Verdure
Elle prit soudain conscience qu’elle marchait au bord d’un canal. Tout n’était que verdure alentour. C’était comme si le canal filait le long d’un corridor tapissé de branches feuillues et de buissons, se reflétant à la surface du cours d’eau comme dans un miroir.
Elle avançait ainsi au milieu de ce décor forestier sans parvenir à estimer le temps que durait cette errance. Elle regardait droit devant elle et ne pensait à rien, si ce n’est qu’elle finirait peut-être par arriver au bout de la promenade. Un canal a forcément une fin. Il ne lui vint pas à l’esprit que cette fin se trouvait peut-être à des kilomètres de marche de là où elle se trouvait.
Elle finit par se demander, cependant, à quoi ressemblait la fin de ce canal. L’eau devait bien finir quelque part. A la mer peut-être… Mais oui ! A la mer ! Cela en valait peut-être la peine. Elle continua donc d’avancer au bord du cours d’eau, entre les arbres.
Mais au bout d’un moment, cela devint lassant. La mer était beaucoup trop loin et elle avait sans doute mieux à faire. Elle préféra rebrousser chemin avant qu’il ne fasse nuit. Elle ne savait même quelle heure il était ! Quand la nuit tomberait-elle ? Était-elle loin de chez elle ? Ce canal ne lui disait rien. Comment avait-elle atterri ici ? Depuis combien de temps marchait-elle en réalité ?
Il lui sembla que le paysage était toujours le même. Les arbres et les buissons se ressemblaient et formaient comme un motif de tapisserie qui se répétait à l’infini. Mais alors elle songea qu’en sortant du chemin et en passant entre les arbres, elle parviendrait peut-être à savoir où elle se situait. Il y avait certainement toute une forêt à franchir mais, pourvu qu’elle quittât cet endroit, aucune forêt ne serait trop grande. Elle s’écarta donc de la voie et bifurqua vers les buissons, puis vers les arbres.
A sa grande surprise, au lieu rencontrer troncs et feuilles, elle heurta un mur. Ce n’était donc pas qu’une illusion d’optique : elle marchait bien dans un gigantesque couloir depuis tout à l’heure. Elle fit plusieurs mètres en palpant le mur de ses mains. Le trompe l’œil semblait parfait mais, à bien y regarder, le paysage lointain était peint en flou avec des nuances de vert et de brun. Elle finit par s’écarter du mur, encore interloquée. Finalement, la seule solution était véritablement de revenir sur ses pas, là où elle était entrée dans ce couloir. Cela ne devait pas être si loin, elle ne marchait pas depuis bien longtemps. Une heure tout au plus. Elle rebroussa donc chemin d’un pas rapide. Décidément, tout semblait se confondre, tout se ressemblait… Comme si elle n’avançait pas. Comme si depuis le début elle marchait sur place. Elle se mit à courir. L’effet était encore plus flagrant. Plus elle allait vite, plus le décor semblait immobile.
La panique s’empara d’elle. Il lui fallait trouver un moyen de sortir d’ici rapidement. Elle s’arrêta, guetta alentour et c’est alors qu’elle la vit. Là, de l’autre côté du canal, sur la berge, illuminée par un rayon de soleil : une voiture. Elle voulut se rendre de l’autre côté, quitte à nager. Mais finalement, même la surface miroitante de l’eau se révéla être un trompe-l’œil. Elle marcha sur la surface comme sur un lac gelé et fut de l’autre côté l’instant d’après. Avec méfiance, elle s’approcha du véhicule. La mousse et autres végétaux envahissants avaient repris leurs droits sur le vieux véhicule qui semblait venu d’un autre temps. Elle le contempla un moment, prudemment éloignée à un mètre de distance. Peut-être n’y avait-il pas lieu de s’inquiéter après tout. C’était, de toute manière, son seul moyen de quitter rapidement cet endroit. Elle s’en approcha donc. La voiture se mit soudain à trembler.
Elle bondit et fit trois pas en arrière. Ce véhicule était donc bel et bien bizarre ! Il s’ébrouait comme l’aurait fait un cheval ou une vache ! Il serait donc doué de vie ? Ou peut-être y avait-il quelqu’un à l’intérieur. Elle se déplaça sur le côté et tenta encore de s’approcher pour voir s’il y avait quelqu’un. Il était difficile de distinguer quoi que ce fût à travers la vitre couverte de spores de mousse et de terre. Elle s’approcha encore un peu pour voir à travers une brèche dans toute cette saleté. L’habitacle était trop sombre pour qu’elle pût distinguer quelque chose. Elle se recula, indécise et perplexe. Pouvait-elle utiliser ce véhicule ? Elle le contourna pour atteindre la portière côté conducteur.
Elle avait à peine fait quelques pas que la voiture frémit à nouveau. Mais cette fois-ci, le mouvement fut accompagné de deux gros tentacules végétaux d’un vert vif qui en jaillirent soudain pour se contorsionner en l’air. Elle cria mais ne fut même pas certaine d’entendre son propre cri. Les plantes s’approchèrent d’elle pour l’attraper. Elle se mit à fuir mais elles s’emparèrent d’elle alors qu’elle n’avait même pas fait un mètre. Elle se vit soulever dans les airs puis tout alla très vite. C’était comme si elle venait de perdre le fil de sa conscience durant un quart de secondes. L’instant d’après, elle était assise au volant de la voiture. L’intérieur était aussi vieux et salis par les résidus organiques que l’extérieur. Elle resta un temps sans comprendre comment elle s’était retrouvée là. On avait changé la diapositive sous ses yeux et elle n’en avait rien vu.
« Où va-t-on maintenant ? »
Elle tourna la tête et trouva assise à côté d’elle un type couvert de spores et de terre. Il lui adressa un sourire aux dents jaunes. Ses yeux semblaient de verre. Elle força sur la portière pour sortir mais celle-ci était bloquée. Elle continua de forcer, pousser, tirer, pousser, tirer, pousser, tirer… Son corps entier s’acharna bientôt à sortir si bien que sa tête se cognait avec violence contre la vitre. Bong, bong, bong…
Elle se redressa, étourdie. Elle avait mal au front. Le train avait dû faire quelques soubresauts et son front contre la vitre s’était cogné. Se remettant doucement de sa torpeur, elle vit que son voisin la regardait, légèrement surpris. Elle l’ignora. Les gens faisaient toujours cette tête lorsqu’ils s’apercevaient qu’elle dormait les yeux ouverts.
* * *
Nouvelle écrite dans le cadre d'un défi (écrire à partir d'une image) et devant initialement figurer dans le recueil Fils de Fer.
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