L'exploit de la vachette
Je passais plusieurs lunes à m'occuper des animaux, des abeilles jusqu'aux ovins, en passant par les oiseaux et un grand nombre de mammifères lorsque ces derniers n'avaient pas été sacrifiés par un humain incarné.
Je prenais doucement ma place au sein de la colonie. Déjà, on me disait doué au point que les cas de vieillissements les plus intenses m'étaient confiés. Je m'occupais d'animaux de plus en plus âgés, comme le cas mémorable d'une vache de plus de 60 ans de vie incarnée qu'elle avait passé sa vie en Inde où les humains, même pendant l'hiver, se nourrissaient de végétaux, permettant aux bovinés de mourir de vieillesse.
De l'état de vache adulte, elle se retrouva génisse. L'affaire fit le tour du ministère et je me retrouvai le soir au réfectoire, à serrer des poignets des frères et sœurs que je ne connaissais pas bien, seulement de vue, et qui me félicitaient en passant affectueusement leur main dans mon dos en me lançant des regards brûlants de fierté. Une fois muni de mon plateau, ils étaient tous à m'interpeler pour avoir l'honneur de m'avoir à leur table. Je ne savais où me mettre sans offenser personne lorsque la voix de Raphael m'appela de loin, alors que je m'étais arrêter à une table particulièrement enthousiaste. L'appel de Raphael était un ordre. Je m'excusais auprès des quémandeurs et je me rendis à la table de Raphael où m'attendaient Tiberius et Aminata. Nous fûmes bientôt rejoint par Akhenaton et Daphnée qui me lança un regard fier en s'installant en face de moi, à côté d'Aminata. À son habitude, Akhenaton s'installa en face de Tiberius et tous écoutaient Raphael qui menait les débats. Il me demanda un compte rendu complet de ma journée auprès de la plus honorable boviné qui était enfin de retour dans notre colonie. J'appris qu'elle était passée dans notre monde à l'âge vénérable de 63 ans. L'avoir rajeunie jusqu'à 1 an et demi fut de l'avis de tout le monde, un tour de force. À ceci près que je n'avais pas l'impression d'avoir fait un exploi. Aussi Raphael me donna malgré mes protestations 3 jours de congé.
— Je sais bien, me dit il, que tu as l'impression d'être en forme, mais attends que baisse la tension, quand tu retrouveras dans ton lit : je te le dis pour l'avoir vu mille fois et en avoir moi même fais l'expérience : demain, tu ne pourras plus te lever.
Il ajouta que lorsque je reprendrais, il voulait que je me rende dans les étages supérieurs réservés aux humains. Car si j'avais suffisamment d'énergie au fond de moi pour rajeunir un animal plus gros qu'un homme, rajeunir un humain ne devrait pas me poser de problème.
— Dois je comprendre que je ne régénèrerais plus les animaux ?
— Nous avons plus d'humains à rajeunir que d'animaux ; surtout des tailles aussi imposantes dans nos contrées. Et il y a suffisamment de régénérateurs dans nos salles de soin animalier pour les rajeunir s'ils sont de taille moyenne, comme les ânes qui sont les animaux les plus aptes à mourir de vieillesse chez nous. Par contres, les humains sont bien plus nombreux et plusieurs étages leur sont dédiés. Je ne te demanderais pas de changer de service si ne n'étais pas certain que tu es l'homme de la situation."
Je n'affichais que 13 ans d'âge. Et j'étais infatigable depuis que j'avais pris le rythme des journées tels qu'on les vit au ministère de la santé… à ceci près que le lendemain, comme Raphael me l'avait prédit, je fus incapable de me redresser : à peine assis, ma tête tournait. Je me rallongeai et criai au secours. Daphnée arriva aussitôt et entra après avoir toqué. En me voyant elle compris.
— Restes couché : je vais t'apporter ton déjeuner matinal, tu verras, tu seras mieux. Mais après tes ablutions, tu te reposes.
— On se verras en salle commune alors ?
— Tant que tu ne te retrouves pas dans les salles de soins, car si Raphael te voit, je ne sais pas ce qu'il fera de toi, mais le résultat sera pas joli à voir.
Elle disait cela dans un sourire lumineux. Je me laissais retomber sur mes oreillers et je me rendormis.
Lorsque je revins à moi, deux petits pains au lait d'ânesse et une soupe de fèves sucrée m'attendaient sur ma table de chevet. Je me redressais péniblement et trouva la force de m'asseoir pour me sustenter.
Je traînais, le reste de la matinée, dans la salle commune de repos, à recevoir les éloges des uns et des autres, qui passaient à tour de rôle pour se prendre une tisane, un fruit ou quelques minutes de sommeil, allongé sur les sofas. Lorsque vint l'heure du repas de la mi-journée, je me traînais encore, jusqu'au réfectoire. Mes muscles étaient douloureux comme si j'avais couru toute la nuit, et cette fatigue ne me quittait pas. Raphael, à sa table habituelle, me toisa avec une pointe d'inquiétude lorsque je m'assis à ses côtés.
— Quel changement dans ton regard, mon frère, me dit-il. Je me demande si je ne vais pas te laisser 7 jours de repos plutôt que 3. As-tu faim ? c'est tout ce que tu as sur ton plateau ? Du gruau ? Mais il te faut des fruits et des protéines animale donné avec amour.
Je ne comprenais pas de quoi il me parlait. De quel protéine me parlait il ?
Raphael s'était levé et s'était éloigné vers l'alcôve de service. Nous entendîmes un soupçon de reproche dans sa voix.
— Eh bien, frère Agathon, n'y avait il pas un peu de lait de brebis fermenté pour notre frère Adelphos ? N'avons nous pas eu tantôt quelque femelles parmi les moutons qui sont venues il y a quelques jours offrir leur lait.
J'entendis une voix d'un jeune frère, intimidé qui répondit une phrase d'excuse dont je ne perçu pas les mots exacts. Aminata me sourit et me rassura :
— Ce n'est pas de la colère, çà. C'est juste une mise au point.
— Des brebis sont venue donner leur lait ?
— Nous n'avons pas d'hormone de lactation, nous, les humains, lorsque nous revenons de la vie incarnée. Mais les autres animaux, si ! Et qu'ils soient brebis, chèvres ou vaches, ils viennent régulièrement nous voir en ville pour se faire traire.
Et Tiberius ajouta avec la même bienveillance :
— Nous avons parfois tellement de lait que pour ne rien perdre, nous faisons des fromages. Mais il n'empêche que cela est distribuer au compte goûte : si nous en mangions tous, il n'y en aurait pas assez pour les cas comme toi, qui ont besoin d'un apport de protéines supplémentaire.
Quand Raphael revint, il déposa sur mon plateau du pain beurré et du fromage odorant dans un bol. J'entrepris d'étaler ce fromage frais sur le pain et mordis avec appétit. La bouchée me transporta : l'amour de l'animal était présent dans chacune des portions caillées et savoureuses. La douceur de la protéine figée, glissait sur ma langue comme une caresse, salée et douce à la fois. Je vivais un rêve gustatif à m'évanouir de bonheur. Raphael, assis à côté de moi m'empêcha de tombé à la renverse.
— Doucement ! me dit-il. Tu as le temps. Ne te jette pas dessus. Personne ne viendra prendre ton déjeuner. Prends le temps de savourer.
— Tu vois que tu as faim, répondit Akhenaton, hilare. Un bol de gruau ne t'aurais pas suffit. Tu as puisé dans ton énergie et tu dois la reconstituer avant de reprendre un régime normal.
Daphné arriva sur ces entrefaites et me gratifia d'un sourire.
— Tu as meilleure mine que ce matin.
— Je n'ai même pas eut l'occasion de te remercier pour avoir été chercher ma collation matinale.
— Tu n'aurais jamais pu tenir debout. Je n'ai fais que ce qu'aurait fait n'importe qui dans ce cas.
Une sœur m'apporta un verre d'un liquide blanc. Du lait ?
— … avec les compliments de biquette ! Tout droit sorti du pis, il est encore tout chaud…
Je bu avec délectation, le cœur reconnaissant.
Le repas fini, je retournais en salle de repos, les muscles toujours aussi douloureux, mais l'estomac remplis par l'amour des animaux que j'avais soigné. Ils me rendaient l'affection que j'avais déployer pour les rajeunir et me la rendaient à leur mesure. Je dormis toute l'après midi, d'un sommeil entrecoupé de temps d'éveil où une tisane fumante trônait sur la table basse. Il y avait toujours quelqu'un qui veillait et me fournissait de quoi m'hydrater.
Lorsque je retourna au réfectoire le soir, Agathon ne fit pas la même erreur : il me remis une coupe de salade de fruit, un verre de lait de chèvre et un fruit que je ne connaissait pas, il était énorme. Le plateau était trop lourd pour moi. Je n'ai pas réussi à le soulever, mes muscles ne répondant pas à ma volonté de porter quoi que ce soit… J'avais déjà un mal fou à me porter moi-même ! Ce fut Agathon qui porta mon plateau jusqu'à la place que Raphael m'avait réservé.
— C'est quoi, ce fruit ? demandais je
— Un pomelos de Chine, me dit Raphael. C'est un agrume. Il y en a beaucoup en chine. La peau est épaisse, mais une fois séché et coupé en lamelle, elle parfume le thé. Et la chair du fruit est très juteuse. Cela t'hydrateras en calera ton estomac sans le surcharger. Tu dormiras d'autant mieux cette nuit.
— Je n'avais jamais entendu parler d'agrume.
Je goûtais le fruit épluché après avoir retirer la peau épaisse. Ce fut une véritable révélation. Ce fruit était gorgé de l'eau des rivières de montagne, sucré et légèrement acidulé. Cela était étonnamment rafraîchissant. Je ne savais pas où était la Chine, mais j'imaginais un pays de montagne de granit et de rivière tumultueuse, jonché de cailloux et de poissons vivaces.
— Comment un fruit de Chine se retrouve il en Olympe ?
— Le gouverneur a ouvert la colonie olympienne aux colonies lointaines, me répondit Raphael. C'est comme cela que j'ai rencontrer mon épouse, Aminata, et qu'Akhenaton et Tiberius ont pu nous rejoindre. Ce fruit a été rapporté par Cheng, un médium que nous avons dû soigner car ses convulsions étaient très violentes. Il est à présent parmi nos réparateurs, car c'est précieux, un médium : Il peut lire les pensées des patients qui nous reviennent inconscients.
C'est en rougissant que je compris qu'Aminata était l'épouse de Raphael… une mère différente de la mienne, avec ses idées qu'elle exposait avec clarté, sans être regardé comme inopportune. Et Raphael, remplaçait très bien mon père dans mon cœur. Un père dont la bienveillance me faisait grandir de l'intérieur. Je regardais ses yeux vairons avec de moins en moins de crainte, et Aminata était pour moi, la mère protectrice que je n'avais jamais eu.
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