La naine et le Pèlerin( et les chèvres de l'apocalypse)

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  — Putain de bordel de merde ! Mais tu vas avancer oui ! Mais avance putain, de chèvre à la con ! Loïs avait beau tirer de toute ses forces sur les cornes de l'animal, il n'y avait rien à faire ; Carpaccio refusait résolument de bouger ne serait-ce que d'un sabot. La tête de ce pont ne lui revenait pas et elle était fermement résolue à ne pas s'y engager.


 Après avoir fait le tour de sa chèvre et tenté de la pousser au derrière sans succès. Loïs revint vers la tête de l'animal et la flatta, tant de paroles que de caresses cajoleuses, pour tenter de l'amadouer.


 Une fois encore, ce fut vain.


 Alors que la musicienne se gardait de se perdre de nouveau en injures, Brochette et Tartare, ses deux autres chèvres, décidèrent qu'elles attendaient leur comparse depuis trop longtemps maintenant et qu'il était temps pour elles de s'amuser un peu. Elles déguerpirent soudain en se fondant en ruades et coup de cornes en tout sens malgré les charges de bât qui encombraient leur échine.


 — Putain ! Revenez là ou je vous bouffe ! hurla Loïs à l'adresse des dissidentes.


  Tartare avait déjà disparu, quant à Brochette, malgré son chargements, elle s'était lancée dans la descente ardue du glissement de terrain tout proche.


 La musicienne décida qu'elle s'en tirerait bien et en revint à Carpaccio toujours en plein combat de regard avec ce pont, qui, décidément, ne lui revenait pas.


— Allez, viens ma belle, viens, soupira Loïs en tirant doucement sur le licol de l'animal pour l'inciter à la suivre.


 C'est alors que résonna dans la crevasse le bêlement désespéré d'une chèvre et le cri de douleur des instruments qui la réceptionnèrent.


 La musicienne hésita vraiment à abandonner là son animal, puis se rappela que ses instruments étaient son gagne-pain et qu'elle en avait besoin.


— J'arrive, répondit-elle aux geignements de détresse de Brochette.


 Abandonnant Carpaccio, Loïs s'approcha à son tour du glissement de terrain dans lequel était descendue la biquette pour l'y découvrir coincée entre deux rochers ; les quatre fers en l'air en bêlant ridiculement pour implorer son aide. La musicienne soupira, jura intérieurement et glissa à son tour dans la crevasse tout en essayant de ne pas se rompre une jambe.


— Ah ! T'as pas l'air conne comme ça, commenta Loïs.


 Brochette émit une nouvelle série de geignements plaintifs destinés à apitoyer un peu plus sa maîtresse, avant de battre désespérément l'air de ses sabots pour insister encore sur l'inconfort de sa situation.


— Oui, oui, j'arrive, grommela cette dernière en soupirant de nouveau.


 C'est à ce moment-là, alors que personne ne faisait attention à elle, que Carpaccio décida que ce pont avait finalement une bonne tête et qu'elle pouvait le traverser.


 La musicienne libéra la chèvre des sangles de ses bâts, puis enroula autours de ses cornes un lacet de cuir qu'elle avait toujours sur elle. Dans un chœur déchirant d'instruments torturés, l'animal retrouva enfin une position décente et attendis tête basse que sa maîtresse ne la libère avant de bêler victoire.


— Reste là, lui ordonna Loïs en jetant un coup d’œil à ses malheureux instruments.


 Le tambourin était cabossé ; il lui faudrait acheter une nouvelle flûte ; et le vièle avait souffert, mais rien de trop fâcheux. Un arrêt chez le prochain luthier et...


 Un bêlement au-dessus de sa tête attira son attention.


— Tartare ! Tartare : non !


 Tartare sauta.


 Le luth aussi allait avoir besoin de réparation maintenant.


 Une fois sortis, non sans mal, de la crevasse qu'elle pensait éviter en empruntant le pont, Loïs remarqua l'absence de sa dernière chèvre et décida de l'ignorer. Elle reviendrait, si elle revenait, sinon tant pis pour les vêtements qu'elle transportait.


 Après avoir remit à chacune de ses bêtes les charges qui leur incombait, la musicienne repris la route.


 Elle allait ainsi d'un bon pas, et sans essuyer plus de nouvelles excentricités de la part de ses animaux, lorsqu'elle entendit du bruit plus loin sur la route. Aussitôt, Loïs attacha ensemble Brochette et Tartare pour qu'elles ne s'enfuient pas et tira sa fronde de sa ceinture ; engagea un galet dans la poche de son arme, et, le pas léger s'approcha doucement.


 Au devant d'elle, trois hommes rouaient de coups en jubilant un pauvre Pèlerin qui se protégeait le visage de son mieux. Loïs hésita à venir en aide au voyageur, elle allait l'abandonner là et couper à travers bois. Leur regard se croisèrent. Elle ne put plus alors se résoudre à le laisser aux jougs de ses bourreaux.


— Eh ! Vous trois ! gronda la musicienne en quittant le bosquet où elle avait pris couvert.


 À peine, l'un d'eux eut-il redressé la tête qu'en un claquement de fronde il fut foudroyé à la tempe et s'effondra ; mort.


 Surpris, ses deux complices reculèrent prudemment.


— Un autre volontaire ? brava Loïs.


 Découvrant leur adversaire, les deux hommes abandonnèrent leur victime et se tournèrent vers la troubadour. Aussitôt, elle rechargea son arme et délivrait d'un nouveau coup expert un second projectile. Sa victime frappée en plein front fit un pas chancelant en avant, puis un second avant de s'écrouler enfin.


 Alors que le Pèlerin et le vaurien tentaient chacun de prendre l'ascendant sur l'autre, la musicienne fit retentir la mortelle ritournelle de sa fronde. Mué par la peur, le dernier des assaillants parvint à se dégager de la prise du voyageur et s'enfuit sans demander son reste.


— C'est ça, fuis, et que je ne revois pas ta trombine, grommela Loïs en rangeant son arme.


 Elle jeta à peine un regard au Pèlerin et s'en retourna à ses chèvres.


— T'es là toi, grommela-t-elle en découvrant Carpaccio.


 La chèvre avait rejoint ses congénères comme si de rien n'était, et broutait paisiblement à leur côté en attendant leur maîtresse. Loïs lui passa un lacet de cuir dans l'anneau de son licol.


— Allez les filles, on y va.


 Et comme les petits anges qu'elles étaient, Brochette, Carpaccio et Tartare lui emboîtèrent le pas tout en broutant à sa suite les feuilles et brins d'herbes qui passaient à leur portée.


— Merci, lui lança le voyageur alors qu'elle passait près de lui.


— Il y a pas de quoi.


— Ils n'étaient pas de taille pour vous, continua le Pèlerin en lui emboîtant le pas à son tour.


— Garde tes blagues pour toi, le longues-jambes.


 Loïs mit quelques instants à comprendre que le voyageur la suivait, mais aussitôt elle lui fit face, fronde en main, prête à délivrer son tir mortel.


— Un problème, le longue-jambe ?


— Aucun, Dame nain.


— Alors je peux savoir ce que tu fous ?


— Une Vie pour une Vie, me voilà votre Obligé, je vous suivrai jusqu'au remboursement de ma dette.


— T'es obligé de rien rentre chez toi.


— J'insiste.


— Retourne à ta maison, le débile.


— Je crains qu'on ne m'y attende plus depuis longtemps.


— Touchante histoire. Maintenant fiche moi le camp !


 Comme le voyageur ne semblait comprendre ses requêtes, la musicienne fit tourner sa fronde en ultime menace.


— J'ai pas souvenir de t'avoir cogné, mais je peux t'arranger ça, le longues-jambes !


— Dame nain, j'apprécierais que vous n'en fassiez rien, répondit posément le Pèlerin.


 Loïs baissa son arme et soupira. Elle n'arriverait pas à s'en défaire.


— Grouille, Longues-Jambes.

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