Ne dis rien [n°5]

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Défi n°5 : Réécrire une scène de théâtre sous forme narrative sans dialogues au discours direct (défi ADA "Changement de discours")

Et merde.

Nounou. Que vais-je lui dire ? Une excuse. Trouver une mensonge. Elle ne doit rien savoir. Si elle savait… Elle ne dirait rien, sans doute m’aime-t-elle trop pour cela. Mais si elle savait… Je ne peux pas lui faire de la peine. Pas à elle !

La voilà qui se plante au milieu du couloir, garde incorruptible. Elle veut savoir, évidemment. Quelle nourrice croit qu’une jeune fille va se promener sans raison à cette heure ? Il n’y a que les gens soucieux qui vont penser au clair de lune, ceux qui ont besoin de trouver la paix, qui recherchent l’assentiment des dieux dans leurs actes. Comme moi. Mais je ne dois pas être de ceux-là. Pas ce matin. Pas pour nounou.

Elle refuse de me laisser. Elle a bien vite remarqué que mon lit était vide et que j’avais laissé la porte entrouverte. Manque de précaution de ma part. Et j’espérais m’en sortir à si bon compte, naïve que je suis. Mes sandales à la main et mes pieds plein de boue crient ma culpabilité. Mais je ne sais quoi lui dire ! Parler de la campagne, de la candeur du jour naissant, de la rosée dans les champs ! Le besoin de sentir le contact de la terre entre mes orteils. Elle me prendra pour une aède mal lunée, tout au pire. Et pourtant… Qu’il est beau, ce matin. Ce sentiment de solitude, de naissance dans la mort de la nuit. De liberté dans le silence de l’acte accompli. Je ne sais si je connaîtrai d’aubes semblables à nouveau...

Mais j’aggrave mon cas. La voilà qui me traite de folle, de fille têtue. Elle me juge sans savoir. Mauvaise... Je n’ai jamais autant eu la certitude d’être bonne, au contraire ! D’être juste ! Tandis que tous se complaisent d’une décision stupide et sans vergogne. Ils croient laver je ne sais quelle malédiction, comme s’il n’y en avait pas assez sur cette cité ! Les dieux savent s’ils ne vont pas en créer de nouvelles...

À la bonne heure, elle me croit amoureuse. Soit, je préfère cela à la vérité. Une amourette, c’est peu de chose. Ça ne pend personne sur la place publique – enfin, pas toujours. Une amourette insignifiante avec un « voyou » de passage. Ah ça ! C’est vrai que cela me ressemble peu. Elle me connaît bien, nounou. Pauvre nounou... Quelle sombre portrait de ma personne est-elle en train de se peindre. Dire que j’abhorre ces coquetteries. Voilà un mensonge des moins crédibles, mais elle y croit, ma foi. Je peux dormir tranquille, j’ai un alibi pour demain, quand mon oncle apprendra tout. Elle peut bien lui raconter ces histoires stupides. Il sera tellement accaparé par l’affaire qu’il n’aura même pas le temps de s’en scandaliser. C’est si ridicule que ça en devient presque drôle. J’en rirais si je ne croulais pas de fatigue et si mon crime n’alourdissait mes côtes. Peut-être va-t-elle me laisser dormir, maintenant…

Mais non, elle a décidé d’en faire une affaire d’État. Tout le monde va être au courant et dans l’heure, si elle ne cesse de vociférer. Que lui importe que je sois fiancée ? Se prendrait-elle pour mon chaperon ? Elle n’est que nourrice, et il y a bien longtemps qu’elle ne donne plus de lait… Mais je deviens mauvaise, avec ses bêtises. Elle ne mérite pas cela, pas avec ce qui arrive, pas ce matin. Pas aujourd’hui, alors que je m’apprête à me les mettre tous à dos ! Elle est la seule à pouvoir me comprendre, à s’expliquer mon geste, à me soutenir. Elle qui se reproche d’avoir mal fait, alors qu’elle n’a fait que son devoir, comme j’ai fait le mien cette nuit. Elle pleure, à présent.

Je ne peux pas lui mentir. Pauvre nounou, petite pomme ridée. Cette histoire d’amoureux, c’est pour la blesser, elle qui a tant veiller à ce nous soyons de bonnes petites filles. Bien sûr, je peux lui promettre de rester chaste et loyale envers celui qui m’a choisie. On ne me laissera pas en aimer un autre, de toute façon. Pas après cette nuit...

Les larmes me viennent. Je ne peux rien lui dire, mais elle ne mérite pas que je lui mente, elle qui a tant fait pour moi. Je me revois, enfant, sur ses genoux, m’amusant des sillons sur ses joues. Le monde, alors, semblait si simple. Un éternel recommencement de matins joyeux, sans épingles sanglantes, sans guerres fratricides. Ces jours heureux me paraissent si loin, à présent. Brave nounou, gardienne de mes jeunes années. Que n’a-t-elle pas souffert pour nous. Et ses rides, comme je les envie. Ces rides que je n’aurai jamais.

***

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