Déroulement
Avenant était monté jusqu’au dix-huitième étage. Son cheval avait été amené dans un box et était choyé comme un roi.
L’homme, rasé de près, les cheveux retenus d’un ruban et parfumés d’une eau de lavande leva l’admiration des riches gens qui l’encerclaient dans le salon d’une proche amie de Leslie Griffon, la dirigeante de Damaulnoy. Il y avait, attablés dans un coin, les fils des Hourlt, ainsi que leur mère. Ils regardaient les diadèmes, les barrettes, avaient un bref intérêt pour les bracelets. Sans nul doute pour en faire cadeau à leur jeune sœur dont l’anniversaire se rapprochait.
Plus loin, la sœur de Léonis Jaret contemplait une bague sertie d’une améthyste. On la disait profondément et déraisonnablement amoureuse de son frère. Elle lui cédait ses moindres caprices, se laissant malmener et parfois traiter comme une servante.
Dans cette foule d’une vingtaine de personnes, il se trouvait un petit garçon avec une bourse aussi grosse que sa tête. Le petit-fils Griffon : Canaël. Il cherchait, avait-il dit, un collier en or pour sa grand-mère.
Avenant observait chacun, tout en présentant ses parures, ses pierres précieuses, ses œuvres...
Ce fut Canaël qui vint à lui le premier avec, entre les doigts, un coffret.
— Marchand Joaillier, combien pour cette parure de pierres blanches.
— Il vous faudra dépenser dix pièces ocre, mon bon petit monsieur. Je suis bien sûr que votre grand-mère l’adorera.
Le garçon sortit de sa bourse l’argent et le marchand installa le coffret avec le collier dans une boîte. Dos à Canaël, il caressa un à un les cristaux de roche. Ses lèvres s’animèrent dans un sourire cruel tandis qu’un éclat trouble passa dans ses yeux d’obsidienne. Il empaqueta le tout et tendit le présent au garçon. Ce dernier le remercia avec distinction et un air naïf comme en ont les enfants. Il ne se doutait point de la haine maladive qu'entretenait Avenant envers sa grand-mère.
— Vous me certifiez qu’elle aimera ?
Avenant hocha la tête.
— Je crois savoir que madame Griffon adorerait de vous n’importe quoi.
Le garçon sourit faisant briller ses yeux d’émeraude.
— Elle mérite plus que n’importe quoi pour tant m’aimer, ne pensez-vous pas ?
Avenant acquiesça à nouveau, mais déjà, on lisait dans son regard les ombres ténébreuses qui jadis avaient soufflé sur sa vie et son bonheur de si courte durée.
Sous sa longue tunique et au bas de son manteau de lin, une ombre dormait là, observant elle aussi le manège des invités qui se pressaient de table en table. Elle s’étirait parfois, jusqu’au cou d’Avenant, écartant sa lourde chevelure. Comme un mauvais songe, Célestéa restait contre lui, marchait dans son sillage. Elle aurait pu le quitter et déambuler dans ses habits de fantôme, mais elle sentait chez son ancien amour, ce qu’elle souhaitait retrouver ; un corps, une vie, un cœur. Cette sensation de chair recouvrant son âme lui manquait désespérément.
Avenant en était conscient. Il l’entendait ruminer dans sa tête à ce sujet.
Il continua à proposer ses trésors aux convives écoutant au loin la mélodie que jouait une jeune violoniste. Comme elle était belle, comme sa chevelure blonde ressemblait à celle de Célestéa à l’époque. Portait-elle les mêmes arômes ? Ce bouquet floral riche de roses et de tilleul… Il se souvint comment les lourdes boucles de sa dulcinée tombaient en farandole sur son corps, quand pour honorer leur amour, ils s'emmêlaient aux draps, parfois aux herbes hautes de leur jardin intérieur.
La mère Hourlt et ses fils se tenaient devant des tiares, ils n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur laquelle offrir à Miranda pour son dix-huitième anniversaire. C’était la seule fille de la famille et elle était chouchoutée autant par ses frères que par ses parents. Le père, Giles Hourlt, vice-dirigeant, lui prêtait toutes les qualités. Elle était son trésor et on voulait faire de son hyménée une raison de devenir plus puissant. Les plus grandes familles se disputaient ses faveurs. Giles Hourlt avait comme ambition de surpasser Leslie Griffon et de prendre les rênes de Damaulnoy. Pour ce faire, il cherchait un gendre riche et influent.
— Celle-ci me parait sage avec ses pierres de Labradorites, proposa Avenant en observant leur indécision.
— Ne la trouvez-vous pas trop simple ? commenta un des frères. Est-ce qu’elle rendra grâce à la beauté de ma sœur ?
— C’est la simplicité qui parle le mieux de beauté, mon brave.
— Quelles sont les vertus de ces pierres ? demanda la mère.
— Elles protègent des dangers, offre de l’énergie, encourage l’inspiration. On dit que votre fille est une poétesse dont personne ne se lasse d’entendre les versets. Ne trouvez-vous pas la Labradorite poétique ?
Les pierres aux reflets métallisés, partant du bleu vers le jaune, brillèrent sous le jeu des lumières et finirent par convaincre la famille.
Avenant porta la tiare sur un coussin, caressa les pierres fines, sourit, puis recouvrit l’objet d’un voilage étoilé et le donna aux Hourlt, qui partirent avec deux bourses en moins dans leur poche. Rien n’était trop magnifique ou trop cher pour voir embellir la sage Miranda.
Avenant les observa quitter les lieux avec dans l’esprit la rage de vaincre, quand une main se perdit sur son épaule. Un frisson traversa son être pour disparaître en un claquement de doigts.
— Marchant Joaillier, j’aimerais que vous me parliez de cette chevalière.
La sœur Jarets, une femme aux cheveux gris et au visage commun, ouvrit la main sur une bague en acier serti d’une améthyste verte.
L’homme avait eu vent que son frère, le trésorier et secrétaire de Damaulnoy, appréciait l’histoire des joyaux qu’il collectionnait, ainsi, il en inventa une propice à appâter.
— Madame, que voilà une bague avec une histoire étrange ! Il m’a été rapporté qu’elle n’a pas moins de cent ans d’âge et qu’elle fut offerte en cadeau à une nymphe des rivières par un duc qu’elle avait sauvé de la noyade. La pierre montre à celui qui la possède l’amour qu’il lui est porté. Croyez-le ou non, mais elle a trouvé ce qu’elle cherchait depuis toujours : l’amour aveugle d’une charmante lavandière. On dit qu’elles vivraient encore dans un nid d’eau entre cascades et mer.
Avenant contemplait la femme qui regardait le bijou avec avidité.
— Si vous l’offrez à l’élu de votre cœur, il pourra constater votre amour, et qui sait, vous donner le sien en échange.
— Je vous l’achète.
Ce fut dit avec tant de précipitation que la voix d’Anne-Lyse agita l’esprit qui, silencieux, remua sous le manteau de lin.
« Il n’y a pas plus sot qu’un être enrubanné dans ses mensonges », susurra la créature.
Avenant ne sut s’il devait sourire ou non. Est-ce que ces mots ne lui étaient pas destiné à lui aussi ?
Il fixa la sœur Jaret.
Pauvrette obnubilée par un amour incestueux qui la dévorait depuis trop d’années ! Son frère n’avait d’yeux que pour l’argent et le sublime. Lui aussi convoitait Miranda Hourlt. Et leur différence d’âge n’était point un problème.
Dans les mains d’Avenant, la bague brilla. Il caressa l’améthyste et déposa l’objet dans une petite boîte.
Anne-Lyse Jaret partit à son tour, sans savoir quel poison elle porterait au doigt de son aîné.
« Me diras-tu quel spectacle se jouera devant moi ? J’ai besoin de grandiose », souffla l’ombre.
— À quelques points de se que tu m’as réclamé.
Avenant rentra chez Cabriole, un coffre rempli d’or et de monnaie. Dans la chambre qu’il occupait, il vint attraper un étrange instrument confectionné dans un Œil de Tigre. Un ocarina. Quand il le porta à ses lèvres et en joua, la mélodie qui s’éleva mena des images dans la pièce amarrée de voiles. On y trouva le conteur, en plein exercice de ses fonctions, le petit Canaël, bondissant de joie à l’idée d’offrir le collier à sa grand-mère, la mère Hourlt qui montrait la tiare à son époux et Anne-lyse qui triturait la bague en récitant des souhaits.
Pour ma belle aux cheveux d’or, répéta Avenant dans son esprit. Ils paieront enfin pour leur crime, la vérité jaillira.
Cabriole écouta par la porte entrouverte et se souvint de ce jour où Avenant était revenu, lui exposant sa vengeance. Dix ans c’étaient écoulés où il le croyait mort.
Il avait parlé des mercenaires de Leslie Griffon à sa poursuite, de sa chute dans les rochers, de cette vieille Hermite et des fragments de pierre de lune dont elle avait recouvert ses plaies, ainsi que le don qui en était ressorti des années plus tard. Cette capacité tout à fait exceptionnelle de manipuler les âmes grâce à des cailloux ou de restituer la mémoire d’un objet. Il observait jusqu’aux pires des actes, traversait le temps en touchant un chandelier, une dalle dans une ruelle.
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