Le temps libre
Le premier étage se divisait en deux parties : à droite les hommes, à gauche les femmes, et au milieu un couloir long comme un jour sans pain, qui suivait la courbe de l'hélice que formait le bâtiment. Comme nous étions arrivés ensemble, Daphné et moi, nos chambres se faisaient face. Mon espace était comme une cellule d'ermite : un lit, dont l'étagère au dessus servait de dais, et qui pouvait s'isoler par un rideaux pour dormir dans l'intimité la plus totale, une armoire, une fenêtre donnant sur les jardins et une vasque d'où coulait une eau potable dès qu'on y présentait les mains ou un récipient, comme un bol ou une coupe. Je déposais mon baluchon sur le lit et ouvris l'armoire, qui sentait bon le cèdre.
Deux couvertures s'y trouvaient, bien pliées sur une étagère, sans doute pour parer à l'hiver le plus rude. Mais comme nous étions en plein cœur de l'été, je n'en aurais sans doute pas besoin avant plusieurs mois. Cependant, de les savoir là, je me sentais rassuré. Tout était prévu pour un confort complet, malgré la petitesse de la chambre. Je regardais autour de moi et je sentais que je serais bien dans ce lieu. J'avisais une petite table et un tabouret surplombé par une étagère munie de croisillons. Je me demandais bien à quoi cela pouvait servir.
Une fois mon baluchon vidé et rangé, quelqu'un toqua à l'huis de ma porte. C'était Aminata qui me remit trois tuniques bleu pâle et trois himations vert d'eau à liseré bleu azur. Je ne connaissais pas toutes les subtilités des codes des uniformes, mais je me sentais si fier de les recevoir que je ne résista pas à en essayer un. La tunique m'arrivait un peu au dessus du genoux, et je galérais un peu à ajuster l'himation qui était trois fois plus grand que les vêtements que je portais habituellement. Lorsque j'entendis toquer à nouveau à la porte, je n'osais aller ouvrir de peur de m'empêtrer dans la longue étoffe contre qui je me battais avec acharnement.
— Entrez ! dis je simplement et lorsque la porte s'ouvrit, je vis le regard vert de Daphné dans un splendide chiton bleu pâle et un péplum vert à liseré rouge. Elle s'esclaffa en me voyant avant de se reprendre :
— Attends, mon frère, je vais t'aider. Tu n'as jamais porter d'himation ?
— Ça se voit tant que çà ?
Nous échangeâmes un moment d'hilarité et pendant qu'elle me montrait comment m'enrouler l'étoffe autour de moi, elle ajouta :
— Je pense que ce serait bien que nous allions visiter un peu les lieux. Il ne faudrait pas que tu te perdes lorsque demain tu recevras les instructions pour la journée. Et puis, on pourrait visiter les parties communes, comme la salle de repos, les douches, et les sanitaires…
— Les douches ?
— C'est une pluie artificielle qui permet de se laver le corps sans le tremper dans l'eau. Le liquide nous tombe dessus comme une pluie, d'où le nom.
Je ne me sentis pas très bien à cette perspective. Car si il est question de se laver entièrement, il me fallait être dévêtu… et forcément les marques dans mon dos seraient visibles pour peu que les "douches" soient collectives.
— Tu vas bien, mon frère ?
J'affirmais de la tête. Elle ajouta :
— Un bon thé nous remettra de toutes ces émotions. Allons dans la salle de repos.
Je la suivis après avoir fermé ma porte avec précaution. Apparemment elle savait où elle allait.
La salle de repos était un lieu avec des sofas, où on pouvait s'allonger, une table basse qui semblait permettre à une personne allongée d'être à la hauteur des assiettes. J'appris par la suite que les olympiens de haut lignage se nourrissaient en s'allongeant "à la romaine". Ils mangeaient allongés alors que jusqu'à présent, j'avais toujours mangé assis.
Nous y trouvâmes Akhenaton et un jeune de mon âge, un certain Tiberius, qui venait de la colonie "vaticane", et pendant que je me demandais ce qu'était cette colonie, il me souhaita la bienvenue. Son accent chantait comme les cigales au soleil de la mésembria. Il avait un nez aquilin et des yeux sombre dans un visage basané, mais pas aussi sombre qu'Akhenaton dont la carnation me faisait penser au bois d'ébène, au reflet bleuté. L'Egyptien avait le blanc des yeux qui ressortait fortement sur son teint sombre et lui donnait un regard étonnamment vivant. L'homme mûr qu'était Akhenaton reprit sa conversation sur le sujet favori des guérisseurs du centre de réparation : l'art de refermer une plaie. L'adolescent qu'était Tiberius l'écoutait sagement et moi, je ne savais pas où me placer…
— installe toi ici, me dit Daphné, je vais préparer du thé.
Et je la vis se diriger vers le fond de la salle où se trouvait déposée sur les étagères, une collection complète de plantes à infuser. Je m'allongeais sur un sofa et m'y trouva si bien que je m'endormis aussitôt. bercé par la voix grave d'Akhenaton.
Mon sommeil dut être bref, car lorsque je revins à moi, encore confus, une tasse de thé m’attendait, sa vapeur montant en volutes délicates. Akhenaton et Tiberius n’avaient pas bougé de leur emplacement, discutant à voix basse. Quant à Daphnée, elle prêtait l’oreille à leur conversation sans s’immiscer, signe qu’elle ne maîtrisait pas ce sujet particulier. Pourtant, ce matin même, elle avait discuté longuement avec Eugénios, ce qui signifiait qu’elle connaissait déjà certains aspects de l'organisation complexe de la citée. Elle remarqua mon geste hésitant vers la tasse et ses yeux verts brillèrent d’un sourire chaleureux.
— Bien dormi ?
Je me redressai, gêné, prenant la tasse dans mes mains.
— Je vous demande pardon… Je… Je devais être épuisé par mon périple. Depuis ce matin, j’ai l’impression d’avoir changé de monde…
Akhenaton posa sur moi un regard empreint de bienveillance.
— Tu vis coup sur coup des émotions contradictoires qui t’épuisent, petit frère. Rassure toi, c’est fréquent. Tiberius te dira comme moi que nous avons tous eu besoin de temps pour nous adapter. Plus tu viens de loin, plus le choc est grand. Tu es des environs de l’Olympe, tu t’y feras vite.
Tiberius hocha la tête en signe d’approbation.
— Je me souviens que ma première semaine au centre de réparation fut intense. Chaque soir, je m'écroulais dans mon lit et ne me réveillais qu’au matin.
— Nous sommes tous passés par ce stade, acquiesça Akhenaton. Ce sont les nerfs qui lâchent. Nous sommes tous des personnes qui avaient besoin de guérir de notre passé, et l’Olympe est un haut lieu de guérison. Si tu as des blessures morales ou physiques, il est normal que ton corps relâche un peu de tension.
Je pris une gorgée de thé, savourant une saveur délicate, subtile, que je ne pouvais nommer, mais qui réchauffait mon être.
— J’ai eu l’impression d’arriver à destination quand je suis entré dans ma chambre, avouai je entre deux gorgées. En rangeant mes affaires, j’ai ressenti que j’étais enfin chez moi…
Tiberius sourit, comme s’il comprenait parfaitement ce que je voulais dire.
— C’est exactement ça. Tu es chez toi, maintenant. Ton passé est derrière toi. Tu peux te reposer et offrir ton meilleur potentiel à la communauté de l’Olympe.
Je souhaitais de tout mon être qu'ils n'aient pas tous l'idée de me cuisiner pour que je leur avoue ma vie passé auprès d'un père sans instruction et d'une mère sans caractère… En même temps, je bénissais le souvenir de cette dernière qui m'avait ouvert les portes de l'Olympe en me transmettant le nom de celui qui avait changé ma vie. Une fois ma tasse achevée, je m'enquis des intentions de Daphnée. Voulait elle toujours continuer la visite ? Elle se leva, pétillante et alla laver les tasses que nous avions utiliser dans un évier métallique. Elle pris le temps d'essuyer la vaisselle et de la ranger posément sur les étagères avant de m'entraîner dans son sillage. Nous saluâmes les deux guérisseurs et nous dirigeâmes vers les sanitaires.
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