suite 3

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Elle s’était assise, indigène parmi les blancs repus de soupers aux chandelles en lodges[1] sous la nuit des savanes, illuminés d’images sauvages glanées en safaris. Sa beauté donnait de l’authentique à leur voyage, pour quelques heures, juste avant le retour.

Lorsqu’une envie pressante l’avait fait se tortiller sur son fauteuil, une anglaise charitable lui avait indiqué une porte où deux petites silhouettes se côtoyaient. Ce lieu d’aisance blanc de faïence, magique dans sa robinetterie clinquante domptant l’eau fraîche à volonté lui rappelait l’hôpital : il sentait le désinfectant ! Une odeur qu’elle avait découverte peu de temps auparavant… Discrètement elle avait lavé ses sandales pleines de poussière ; elles étaient neuves et sa longue journée de marche les avait un peu assouplies. Elle en était très fière !

Elle revoyait le sourire de son frère aîné quand il les avait déposées à ses pieds quelques jours avant son départ. Parfaitement découpées à sa pointure, dans un pneu qu’il avait dégoté dans la décharge derrière la cabane de tôles où sa famille était entassée. Dès les premières émeutes, leur mère avait réuni marmites, sorgho, café, maigres effets, dans une couverture, noué le tout serré, puis posé sur sa tête. Tous, ils avaient couru derrière poules et poussins pour les enfermer dans une geôle tressée de feuilles de maïs, puis attaché l’une à l’autre la vache et la chèvre. Pour l’âne ce fut une autre affaire ! Seules les flammèches des brûlis de l’enclos avaient raisonné son approche. Contraint et forcé, il avait accepté la corde ainsi qu’un lourd fagot échappé au désastre.

Les feux de villages, les corps mutilés à la machette, les cris les avaient jeté sa mère, elle et ses frères, dans le dédale de crasse, de terre et de tôles qui cernait Mombasa ; une auréole endémique collée à l’Océan Indien où la détresse, la pauvreté, la famine poussaient à pied les plus hardis et les plus forts vers le marché ou vers le port pour y gagner quelques shillings. Leur père s’y était installé pour améliorer l’ordinaire de la ferme posée par leurs ancêtres à flanc de colline au bout d’une piste qui les menait au lac Victoria. Des chicanes belliqueuses des Kikuyus, certains en étaient venus aux mains, d’autres aux armes, les massacres avaient suivi. L’effroi du viol avait tenu Sadia enfermée, ses frères l’accompagnaient dans tous ses déplacements jusqu’au jour de l’incendie : les champs de maïs, de millet, les claies, dentelles de poissons à sécher sous le vent, tout était parti en fumée !

Lui faisant face, sous le miroir, le robinet coulait comme pour lui rappeler leurs allées et venues désespérées sur le chemin pour transporter l’eau du lac dans des seaux cabossés…

Vite elle avait essuyé ses précieuses chaussures pour retourner affronter dans le hall, le vent de curiosité que générait sa présence.

[1] Hôtels en brousse

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