Parce que c’était lui, parce que c’était elle
Celia
Le début d'après-midi du 3 mars
Dramatique, bouleversant, poignant, émouvant... Comment définir le récit glaçant de beauté de ce dernier moment partagé entre deux amis ?
Inutile de dire que cette situation affiche ma médiocrité en tant qu'amie d’Elia. Lorsque qu'elle endurait les pires tourments, je lui racontais ma formidable vie. Qui ne fut qu'éphémère, au vu du comportement perturbant de Mickaël, ce qu'a eu à subir Elia par sa faute n'est pas imaginable et encore moins pardonnable. Lui en vouloir ne semble pas non plus souhaitable, sachant qu'il paraît prêt à tout pour me prouver son amour, même à dénoncer les manigances des membres de sa famille et ainsi se mettre en danger. En cessant de me voiler la face, la véritable raison pour laquelle je ne lui en veux pas, c'est que je l'aime et que je l'aimerai encore malgré ce qu'il a fait.
Pour le moment, mes uniques pensées doivent se tourner vers ce que traverse Elia. J'avoue ne pas avoir connu de grande amitié avant elle, et je n'égalerai clairement pas celui qui m'a précédé. Le prodigieux nœud qu'il l'a lié à son ami, ne serait-ce pas un exemple de la conception de l'amitié, selon l'illustre Montaigne ? Tout les opposaient, leurs points communs n'étant apparemment que minimes et leurs différences considérables. Ce féministe convaincu, se confrontait souvent à la première sceptique sur le sujet, que demeure Elia. Ce n'était qu'un des nombreux points de divergences de ces deux complices. La coïncidence d'un cours scientifique partagé, a fait qu'ils ne se sont plus jamais quitté, jusqu'à ce que l'un d'eux s'enfuit pour toujours. Il m'est impossible de décrire l'ultime instant qui s'est déroulé entre eux, mais j'estime pouvoir peindre leur amitié par mon interprétation de ces mots de Montaigne, au sujet de son ami Étienne de la Boétie. Si l’on me presse de dire pourquoi ils s'aimaient, je sens que cela ne peut s’exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui, parce que c’était elle.
Décidément, j'ai l'impression que Louise m'a transmise sa fascination de Montaigne dans notre dernière conversation ensemble. Cet auteur qu'elle a appris à connaître au lycée, n'a plus déserté son esprit depuis, et désormais cela la ramène aux souvenirs des discussions philosophiques avec son ami.
Je clos le silence environnant, et je demande doucement à Elia, la décision qu'elle a prise ce funeste soir. Elle répond par un regard, qui me laisse dans un malaise et le remord de mon questionnement.
Alors qu'elle n'avait fait plus aucun bruit, et qu'on se demandait bien ce qu'elle pouvait ressentir ou penser, la mère d'Antoine s'effondre en pleurs au fond de la pièce. Elle se met à serrer contre sa poitrine Elia, et lui fait comprendre qu'elle n'a à avoir honte de rien, car c'est elle qui est responsable des souffrances de son fils. Elia n'est pas insensible à cette démonstration d'affection, et cela l'apaise le temps d'un instant dans les bras d'une maman. Je suis émue qu'enfin ces deux êtres puissent accéder à un semblant de réconciliation, même si il a fallu attendre un évènement si tragique pour cela, qui d'ailleurs ne réconciliera sans doute jamais cette mère avec elle-même.
Encouragée par ce geste de tendresse, Elia commence à me parler d'une petite boîte au couvercle bleu, où elle rangeait ses propres cookies pour les donner en partie à son ami dans leurs années lycéennes.
Pour en venir au dernier repas de celui-ci, qui fut ces cookies, en témoigne les miettes des gâteaux sur son lit d'après elle. Une dernière fois, il lui avait dérobé ses biscuits qu'il quémandait à la moindre occasion. Cette mignonne anecdote cache une vérité plus profonde, après tout ça, Elia n'a pas eu la force de nettoyer ce lit ni de rentrer à nouveau dans cet appartement. Elle a préféré suivre les instructions précises d'Antoine sur les personnes à contacter et les démarches à accomplir concernant son suicide. Le comportement admirable, dont elle a fait preuve face à cet évènement tragique, incarne le courage. Elle a respecté jusqu'au bout les volontés de ce frère de sa vie.
Du moins, je ne sais pas encore, si elle l'a libéré ou si elle n'a pas pu s'y résoudre le laissant s'ôter la vie, je n'ose pas réitérer mon interrogation. Soudain, comme si elle lisait dans mes pensées, elle glisse dans mon oreille : je n'ai pas pu....
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