Gulkus, les yeux collés aux instruments de navigation n’en pouvait plus de s’inquiéter. Un bon petit gars loyal en tout. Pas très courageux, c'est vrai, mais loyal. Pour le rassurer on l’avait collé à Krjü pour ce petit périple d’une banalité affligeante. Cependant, Gulkus troisième du nom, élevé à l’ancienne, avait parfois l’impression d’être un peu coincé devant la témérité et la fougue de Krjü.

 — Nan parce que là, la vitesse augmente beaucoup depuis qu’on a pris ce raccourci.
 — Fais montrer ?

Krjü bidouilla deux-trois potentiomètres, fit couiner une alarme et se pencha sur une trappe dont il extirpa de vieux fils électriques enrobés d’huile puante. L'alarme se tut.

 — Bon, j’avoue, on avance un peu vite. Vérifie la console de contrôle de vitesse.
 — 6,5 AL seconde.
 — Gulkus, tes blagues, je m’en passerais bien. Donne-moi la vraie vitesse, s'il te plaît.
 — Nan, on se déplace à 6,5 années-lumière par seconde, je te dis !
 — Nom d’un gnou ! C’est pas possible ! On devrait se désintégrer !
 — Pas obligé, rassura Gulkus, si notre raccourci est un trou de ver, alors nous glissons vers un point de l’Univers à une vitesse prodigieuse sans subir la moindre modification matérielle. Nous allons parcourir une très très grande distance en quelques secondes sans...
 — Nom d'un gnou ! Gulk, calcule immédiatement le point d’arrivée.

Gulkus entra dans l’ordinateur central une série de chiffres qui firent sonner l’ensemble des alarmes du navire spatial. Quelques voyants se mirent à clignoter plus fort. Un affichage central, jauni par le temps, finit par cracher l’information accompagnée d’une voix synthétisée mal réglée.

 — Planète en approche. Nom commun : Terre. Système solaire. Unité de temps : jour de 24 heures, révolution de 365,242189 de leurs jours autour de l’astre principal. Ensemble de neuf planètes. Plus de 70% d’eau. Présence d'oxygène, de carbone, et divers cycles. Profusion de vies et différents organismes dont un dominant : les humains. ATTENTION ! ATTENTION ! Zone contaminée ! Loi martiale IPP140716. INTERDICTION FORMELLE DE PÉNÉTRER DANS CET ESPACE. DÉVIEZ ! DÉVIEZ ! DÉVIEZ !
 — Pourquoi on débarque ici ?
 — Bah, le raccourci, souffla Gulkus.
 — Mouais, ça va, c’est bon ! Je vais te faire manger des taloches, t’en reprendras pas deux fois. Tu paies rien pour attendre.

Une autre alarme vocale se fit entendre soudainement.

 — Point d'impact prévu dans 15 minutes en local. Coordonnées locales : 33°23′ 14″ N 104° 31′ 41″ O.
 — Il est pas fait pour atterrir ce truc ! Ça reste en l’air d’habitude ! Gulk, vite ! En mode invisible. Faudrait pas que ces primates nous repèrent.
 — Mode invisible déficient ! Décélération trop brusque, hurla-t-il.
 — Bon, ok. On se casse avant l’entrée en atmosphère. Prépare le caisson de survie.
 — Opérationnel. Go !

Gulkus appuya fort sur le déclencheur de pulvérisation à froid. Dans un panache sans bruit le module de survie fila discrètement en direction opposée, s’engouffrant instantanément dans le trou de ver.

 — Gulk ? T’as fait quoi, là ?
 — Bah, j’ai déclenché.
 — Gulk, bon sang !

Il le fixa longuement.

 — Est-ce qu’on est dans le caisson en ce moment ?
 — Heu, nan, ha oui, je me disais bien aussi pourquoi il me demande d’évacuer le caisson alors qu’on n’est pas encore dedans ! Ouais, je vois. Attends, on va…
 — On va quoi ? Nom d'un gnou empaillé ! On va quoi ?