A la pointe du raz, on ne m'y reprendra pas !

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Cléo !

Finalement, il ne nous aura pas fallu longtemps pour atteindre notre première étape après notre pause déjeuner. En mettant les pieds dehors, je suis saisie par le vent frais. Joy a la ferme intention de faire une randonnée et j’avoue que je ne suis pas super excitée à cette perceptive. Mais bon, cela va me permettre de prendre de belles photos pour mes élèves. En tout cas, une chose est sûre, le paysage est vraiment magnifique. Tout est verdoyant à perte de vue, même la plupart des rochers sont recouverts d’herbe. Le vent souffle et projette des vagues contre la falaise. Un frisson me parcourt et je décide d’aller me changer. Ce n’est certainement pas en Bretagne que je pourrais peaufiner mon bronzage. Je crois qu’un pull, un jogging et une paire de baskets sont bien plus appropriés au climat.

— Je trouve que nous ne sommes pas si mal, s’exclame Joy en s’étirant, pendant que Léo semble se préparer pour un marathon !

— On peut savoir ce que tu fais, demandé-je ?

— Je prépare mon corps à l’exercice physique.

— Tu sais que l’on va juste se balader un peu le long de la falaise, il n’est pas prévu de faire un triathlon, lui répond notre amie.

— Ne t’en fais pas pour moi, je sais très bien ce que je fais !

Nous la regardons toutes les deux en souriant alors qu’elle se lance dans des exercices improbables. Les jambes semi-écartées et la tête entre les deux, mettant en avant son fessier bien galbé dans son leggins. Elle enchaîne ensuite avec un levé de jambe parfait. Punaise, elle est quand même vachement souple. Je suis admirative !

— Léo, je ne te savais pas si… flexible.

Elle se redresse et me fixe avec un petit sourire en coin, mi-amusé, mi-carnassier.

— Alors ça, c’est parce que tu ne m’as jamais vu à l’œuvre dans un lit !

Elle me regarde en haussant plusieurs fois ses sourcils avant d’éclater de rire. La salope, maintenant, je suis en train de l’imaginer dans toutes les positions du Kamasutra, beurk, c’est horrible. Je tente de me concentrer sur le paysage qui m’entoure et de penser à autre chose. Un lapin tient, c’est mignon un lapin ! Mais ne dit-on pas « baiser comme des lapins » ? Très mauvaise idée. La bouffe, c’est la vie, je vais m’imaginer un sandwich, avec de la viande et de la mayo. Maintenant, j’ai faim, est-ce que l’on a de la mayo quelque part ? « Faire monter la mayonnaise ». Oh misère, c’est encore pire. Je secoue la tête. Parfois, je déteste mon cerveau qui part dans tous les sens.

— Bon, on y va ?

Je prends la tête de la marche en les laissant derrière moi, il faut que je m’occupe. Nous nous sommes garés à la sortie du dernier village, ne pouvant pas aller plus loin. Si nous voulons voir le phare et nous rendre jusqu’à la pointe, il faut y aller à pied ou à vélo, mais comme nous n’en avons pas, le choix est vite fait. Nous empruntons un sentier et marchons droit devant. Durant le trajet, je prends quelques clichés du paysage qui nous entourent et nous faisons quelques selfies que Léo s’empresse de mettre sur les réseaux sociaux.

— Voilà c’est faits ! s’exclame-t-elle. Et avec un peu de chance, connard va tomber dessus !

— Tu sais, je me fous complètement de ce qu’il peut penser.

— Peut-être, mais lui montrer que tu l’as totalement oubliée ne peut pas lui faire de mal.

Elle n’a pas tout à fait tort. J’ai galéré durant des mois, mais maintenant c’est fini, il fait partie de l’histoire ancienne et c’est très bien comme cela. Cette séparation m’a bien assez pourri la vie, tout comme notre histoire, soit dit en passant. Si avec Joy, nous avons viré Connor de nos réseaux sociaux, Léo, elle l’a conservé, juste pour avoir un œil dessus. C’est plus fort qu’elle, il faut qu’elle soit toujours au courant de tout avant tout le monde. Elle fouille les comptes à la recherche du dernier potin de ceux, qu’elle déteste. Parce qu’elle est comme ça ma meilleure amie, soit elle aime, soit elle ne peut pas encaisser, mais il n’y a pas de juste milieu.

En arrivant à proximité du phare, qui a vue de nez, doit être à peu près au centre de la distance à parcourir, je me rends compte que je suis partie sans eau et que j’ai super soif !

— Dites les filles, l’une de vous a pensé à prendre un truc à boire ?

— J’avais bien préparer une bouteille, mais tu es partie tellement vite, qu’elle est restait sur la table, me répond Joy.

C’est bien ma veine !

— Tu veux faire demi-tour ? me demande-t-elle.

J’alterne mon regard entre ce que nous venons d’arpenter et ce qu’il nous reste à faire, puis je consulte mon téléphone. L’après-midi est déjà bien avancé et il n’est pas certain que nous ayons le temps de refaire le trajet. Avec la chance que nous avons, nous risquons de nous perdre à la nuit tombée et de devoir dormir sur place et il fait définitivement trop froid pour cela.

— Certainement pas, il est hors de question de faire demi-tour ! Cléo, je t’aime, tu le sais, tu es un peu comme la prunelle de mes yeux, mais dis-toi bien que même pour tes beaux yeux, je ne me retaperais pas tout ce que nous venons de parcourir !

— Ça va, ça va, j’ai compris, pas la peine de me fixer avec ton regard de merlan frit, j’ai saisie, lui réponds-je.

Un rictus sur les lèvres et l’air entendu, elle repart vers le phare, nous sur ses talons. Cela fait un peu plus d’une heure que nous sommes parties et si nous continuons à cette allure, nous ne sommes pas de retour au camping-car avant environ trois heures. Je vais finir déshydrater c’est une certitude.

— On monte ?

Je lève les yeux vers le sommet avec l’impression que le haut s’étire vers le ciel à l’infini. Bordel, il doit y avoir un sacré paquet de marche pour arriver là-haut, mais la vue doit être saisissante. Aller, un peu de courage, un peu de sport ne peut pas me faire de mal. Après tout, je suis bien là pour prendre un nouveau départ, commencer une nouvelle vie et avoir une meilleure hygiène en fait partie. C’est donc remonté à bloc, que je m’élance derrière mes deux copines à la conquête du phare. À mi-chemin, je buffle comme une vache et en arrivant au sommet, je ne sens plus mes jambes. Bon, ben, il est clair que je ne suis pas encore prête pour un marathon. Le souffle court et la tête entre les jambes, je tente de reprendre une respiration normale, ma gorge est sèche et j’ai la sensation que ma langue est en train de peler, tant elle manque d’hydratation.

— À ouais, quand même ! s’exclame Joy derrière moi.

— Cléo, regarde ça ! C’est magnifique, renchéri Léo.

Elles ne sont pas plus sportives que moi en temps normal. Alors pourquoi, elles semblent aller parfaitement bien, alors que moi, je suis à l’article de la mort ? Je prends une grande inspiration et je finis par me redresser en soufflant un bon coup tout en m’approchant de la balustrade.

Bon sang, la vue est vraiment à couper le souffle. Face à moi s’étend la pointe du raz qui se jette dans la mer. Quelques rochers se poursuivent à l’extrémité et forment ce qui pourrait ressembler au dos d’une grosse bête en train de plonger, avec au bout un autre phare. Je trouve cela fascinant. Les rayons du soleil se reflètent dans l’eau et elle scintille de mille feux. Les projections de lumières sont sans arrêt en mouvement, grâce au rythme de l’eau. Les vagues qui s’écrasent sur les rochers projettent des milliers de gouttelettes qui brillent telles des lucioles, dansant juste pour ceux qui se risquent dans le coin.

Je dégaine mon appareil photo, même si je suis certaine de ne pas arriver à rendre justice au spectacle qui s’offre à mes yeux. Les filles semblent tout comme moi complètement absorbées par la représentation que dame nature nous donne. Finalement, je ne regrette absolument pas d’être montée jusqu’ici, bien au contraire. Et maintenant que je viens de voir cela, il est hors de question que je n’aille pas jusqu’au bout.

— On va peut-être y aller, si nous voulons être rentrées avant la nuit, s’exprime Joy d’une voix douce, qui nous fait doucement sortir de notre état de béatitude.

— T’as raison, la dernière en bas fait la bouffe !

Léonie prend la sortie et dévale les escaliers à toute vitesse sous notre regard dépiter, mais néanmoins amusé. Cette fille est complètement dingue et plus elle prend de l’âge, plus j’ai l’impression que cela ne s’aggrave. À ce rythme-là, le jour où elle fête ses trente ans, elle nous fait une crise d’adolescente et pour l’avoir connue à cette époque-là, personne ne veut revivre cela et moi encore moins que les autres.

— Tu crois qu’elle va courir directement jusqu’à la pointe ? rit Joy.

— Tu plaisantes, elle serait bien capable de faire trois fois le tour de la Bretagne, simplement pour pouvoir éviter de faire un repas. Tu la connais, répondis-je alors que nous atteignons enfin la terre ferme.

Nous sommes en train de rire alors que nous contournons le bâtiment pour nous rendre à la fin de notre excursion. Je fouille l’horizon du regard pour voir si j’aperçois Léo au loin.

— Mais qu’est-ce que vous êtes lentes, résonne une voix sur ma droite qui me fait sursauter.

Je me fige et me tiens la poitrine d’une main tout en accrochant fermement le bras de Joy à côté de moi. Je découvre ma meilleure amie qui est appuyée sur le phare et qui semble nous attendre.

— Putain, mais t’es complètement con ou quoi ? J’ai bien failli faire une attaque !

— Toi, une mouche qui vole pourrait te foutre la trouille, me répond-elle carrément morte de rire.

— Dixit, celle qui a peur de son ombre, réponds-je.

Elle lève les yeux au ciel, mais ne réplique pas, en même temps, elle sait parfaitement que j’ai raison. Lorsque nous arrivons à la pointe, le soleil est beaucoup moins haut et la fraîcheur ambiante se fait de plus en plus sentir.

C’est une doudoune que j’aurais dû prévoir !

— Bon, finalement, je crois que nous n’avons définitivement pas le compas dans l’œil ! Il y avait bien plus de kilomètres que ce que j’aurais cru ! m’exclamé-je.

— Mais tu ne trouves pas que cela en valait la peine ? me répond Joy.

— Si ! Bien sûr, d’ailleurs, je vais prendre quelques clichés.

Je m’approche du bord et descends sur un plateau un peu en contre bas.

— Fais gaffe quand même, m’interpelle Léo.

— Que veux-tu qu’il m’arrive ?

— J’en sais rien moi, tomber à l’eau ou te faire croquer par un truc.

— Que veux-tu qui l’avale, c’est pas la p’tite bête qui va bouffer la grosse, dit Joy en explosant de rire. Sérieux Léo, il faut vraiment que tu arrêtes de psychoter pour n’importe quoi ou que tu cesses de regarder des séries débiles sur Netflix !

Ses yeux s’ouvrent en grand, si bien qu’ils pourraient sortir de leurs orbites. Sa bouche forme un O parfait, mais je ne lui laisse pas le temps de dire quoi que ce soit. Je me retourne pour voir ce qu’elle fixe comme cela.

— Oh… Put…

Impossible de finir ma phrase, une énorme vague me tombe dessus et je finis les fesses coincées entre deux rochers. Je tousse pour évacuer l’eau que je viens d’avaler et je m’essuie le visage. Pourquoi il n’y a qu’à moi que cela arrive ? Pourquoi suis-je la seule à me trouver sans arrêt dans ce genre de situation ? J’en ai marre ! J’ai faim, j’ai soif et maintenant, je suis trempé jusqu’aux os.

Qu’est-ce que j’ai bien pu faire un Bon Dieu pour mériter ça ?

— Cléo, ça va ? Tu ne t’es pas fait mal au moins ? me demande Joy au-dessous de moi.

Je relève la tête vers elle, encore un peu sonner. Je tente de me redresser, mais j’ai l’impression d’être coincée. Agrippée à un rocher au-dessus de moi, je tire de toutes mes forces pour tenter de m’extraire de ce mauvais pas, mais je suis vite repoussée par une seconde vague qui m’enfonce encore un peu dans le piège. Au bout d’un temps qui me paraît infini et un nombre incalculable d’essais, j’arrive enfin à me dégager. Je remonte tant bien que mal avec l’aide de mes amies qui me tire vers le haut. Quand enfin, j’arrive au sommet, je suis vidée physiquement !

— Putain la morue, tu ne t’es pas loupée ! s’exclame Léo en riant.

Pliée en deux, elle rit à gorge déployer. Je ne peux pas me voir, mais je peux très bien imaginer ce à quoi je dois ressembler. Mon jogging me colle à la peau et de l’eau sort de mes chaussures au moindre pas que je fais. Des mèches de cheveux me collent au visage et des goûtes s’écoulent à leurs extrémités.

— Attends, ne bouge pas !

Joy s’approche et me retire des algues de la tête, pendant que Léo tente de prendre des photos, mais elle se marre tellement qu’elle a du mal.

Et c’est là que je regrette que ma meilleure amie soit une accro des réseaux sociaux !

Je suis presque certaine que ma tête va finir en tête d’affiche, mais bon, si j’avais un peu d’amour propre, je ne serais plus amie avec elle depuis bien longtemps !

— Toi qui avais soif, te voilà servie ! s’exclame Léonie.

— Hahaha, très amusant !

— Ha ben si, avoue-le quand même !

J’essaie de me contenir, mais franchement, de la voir rire autant, je n’en peux plus.

— OK, j’avoue, réponds-je avant de moi-même partir en fou rire.

Je suis frigorifiée, mais je ne peux pas nier que la situation est quand même drôle et puis si cela avait été elle, à ma place, je serais dans le même état. Nous prenons le chemin du retour et j’avoue que je suis encore plus motivée qu’à l’allée. Je rêve d’une bonne douche chaude, d’un plaid et d’un truc chaud capable de réchauffer de l’intérieur.

Mais une chose est sûre, la prochaine fois, j’y réfléchirais à deux fois avant d’aller au bout de mes idées stupides !

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