2 - La famille
Depuis le temps que je compte Maximilien Delamarre comme l’un de mes meilleurs amis, je peux sans nul doute affirmer que je suis celle qui le connaît le mieux, enfin c’est ce que je croyais.
Nous avons passé une grande partie de notre adolescence sans nous cacher le moindre détail sur la vie de l’autre, nos rêves, nos espoirs et nos déceptions. En clair, il a été la sœur que je n’ai jamais eue. Il m’apportait ce que Jo et Vincent ne pouvaient m’offrir, et ce pour deux raisons. La première, c’est que Max est pourvu d’une sensibilité incroyable, la seconde, c’est qu’il a eu le champ libre , lorsque mes deux frères ont disparu des écrans radars.
Depuis ce temps, j’ai appris chaque côté de ce voisin parfait en tout point. Adolescent, il était gentil, drôle, timide et surtout transparent aux yeux du monde entier à part des miens. Aujourd’hui, c’est un peu différent. En effet, cet ex-obèse a pris une revanche sur la vie extraordinaire et je suis fière de lui chaque jour pour cet exemple de volonté. Bien entendu, le changement n’a pas été que physique. Certains traits de sa personnalité ont fait apparitions et je me suis adaptée. Maintenant, il peut se montrer impulsif, surtout pour les injustices de ce monde. A d’autres moments, un peu plus rares, je retrouve la douceur qui m’a fait fondre à l’époque. Par contre chevaleresque, jamais.
Ma mère nous sert trois limonades sur la table ronde de la cuisine, pendant que je change mon pantalon crasseux contre mon fidèle jogging troué du dimanche soir. Max m’aperçoit et secoue la tête, tandis que ma mère me tire une chaise avant de nous sortir une boîte métallique remplie de biscuit. Parfois, j’ai l’impression de voir ma grand-mère, il ne manque que son tablier vichy.
— Alors, allez-vous me dire comment Ady s’est retrouvée dans cet état ?
Nous échangeons tous un regard, mais Gaby tranche pour nous et me balance un coup de pied sous la table comme pour signifier que l’honneur d’expliquer ce moment gênant me revenait.
— En fait, c’est un accident. Je suis tombée…
— N’importe quoi ! C’est son ex qui lui a mis un coup de genou, alors qu’elle avait le dos tourné. Le salaud !
Gaby fait de grands gestes, toujours abasourdie par le comportement de Paul. Je ravale ma salive et serre mon poing contre mon cœur qui accélère.
— Paul ? Non ce n’est pas vrai ! Mais, Ady, comment en êtes-vous arrivés là tous les deux ?
Ma mère m’examine avec tristesse. Elle adore Paul. Même si ça n’a pas toujours été le cas, elle a appris à le connaître et à l'apprécier. Son problème, c’est qu’elle aime tout le monde, ça me rend folle. Je voudrais lui dire, à elle ou n’importe qui d’autre, mais je n’y arrive pas. Alors que mes raisons demeurent floues, je paie mon silence par des montagnes de questions qui m’écrasent à longueur de temps.
Max se renferme et croise les bras. Cela n’annonce rien de bon.
— Tu ne nous caches pas quelque chose, Ady ? Même à moi, tu ne dis rien. Je… J’ai l’impression que tu n’as plus confiance.
Mon cœur se fend. Max sait très bien que rien n’a changé entre nous, à part peut-être lui, qui se montre beaucoup plus distant qu’auparavant, mais il ne semble même pas s’en rendre compte. Je pose ma main sur son bras et je le sens se tendre sous ma paume, le regard intense.
— Je suis désolée. Je suis conscience que vous vous inquiétez tous pour moi, mais ça va. C’est moi qui l’ai largué. C’est normal qu’il soit en colère.
— Je n’en reviens pas, tu le défends ?
Gaby bondit sur sa chaise, et nous fait tous sursauter.
J’ai honte. J’aimerais leur dire que Paul m’a trompé et que j’ai découvert cette sextape de l’enfer, pile le jour où j’avais décidé de m’engager avec lui, mais je ne peux pas. Ce serait admettre que j’avais tort de lui laisser une chance quand tous me mettaient en garde contre lui, mais aussi, que je suis incapable de le satisfaire et ce deuxième point ébranle mon orgueil plus que de raison, car comment lui en vouloir ? Nous avons passé cinq ans en couple où je me suis montrée disponible qu’une à deux fois dans la semaine. La vérité c’est que je ne suis pas encore prête à m’ouvrir à quelqu’un et surtout à quitter la maison familiale. Mes frères me manquent.
— Et toi, tu n’as rien fait ?
Ma mère détourne la tension qui monte d’un cran dans cette cuisine en frappant doucement le bras de Max. Gaby mord à l’hameçon lancé par ma mère puis éclate de rire.
— Ahah, si. Mais attendez, laissez-moi le plaisir de lui raconter.
Elle se rassoit et invite ma mère à en faire de même. Elles s’adorent toutes les deux, surtout depuis qu’elles se sont trouvé une passion commune : se raconter les cancans.
— Alors Nadine, votre cher protégé, Max, s’est mis dans une colère impitoyable. Il a foncé vers les vestiaires et a ouvert en grand la porte. Nous, on le suivait de près, et l'on s’est tous les trois retrouvés à la vue d’une bonne douzaine de fesses nus, pas toutes très agréables à regarder.
Ma mère ouvre en grand les yeux, les sourcils placardés sur son front, puis se met à rire à ne plus en respirer. Gaby l’accompagne de bon cœur, quant à moi, je ne reste pas insensible à ces instants de bonheur. Seul Max, est impassible, voire irrité qu’on se moque de lui.
— Oh, Max, ce n’est pas grave.
Je me lève et lui embrasse la joue.
— Mon pauvre Max, ton grand cœur te perdra. Un jour, tu seras récompensé de tes efforts, mon grand.
Ma mère l’étreint à son tour, tandis que j’admire mon ami d’enfance qui rougit d’être au centre de l’attention. Gaby en profite pour lui asséner un coup de coude.
— Oh, mais ce n’est pas tout. Le pauvre chéri était tellement gêné qu’il a bousculé une femme qui sortait du club house et pas n’importe laquelle, hein playboy ?
Gaby lui lance un clin d’œil qu’il ignore, mais ma mère saute sur l’occasion d’en savoir plus.
— Qui donc ?
— Camille Vanhatten. Cette petite pimbêche blonde aux… yeux trop grands.
Gaby accompagne ses paroles d’un geste pour signifier la taille de ses obus et je manque de m’étouffer. Rien que d’évoquer l’existence de cette fille me retourne l’estomac. Je mets mon biscuit de côté et m’essuie la bouche dans la serviette en tissu où mon nom est brodé dans son coin.
— Oh, je suis surprise, dit ma mère en fronçant des sourcils, je ne pensais pas qu’elle t’intéressait Max.
— Je n’ai jamais dit que c’était le cas.
La tension est de nouveau palpable. Max n’ose plus se justifier et Gaby semble choquée, et n’hésite pas à insister à un moment où elle devrait la fermer.
— Tu plaisantes ? J’ai vu comment tu l’as regardé mon chaud lapin.
Max observe sa montre, héritage de son grand-père, se racle la gorge et se lève avant de s’excuser.
— Bon, j’ai rendez-vous de bonne heure avec un client demain matin, il vaut mieux que j’y aille. A bientôt, Nadine, et merci. Les filles, à plus.
— Qu’est-ce qu’il lui prend ?
Une fois la porte claquée, ma mère se penche vers Gaby pour lui murmurer que ce n’est pas sa faute. Pourtant ça l’est, mais on ne peut lui jeter la pierre à propos d’un sujet qu’elle ignore. Camille fut l’objet de notre seule et unique dispute en plus de douze ans d’amitié avec Max. Au bout d’un certain temps, je me suis assise sur mon égo, car je n’avais rien de tangible à lui reprocher à part le fait que j’étais jalouse de cette fille parfaite. Seulement depuis six mois, j’ai une vraie raison de la détester. Elle excelle en de nombreux domaines, mais je n’ai pas trouvé sa performance d’actrice porno tout à fait convaincante, même si, Paul lui, était excellent.
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