Exploration
Deux hebdomadès plus tard, je mettais à profit ce que Raphael m'avait enseigner. J'étais à l'écoute de mes sens et de l'écho énergétique dans la paume de mes mains lorsque je sondais le corps causal du Maître-du-jeu. On pouvait se passer d'un sondage pour les animaux, mais pour un humain, il fallait passer par cette extrémité et il se trouve, qu'à ma grande surprise, j'étais doué à cela. Je savais sortir une énergie régénératrice de mes paumes, mais aussi une énergie pulsante qui me revenait dans les paumes et dont les sensations me renseignait sur l'état interne d'un organisme. À la lecture des sensations qui me revenaient, je visionnais l'intérieur du corps causal du patient.
Je prenais mon temps pour ce premier sondage, remontant chakra par chakra, m'attardant sur le cœur et ouvrant mes oreilles spirituelles pour en sonder chaque harmoniques. Certes, l'organe cardiaque était un peu fatigué, mais c'est une chose normale à un âge aussi avancé. Je poursuivais mon inspection. Le Maître-du-jeu était d'un calme confiant et n'opposait aucune résistance, du moins je n'avais pas l'impression de sentir en lui la moindre crispation musculaire. Mes ondes pulsées revenaient vers moi sans efforts, et j'en tâtais les contours nets et sans bavures. En même temps que je sondais ce corps humain, je découvrais en moi des aptitudes que j'ignorais et se révélaient à moi dans un émerveillement étonné.
Mon père ne savait rien de moi et n'avait jamais rien compris de ce dont j'étais capable. J'étais un guérisseur-régénérateur : je pouvais ramener dans les corps la jeunesse et la vitalité… C'est aussi important que de faire pousser des légumes. Les pensées de mon passé faisant partie de moi, j'avais appris au court des leçons de Raphael, à ne pas chercher à les rejeter comme je le faisais lorsque je dormais. Je ne pouvais combattre mon passé qu'en le laissant exister en moi, sans lui donner plus de temps pour s'exprimer, que ce que la décence exigeait. Aussi je prenais le temps de laisser en moi la mémoire s'apaiser, avant de poursuivre l'inspection du patient.
Il ne montra d'ailleurs aucune impatience lorsque je m'arrêtais pour me reprendre et me recentrer. Sans doute voyait il là le débutant, qui, bien que doué, savait s'attarder pour poursuivre dans de meilleures conditions.
Le chakra de la gorge était impeccable. C'était un orateur à n'en pas douter. Il avait une voix aiguë, mais c'était dû à des cordes courtes et solides. Son troisième œil me regardait, confiant. Même si ses yeux étaient clos, son chakra était grand ouvert et observait son environnement paisiblement, sans jugement préalable. Son coronal était sans doute l'un des plus puissants que j'ai eus entre les doigts. Je ne doutais pas d'avoir affaire à un médium de haut vol. Je tentais de rester calme et de ne pas me juger moi-même comme indigne de lui. Je repris ma respiration pour calmer cette douleur dans mon âme qui, bien qu'ayant le droit d'exister, ne devait pas me perturber pour autant dans mes fonctions.
Oui, je n'étais pas un grand médium, si tenu que j'en étais un. Que le Maître-du-jeu en fusse un, et pas des moindres, ne devait pas me rendre inapte à le servir. Si il m'avait choisi parmi les régénérateurs plus expérimenté, c'est qu'il était sûr de son fait. Lorsque l'inspection fut achevée, je sortis de l'état second dans lequel je m'étais plongé.
— Vous aviez raison, votre Majesté, lui dis-je. Il me faudra plusieurs hebdomadès[1] pour stabiliser votre organisme à un âge défini.
— Appelez moi Ludovic, frère Adelphos, me répondit il comme pour valider sa décision définitive de me prendre à son service pour sa régénération complète.
Quand il se redressa et se tint assis sur la table d'examen, il me scruta de ses yeux verts.
— Ne vous fatiguez pas d'avantage, jeune homme. Ce n'est pas aujourd'hui que vous allez commencer à me régénérer. Comment se passe votre formation ? Le ministre ne se montre pas trop sévère, au moins ?
— Non pas, Votre Maj... euh… Ludovic… Il est au contraire d'une grande patience. Je suis encore bien étonné des aptitudes que je découvre au fond de moi.
— C'est bien ce que j'avais compris. Vous êtes issus de basses conditions. Mais votre potentiel ne demande qu'à sortir. Nous manquerions à tous nos devoirs, si nous ne le développions pas en vous. Cher enfant, avez vous confiance en moi ?
Je le regardais, surpris et répondit sans vraiment réfléchir.
— oui.
Je fus surpris de voir ses yeux si intensément verts. Ce n'était plus la couleur délavé que j'avais vu le premier jour.
— Alors tournez vous et montrez moi votre dos…
Je me sentis me décomposer sur place. Ludovic s'était mis debout. Sa stature était plus grande que la mienne… Il avait la même stature que mon père. Je me mis à trembler. Raphael m'avait-il trahis ? Je balbutiais mon incompréhension. Le ministre aurait dû se montrer plus discret. Mais Ludovic ne me laissa pas dans l'erreur plus longtemps.
— Raphael ne m'a rien dit. Mais pendant que vous m'examiniez, j'ai vu, par mon troisième œil, quelque chose que j'aimerais vérifier par mes propres yeux. Vous me faites confiance, n'est-ce pas ? Moi, j'ai confiance en vous…
Je dû apprendre à lâcher prise sur ma vie et mon passé à la vitesse de l'éclair. Dans un soupir résigné, je me tournais, ôtant mon himation en tremblant et dégrafant mon chiton, laissant mon dos apparaître. Le silence s'installa entre nous. Il ne me toucha pas, mais je sentais son regard me parcourir de façon si palpable que j'en frissonnais. Il se rassis sur la table d'examen.
— Rhabillez vous, mon enfant.
J'agrafais mon chiton et réajustais mon himation en me tournant vers lui. Il y avait une colère contenu dans son regard. Je fus surpris de cette expression.
— Sans doute n'êtes vous pas le seul parmi mon peuple a avoir été une victime de tels esprits obtus. Je veillerais personnellement à ce que cela ne se reproduise pas. J'en parlerais au gouverneur. Si les murs intérieurs de la ville dépendent de lui, il doit comprendre que son autorité s'étend à l'extérieur des murs, dans toute l'Olympie. L'éducation des peuples de basses conditions doivent aussi être dans ses projets. Il paraît que vous vous croyez femme plus qu'homme ?
— C'est ce que disais mon père, ainsi que son frère, mon oncle. Ils s'en amusaient forts, quand mon père ne me battait pas.
Je voyais bien que le vieux patriarche était affecté par mes propos. Il ravalait ses mots qui, si ils étaient sortis, n'auraient certainement pas manqué d'être durs. Il se leva à nouveau et, s'appuyant sur moi, retourna dans sa chambre. Je sentais bien qu'il y avait en lui une colère sourde. Sur le chemin, nous croisâmes Raphael.
— Monsieur le Ministre de la Santé, dit alors posément Ludovic, je tiens à parler au gouverneur. Assurez vous qu'il vienne dans les plus bref délais.
— Je vais le prévenir séance tenante, votre Majesté, répondit Raphael en s'inclinant.
Et il fit instantanément demi-tour, dans une obéissance totale pour faire mander le gouverneur, pendant que je ramenais pas à pas le Maître-du-jeu dans sa chambre. Je lui arrangeais son lit et l'installa pour qu'il se repose.
— à demain, jeune homme. Et reposez vous tant que vous n'êtes pas avec moi : vous êtes à mon service exclusivement, vous comprenez bien ?
Je m'inclinais. Oui, je comprenais qu'en le ramenant dans sa chambre, j'avais fini ma journée et que j'avais tout l'après midi devant moi pour aller me ressourcer auprès des moutons qui m'attendaient dans les jardins.
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[1] en grec ancien, pluriel de hebdomas, 7 jours.
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