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Un an plus tard, 20 décembre

« Qu’est ce qui est rouge et blanc et qui arrive à Noël ?

— Un kilo de litchis.

Ben ouais, comment t’as deviné ?

C’était facile. »

Gaël reposa son stylo, dégoûté. Il se demandait s’il ne préférait pas la perceuse de son voisin aux publicités écœurantes de la radio, dignes d’une société consumériste amalgamant sans honte Noël et achats compulsifs. Où donc est la magie d’antan ? Sans doute disparue en même temps que l’enfance, songea-t-il avec nostalgie. Il délaissa un instant sa note de synthèse ; son esprit recommençait à vagabonder comme un cheval fougueux, l’entraînant bien plus loin que les préoccupations relatives à la sécurité intérieure sur le territoire national.

À 21 ans, Gaël était un jeune homme beaucoup trop rêveur qui ne tenait rien pour acquis, ce que désapprouvait la plupart de son entourage. À titre d’exemple, étant enfant, il avait gardé beaucoup plus longtemps qu’il n’est coutume la manie de tout questionner à travers les continuels « pourquoi ? » propres aux mômes découvrant le monde et épuisant leurs interlocuteurs. Heureusement pour lui, ses parents, les principaux concernés par ses interrogations constantes, ne lui en tinrent pas rigueur et ne se cantonnèrent pas au typique « c’est comme ça et pas autrement » quand ils ne connaissaient pas la réponse. Ils semblaient même apprécier l’esprit inventif et l’imagination débordante de leur fils, inquiets toutefois de constater que cette dernière ne s’atténuait pas davantage en grandissant.

« Cela finira par lui causer des ennuis, avait-il entendu un soir de la bouche de sa mère occupée à préparer le dîner dans la cuisine alors qu’il passait dans le couloir. Il finira par se couper de ce monde s’il n’y prend pas garde.

— Qu’y pouvons-nous, c’est de notre fils dont il s’agit après tout », avait répondu son père et Gaël avait cru déceler non sans surprise une note de fierté dans sa voix.

Le fait est que Gaël n’était pas assez terre-à-terre pour se concentrer suffisamment sur ses études et il n’y avait rien de plus barbant à ses yeux que le droit. Dommage que ce soit en définitive l’orientation qu’il avait choisi. D’ailleurs il se demandait souvent pourquoi. À peu près tous les jours, comme maintenant.

Gaël avait en tête quelque chose de bien plus intéressant que le droit : le mystère que représentait l’une de ses voisines. Pour être honnête, il n’avait jamais soupçonné son existence avant de la rencontrer l’autre soir, tellement ils étaient nombreux à se côtoyer sans se calculer dans la résidence étudiante Léonard de Vinci.

Il ne lui aurait même jamais prêté la moindre attention si elle ne l’avait pas croisé au détour d’un couloir, un bonnet de Père Noël sur la tête et traînant sans le moindre complexe un énorme sac orné d’un ours en peluche géant et fuchsia qui plus est. Le genre de sacs qu’on achète deux euros pour une bonne cause au moment de la course aux cadeaux dans les supermarchés mais dont on ne sait plus quoi faire passées les fêtes tellement ils sont volumineux et hideux. Elle, loin d’en paraître gênée, semblait l’exhiber avec orgueil, comme si elle croyait dur comme fer à la symbolique mièvre que Noël représentait à travers l’amoncellement de cadeaux dorés qui s’y entassaient pêle-mêle. Soit elle avait une pelletée de frères, sœurs ou cousins à gâter, soit elle aimait simplement jeter l’argent par les fenêtres, ce qui n’était pas la politique de ce style de résidences accolées à la gare et réservées aux boursiers et autres fauchés.

Il s’était rangé pour la laisser passer et avait rencontré son regard pétillant et moqueur, comme si elle avait deviné qu’il se sentait largement embarrassé pour deux. Elle avait un instant posé son chargement qui menaçait de craquer et de se déverser par toutes ses coutures et avait joyeusement apostrophé un autre jeune qui passait devant eux en la guignant du coin de l’œil :

« C’est pas toujours facile d’être le lutin du Père Noël, pas vrai ? », avait-elle simplement donné comme justification tandis que Gaël rougissait davantage, effrayé d’être apparenté malgré lui à une telle déjantée.

Elle s’était tournée vers lui comme pour lui demander son avis et il l’avait approuvé d’un bref hochement de tête et d’un « Joyeux Noël » timide qui était resté coincé quelque part au fond de sa gorge. Bah, en voilà au moins une qui n’oubliait pas la joie de Noël, enfin délivrée des gueules d’enterrements des étudiants au moment de leurs partiels !

Par deux fois il l’avait revue dans le coin, toujours aussi chargée comme un baudet, ce qui n’avait pas manqué de l’intriguer. La plupart du temps, il lui en fallait beaucoup moins. Par deux fois, il avait pensé à lui proposer son aide et par deux fois il s’était défilé, supportant difficilement cette flammèche joyeuse qui dansait dans ses yeux. Comme si cette fille avait attendu toute l’année cet évènement pour laisser transparaître sa bonne humeur et sa joie qui éclataient sous sa frange brune, à la limite de la folie. Comme si elle se croyait réellement investie d’une mission sacrée, d’une livraison pour tous les enfants de la ville, sinon de la Terre. Et cette attitude, juste sous son nez, commençait sérieusement à agacer Gaël qui ne savait pas à quoi s’en tenir.

Gaël soupira, jeta un regard distrait sur sa montre et se leva pour se dégourdir les jambes. Un petit quart d’heure seulement le séparait de son programme, mais l’envie lui démangeait de court-circuiter ce dernier. Au diable le programme et tous les protocoles à la noix ! Ce soir, c’était Noël avant l’heure. Demain, il serait dans le train, vite pressé de profiter à nouveau de la cuisine délicieuse mais parfois coup-fourrée de Mam’s et les blagues d’un autre siècle de son bon rigolard de père. Oui, vivement demain !

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