Ces nombreuses années de sacrifice
Aurora
Le matin du 24 février
Samuel ? J'en suis réduit à mentir sur mon identité, afin de pouvoir empêcher cet homme perturbé de nuire à la vie d'une femme. J'aurais souhaité abandonner tout cela, reprendre ma vie de famille, mais Célia doit savoir qui est en réalité son cher amant. J'ai d'ailleurs été surpris de recevoir son appel hier, alors qu'elle m'a tout de même ignoré pendant un mois. J'espère vraiment qu'elle n'a pas été victime de sa violence incontrôlée, je ne pourrai pas me remettre de ne pas avoir pu éviter cela, une nouvelle fois. Elle est manifestement en retard dans ce café, où elle m'a donné rendez-vous, la ponctualité caractérise pourtant une valeur que j'apprécie grandement.
Maintenant que je repense à ma première entrevue auprès de Mickaël, j'étais bien arrivée 30 minutes en avance ce jour-là. Cela s'explique sans doute par l'importance qu'accordait ma mère à mon éducation, où la ponctualité et la courtoisie prenait une place considérable lors de mon enfance. Peut-être percevait-elle cela comme une preuve d'amour ? Ma mère était issue d'un milieu aristocrate et traditionnel, ses parents lui ont inculpé que l'amour menait forcément au désastre. Ils l'ont ensuite marié à celui qui sera père, un homme important et bien né qui ne se souciait pas vraiment des femmes, sans doute davantage des hommes, mais sans grandes certitudes de ma part. Mon père respectait infiniment ma mère, et elle lui témoignait en retour une haute estime. Tout l'amour que mon père n'investissait pas au sein de son couple, il me le transmettait entièrement et vouait sa vie à mon bien-être. Les marques d'attention de mes parents n'étaient pas les mêmes, tandis que mon père me faisait des chatouilles et des gestes affectueux, ma mère prenait un temps considérable à me coudre de majestueuses robes pour nos bals. Je ne me plains pas de mon enfance, j'ai eu une jeunesse relativement heureuse. Mais cette rencontre avec le petit Mickaël a symbolisé un tournant décisif de mon existence.
J'étais tellement jeune, je venais d'obtenir fièrement mon diplôme d'État de doctoresse en médecine. Ma mère avait autant financé mon cabinet que mes études, et avait conseillé à son amie Isabelle de me laisser m'occuper de son neveu âgé de dix ans. J'allais ainsi accueillir mon premier patient, au sein de mon cabinet récemment ouvert en ville. Un stress immense mêlé à une impatience de commencer m'a alors envahi. Je possédais une folle insouciance, lorsque j'ai rencontré ce pauvre enfant, notre premier échange l'a confirmé malheureusement.
Mon large sourire innocent s'est confronté au regard qu'il a posé sur ma personne, ce regard plein de tourments est parvenu à faire disparaître ce sourire de mon visage. Comment un enfant pouvait-il porter tant de fardeaux ? La mort de sa mère ne me semblait être qu'un de ses nombreux supplices, et quoi que je lui dise, il continuait à être fermé à moi. Je pensais toutefois réussir à le guérir, cela caractérisait-il un excès de confiance ou d'idéalisme, chez moi ? Ces considérations ne m'intéressaient pas, il m'importait juste de sauver ce petit garçon. Plus le temps s'écoulait, plus les traitements et les séances en sa compagnie, me paraissaient ne fournir aucun résultat.
Au bout d'un an passé avec lui,
une idée a dès lors germé dans mon esprit, j'ai envisagé que le problème provenait probablement de moi. J'ai donc effectué à mon tour une thérapie chez un confrère, en vue de m'aider à comprendre pourquoi j'étais incapable de soigner cet enfant. L'ironie dans tout cela, c'était que je dépensais davantage d'argent que j'en gagnais, en me rendant auprès de ce psychologue. Néanmoins, il se cache parfois des bonnes choses dans les moments douloureux, car ce psychologue est devenu l'homme avec qui je partage mes jours. L'écoute de la musique classique me permettait de m'évader, loin de tous mes soucis de travail de cette époque. Vivaldi à travers son chant des oiseaux, son orage qui se déchaîne, sa pluie puis son vent et sa douceur d’un été chaud dans ses quatre-saisons m'autorisait à voyager dans les temporalités.
Ces nombreuses années de sacrifice auprès de Mickaël ont été justifié par un risible diagnostique : il a une sévère schizophrénie combinée à un énorme manque affectif. Il a aussi choisi d'occulter ses souvenirs douloureux, grâce à un impressionnant refoulement de ceux-ci, et de ne plus revenir me voir à partir de ces 15 ans. Jusqu'au jour où j'ai reçu.... Puis, je ne vais pas parler seule pendant toute la journée, et je doute que cela m'apporte de ressasser tant de souvenirs. Je crains que cette femme ait décidé de ne pas venir. Je la rappellerai plus tard dans la soirée, en même temps que mes enfants.
Annotations