à nouveau trois coups avant de lui envoyer un autre dans l'abdomen, presque certain qu'elle tomberait sur celui-ci. Mais après avoir craché ce qui semblait être un peu de vomi, elle continua, non sans avoir la tête qui tourne...

"Même pas mal..." pensait-elle avec très peu de sincérité.

Un autre coup vint, alors qu'elle s'épuisait à essayer d'esquiver ses coups bien trop rapides. Puis un autre, et un autre. Elle attrapa le troisième et fit passer Lurian de l'autre côté. Elle n'avait plus assez de force pour l'envoyer au sol...

Elle ne pouvait plus rien lui dire, plus rien lui faire, ces huit minutes avaient été les plus fatiguantes de sa vie. Au prochain coup, elle savait qu'elle tomberait...

Alors il ne devait pas y avoir de prochain coup.

Lurian arriva sur elle et le vit préparer un crochet du gauche. Elle put l'esquiver et envoya un uppercut au ventre de Lurian.

Mais si proche, Lurian ne pouvait plus la manquer. Il lui envoya un dernier direct et elle s'effrondra sur lui. Se rattrapant sur son cou, elle lui chuchota quelques mots à l'oreille avant de tomber par terre, K.O quelques secondes avant la fin de la reprise.

Kyundo se précipita sur elle pour vérifier si elle n'avait rien de cassé et lui tapota un peu le visage avec de l'eau fraîche.

- Qu'est-ce qu'elle t'as dit ? demanda Keldan à Lurian.

Il lui répondit aussitôt par quelques gestes :

"C'est que le début"

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