La rumination

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Je me reposais un hebdomas entier, retournant au bout de 3 jours, dans les jardins. Les moutons se mirent à trotter vers moi et je pus saluer chacun d'entre eux. J'aurais bien voulu en tondre quelques uns, mais je me sentais encore trop faible. J'avais déployé mon himation sous un chêne pleureur et m'y allongeai. Ce que je n'avais pas prévu, c'est que les moutons en firent autant, oubliant de paître, ils s'étaient allongés sous le chêne et certains se collant à moi, s'endormirent, comme si ma fatigue étaient contagieuse.

Je fus réveillé par une secousse. C'était Akhenaton et Raphael. Je voyais bien à leurs regard qu'ils s'étaient inquiétés, mais qu'à présent, ils étaient soulagés.

— Nous ne t'avons pas vu au réfectoire. Aminata et Daphnée étaient si inquiètes qu'elles n'arrivaient pas à se nourrir.

Je bredouillais des excuses en me redressant un peu désorienté. Raphael me rallongea d'un geste doux et aimant, sans brusquerie, et aucun reproche ne transparaissait dans sa voix lorsqu'il rajouta ;

— l'essentiel, c'est que tu ne sois pas plus souffrant.

Un bêlement lui répondit, aussitôt repris par tout le troupeau. Les moutons étaient en phase de rumination et entendaient ne pas être déranger, car ils aiment ruminer au calme. Un peu surpris par ces accents impératifs, Raphael jeta un coup d'œil au premier des moutons à s'être manifester. Il bêla à nouveau vers Raphael, d'une manière si humainement insistante qu'un fou rire nous pris. Raphael, encore hilare s'adressa à moi :

— Restes là si tu y es bien. J'espère te voir ce soir au réfectoire.

— Oui, excusez moi encore.

— Je t'ai apporté des fruits, du pain et du fromage, dit Akhenaton en déposant à côté de moi une petite boite de bois de chêne qu'il avait enveloppé d'un torchon.

Ils me dirent en revoir et s'en allèrent sous les bêlements du troupeau qui réclamait le droit à la quiétude. On pourrait s'étonner que je puisse décrire avec précisions les bêlements des moutons. Mais ayant vécu avec eux toute mon enfance, je ne peux dire qu'une chose : Ils ont un langage. Les bêlements peuvent transmettre les sentiments, les craintes, la joie, la tristesse, l'espièglerie ; et je sais reconnaître la tendresse d'une brebis et ses bêlements affectueux. Or, sous ce chêne pleureur, le troupeau faisait un rempart de leur corps pour que mon repos, même en pleine journée fut complet. Ils ruminaient paisiblement pendant que je mangeais de bon appétit et se resserrèrent autour de moi lorsque je me rallongea pour poursuivre mon temps de repos. Je me sentais vulnérable, mais le troupeau me protégeait, du moins il en avait clairement l'intention.

Lorsque je retrouvai tout le monde le soir venu, Raphael riait encore de s'être fait enguirlander par un mouton. Toute la tablée explosait de rire, moi le premier.

— Il en avait après moi, le bétail ! C'est la première fois que ça m'arrive.

Il n'en revenait toujours pas. Cela avait dû "faire sa journée". Je restais silencieusement concentré sur mon repas substantiel. Cette fois, il y avait une purée de fruit qui accompagnait le fromage blanc de brebis. Je m'extasiais sur ces plats qui m'était réservés. Et Raphael, dans un sourire doux me lança :

— Notre Maître-du-jeu est de retour. Il sait que je vais lui envoyer mon meilleur élément, et quand il a appris l'état dans lequel tu te trouvais, il s'est mis aux fourneaux pour compoter des fruits. C'est le Grand Nourricier de l'Olympe. Il était temps qu'il revienne.

— C'est pas que les cuisiniers sont mauvais, mais le gruau commençait à me peser, répliqua Tiberius. Au moins, avec le Maître-du-jeu, on a des variations culinaires. Les patients ne s'en porteront que mieux.

— Le Maître-du-jeu ? demandais je, complètement aux antipodes de leurs pensées.

— Eh bien, dit Akhenaton, celui qui gouverne l'Olympe, c'est Emmanuel, mais celui qui est à la tête d'un gouvernement quand il est incarné, c'est Ludovic. Il est le patriarche des Ludovicii, Tiberius te dira comme moi que "Ludovicus" veut dire "Maître-du-jeu" dans la langue latine. C'est la plus importante famille régnante de l'Olympe. Et Ludovic est de retour d'une vie incarnée… nous sommes en effervescence dans le ministère.

— C'est lui que je dois régénérer ?

— Il réclame le meilleur élément parmi nos régénérateurs, dit Aminata. Et forcément, avoir rajeunit une vache à l'état de génisse, ça a attiré son intérêt.

— J'ai eu beau lui dire que tu n'étais pas en état, ajouta Raphael, cela ne change rien pour lui. Il attendra que tu sois remis. Il est passé à l'âge vénérable de 96 ans… et son épouse est sur le point de le rejoindre. Eh bien, il s'est dirigé vers les cuisines et y a mis bon ordre. Tous les commis marchent au pas.

En clair, il ne devait pas être commode. Mais tous parlaient de lui avec révérence et semblaient heureux qu'il soit de retour.

— Je ne me sens pas prêt, marmonnais je malgré moi.

Raphael eut un sourire amusé.

— La figure paternelle te tourmente encore ? Ludovic est le Maître-du-jeu par la grâce des Hautes Sphères. Si ces dernières le voyaient comme un gouverneur sans respect de son peuple, crois tu qu'elles le laisseraient à la tête d'un pays sans réagir. Ludovic est un homme bon, fondamentalement lumineux, et un excellent ligeremens. Mais tu n'as rien à craindre. Si tu es de bonne volonté, il le saura et il sera un excellent protecteur pour toi.

Le lendemain, je demandais un panier repas à emporter à Ariston, pour que je puisse rester dans les jardins sans avoir à revenir au réfectoire en milieu de journée. Les moutons étaient heureux que je reste avec eux, à l'heure la plus chaude, bien à l'ombre, alors qu'ils s'installaient à l'abri des regards, pour ruminer leur bol alimentaire.

Je retournais donc, panier au bras, parler à mes moutons. Je me promenais avec eux, et leur parlais de mes tourments. Étais je à la hauteur pour régénérer une personne aussi importante qu'un Maître-du-jeu ? Je leur parlais de mes doutes et le bélier de tête du troupeau jetait sur moi son regard tendre. Il bêla doucement, comme pour me dire : "ne t'en fais donc pas pour si peu !" Mais qu'est ce qu'un mouton pouvait connaître de la société des hommes ? Ils ont une hiérarchie grégaire, n'importe lequel d'entre eux pouvait décider de sauter d'une falaise, suivit de tout le troupeau. Je tentais de lui expliquer que les hommes ont des rôles différents, certains plus important que d'autre et que les plus importants dirigeaient le peuple. Ce qui m'angoissais était le fait que le premier humain que je devais régénérer était le plus important après le gouverneur lui-même. C'est à dire que je n'avais pas eut l'opportunité de me faire la main sur un simple sujet, je devais sans transition passer des animaux au roi.

Le bélier me donna affectueusement un coup de tête. Je devais sans doute l'agacer un peu à gémir sans cesse alors qu'on me faisait un tel honneur. Raphael ne m'avait il pas dit qu'il croyait en mes capacités, sinon, il ne m'aurait pas confier cette tâche ? Le mouton me rappelait au calme et au présent : Il était l'heure pour lui de tondre la pelouse et il gambada sur le chemin en direction de l'herbe fraîche, pendant que je parcourais les allées de marbres en contemplant ce troupeau plein de sollicitude.

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