Semaine 8 — Voulez-vous jouer à cache-cache ?
Le bruit strident la poursuivait sans relâche. Parfois, ces horribles grincements s'éloignaient, parfois ils étaient si proches qu'elle avait l'impression d'être juste à côté, à sa merci. Des cliquetis métalliques sinistres, des vrombissements sourds de moteur à lévitation et sa voix robotique terrifiante l'accompagnaient. Sans aucune émotion, le ton neutre d'un ordinateur dénuée de pitié ne cessait de répéter à intervalles réguliers une unique phrase.
— Voulez-vous jouer à cache-cache ?
En plus de ce terrible poursuivant, Agatha était piégée dans un labyrinthe. Non pas ceux dont les couloirs serpentent et s'entrelacent sur un schéma précis et facile à déjouer - elle connaissait une technique infaillible. La trentenaire se trouvait dans un manoir, ou un château, dont toutes les pièces avaient été vidées. Elle étaient reliées les unes aux autres et outre les corridors d'origine, des trous perçaient les murs, des tubes menaient aux étages inférieurs... Tout avait été peint en nuances de noir, ce qui rendait l'orientation délicate.
Agatha avait par deux fois trouvé une porte. La première était bloquée par une énorme grille d'acier qui lui fut impossible de soulever. La seconde était verrouillée et une inscription était gravée à même le bois. Au grand dam de la jeune femme, elle indiquait l'emplacement de la clé, située à l'autre bout du manoir. Elle s'engouffra à nouveau dans le dédale de pièces noires à la recherche de son précieux sésame.
Agatha ne s'était pas retrouvée là par hasard. Contactée huit jour plus tôt, elle s'était portée volontaire pour participer à l'événement, sobrement intitulé "le grand frisson". À la clé, dix mille euros, sonnant et trébuchant, à la seule condition d'être en vie lorsqu'elle quitterait les lieux. Ce genre de jeux, devenus populaires quelques décennies plus tôt, avaient rapidement trouvés nombre d'adeptes et Agatha en avait fait son gagne-pain depuis de nombreuses années.
Mais, dans la version horrifique du cache-cache auquel elle jouait en ce moment, quelque chose avait mal tourné dès le début. Lâchée avec neuf autres participants, elle avait rapidement fait la rencontre de leur bourreau. Il était arrivé dans la pièce à peine une minute après le commencement de la partie. Rien n'avait annoncé son apparition, sinon sa terrible réplique macabre.
— Voulez-vous jouer à cache-cache ?
Une salve de flashs rougeoyants déferla dans la pièce, tuant quatre concurrents sur le coup. Les autres n'avaient pas demandé leur reste. Agatha n'avait pu que distinguer brièvement l'impitoyable machine. La jeune femme avait réussi à s'enfuir et parcourait le labyrinthe depuis des heures à la recherche d'une sortie. De temps à autres, un gong retentissait juste après des hurlements. Il y en eut cinq, répartis sur plusieurs heures. Agatha comprit rapidement deux choses : que les sonneries indiquaient la mort d'un participant et que cinq corps, ajoutés aux quatre du début de partie, faisaient d'elle la dernière survivante. Cela expliquait pourquoi le rôdeur la traquait inlassablement.
Après une énième heure de recherche, Agatha trouva une salle cachée. Au centre, un piédestal présentait sous cloche une vieille clé ouvragée. Malheureusement, le verre qui la protégeait ruisselait de sang. Et pour cause, deux moitiés d'un corps, découpé verticalement de la tête à l'entrejambe dans une symétrie aussi parfaite que perturbante, gisaient au sol dans une grande mare cramoisie. La jeune femme inspecta les murs sans déceler de piège, et ne remarqua pas d'autres issues. Elle devait prendre la clé et filer le plus vite possible avant de se retrouver coincée.
Elle entreprit de soulever la cloche et fut surprise de ne pas réussir à la bouger. Tout en jurant, elle s'y attela de toutes ses forces sans toutefois y parvenir. Dans le couloir, les grincements du monstre se rapprochaient dangereusement. La voix robotique s'élevait en même temps que son cœur accélérait. Elle tenta alors de briser le verre, en vain. La machine bloqua désormais l'unique sortie, illuminant de plus en plus les murs de sa lueur rouge. Agatha se jeta corps et âme sur la cloche, frappant et griffant jusqu'à ce que ses propres mains soient en sang. La protection se descella en tournant sur son pas de vis. La survivante comprit qu'il fallait la faire tourner et y mit tout son cœur. Déjà sur le pas de la porte, la voix du robot résonna dans la pièce.
— Voulez-vous jouer à cache-cache ?
Agatha jeta la cloche au loin et saisit la clé. Un silence s'installa soudainement, comme si tout était irréel. Les lumières disparurent en l'espace d'une seconde. L'air devint lourd comme le plomb, mortel. La pression redescendit lentement, la jeune femme restant sur ses gardes. Elle jeta un coup d'œil hors de la salle et ne vit rien ni personne.
Elle retrouva son chemin jusqu'à la porte verrouilée, essoufflée, pressée d'en finir. Elle glissa la clé dans la serrure, fit jouer le loquet et soupira de soulagement. Elle tira sur la poignée noire et le battant s'ouvrit. Dans l'entrebaîllement de la porte, une lumière rouge pénétra dans la pièce. Agatha fut parcourue d'un frisson et, alors qu'une vive douleur lui traversa le dos, elle fit un pas en arrière en voyant l'ombre de la machine sur les murs. Elle eut l'impression de glisser et tomba à la renverse. Ce ne fut pas l'apparition soudaine de la machine qui l'effraya le plus, mais le choc de la chute séparant son corps en deux morceaux. Un mètre plus loin, ses jambes gisaient immobiles, laissant s'écouler une rivière sanglante. Le robot la rejoignit avec une lenteur infinie.
Le bourreau inspira la peur au plus profond de l'âme d'Agatha. Son corps, de la taille d'une tête humaine, était constitué de trois parties. En bas, un moteur émettait un cliquettement lent et régulier. Au-dessus, le système de lévitation inondait les environs de cette vive lumière rouge. En haut, un réservoir transparent était rempli d'un liquide épais inconnu. Entre chaque morceau, un énorme anneau pivotait à grande vitesse. Sur l'anneau inférieur, une hélice tournait rapidement dans un sifflement acéré, ses pales fendant l'air telle une faux qui tranche le blé. Sur le supérieur, quatre bras articulés agitaient aléatoirement des haches de bûcheron. Au sommet de la carcasse de métal, deux lasers de précision encore fumant pointaient vers la dernière concurrente.
Agatha traîna péniblement son buste vers la sortie, tout en se vidant de son sang. Ses forces l'abandonnaient au fur et à mesure que la machine s'approchait. Lorsqu'elle fut sur elle, la jeune femme comprit que c'était fini. La voix funeste retentit alors dans les oreilles de l'ultime survivante.
— Voulez-vous jouer à cache-cache ?
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