La guerre est déclarée

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Chapitre 1 :

De l'auteur Alwecrivaine

Depuis ma haute fenêtre, je percevais le brouhaha naissant de la ville en éveil. Dès que le soleil m’avait tirée du lit, je m’étais dit que la journée allait être comme toutes les autres, chargée de travail et de responsabilités, mais un pressentiment m'avait intimé qu’il était trop tôt pour se lever. Un mauvais pressentiment qui me disait qu’il valait mieux rester alité et éviter les ennuis. Quelque chose avait changé, ça se sentait dans l’air. Le claquement des sabots sur le pavé fut plus bruyant ce matin-ci. Je finis par me lever et arrive à ma fenêtre, je contemple les toits de tuile ou d'ardoise, parfois même de bois ou de chaume, qui constituent ma principale vision de la ville au premier abord. En baissant les yeux, je voyais le fourmillement des citoyens et paysans vaquant à leurs occupations dans les grandes rues pavées ou les ruelles terreuses. Aujourd'hui, les émissaires et autres diplomates s’agitaient vivement, signe d’une grande nouvelle. Mon visage se crispa et mes sourcils se froncèrent, persuadée qu’il s’agissait d’une funeste information. Je me dirigeai vers mon armoire pour me vêtir et connaître la raison de cette agitation. Un cri se répercuta dans toute la ville, au moyen des différentes voix réparties des émissaires, « Guerre ! ». L’annonce se rependit comme une traînée de poudre, bientôt tout le monde serait au courant. Énergiquement, j'enfilai mon justaucorps, la tête pleine de questions. Je mis son armure tout en ouvrant la porte ouvragée pour envoyer mon valet chercher les conseillers du Territoire et je fis mandater un émissaire pour avoir des informations personnelles.

Alors qu’e je m’empressais de descendre les immenses marches de l’escalier en marbre blanc, je fus rattrapée par une jeune femme bonne en chair et rougeaude, enserrée dans une robe lavande simple de qualité moyenne, entourée d’un tablier blanc au niveau de la taille. Essoufflée, la servante me pria de prendre mon petit-déjeuner avant de débuter sa journée. Sachant qu’il restait du temps avant que les conseillers soient prévenus et arrivent, j'acceptai. Finalement j'avais de l’appétit et je me remémorais des heures plus sombres où je n’avais que ce que les rats laissaient aux cuisines et où je finissais aux latrines parce que mon corps rejetait ces immondices. Perdue dans mes souvenirs d’une époque révolue, mais qui menaçait de revenir avec la guerre, je sursautais lorsque mon valet, de retour, m'annonça qu’il manquait un conseiller à l’appel, mais que les autres étaient là.

Mes pas métalliques claquaient sur le sol et le scintillement de mon armure n’était que brièvement masqué par les ombres des arcades en pierre qui donnaient sur le jardin intérieur. Les regards inquisiteurs des portraits qui couvraient le mur me faisait courber la tête uniquement dans ces moments solitaires. Arrivée au bout de l’allée intérieur, le garde de service m'ouvrit la porte en bois massif tout en m’annonçant. Les six personnes assises qui tenaient un conciliabule se levèrent et inclinèrent la tête et les épaules pour me saluer. Une fois que les autres personnes s’inclinèrent aussi pour mieux s’éclipser, je fis un mouvement de tête pour saluer les conseillers. Je restai debout au bout de la table, les mains posées à plat. On demanda sans attendre plus longtemps l’intervention de l’émissaire.

Les portes laissèrent passer un jeune homme aux cheveux ébouriffés et sales, des vêtements ornés des couleurs du Territoire, bleu foncé et noir, et des chaussures étrangement propres. Le jeune homme, les portes s'ouvrant, essayait d’afficher un air confiant et sérieux, mais à la vue impressionnante des personnes tout aussi importantes qui l’attendait, il déglutit et eut presque peur. Il s’avança néanmoins dans l’immense pièce avec vivacité et s’arrêta à quelque distance de la table, et s’agenouilla devant la reine. Je lui permets de se relever et il annonce, en regardant l’étincelante armure en or et diamants, parsemée d’onyx et de saphirs couleurs du Territoire, que le Royaume Nain a subi une attaque de la part du peuple Elfe. Il tressaillit quand j'abattis avec force mon poing sur la table, mais je l’enjoignis de continuer. L’explication des Elfes était basée sur une histoire de trahison, selon laquelle les Nains ne leur fournissait pas du matériel de qualité tout en mettant des prix tels qu’ont les grands objets de valeur. Il frissonna au grondement bestial qui sortit de la bouche de ma royale personne, et je retapai du poing en disant d’un ton amer que les Elfes sortent d’une guerre civile et trouvent le moyen de s’en prendre à d’autres.

Le jeune homme eut le temps de penser ; la colère de sa majesté était tout à fait légitime ; ces deux contrées ancestrales sont ses alliées de toujours, malgré des périodes de mauvaises gestions qui finissaient en révoltes ou l’arrivée au trône d’un fourbe pas mieux que le précédent. Son propre père avait fini d’enfoncer le clou de la décadence planté par son arrière-grand-père. La jeune femme avait redressé le royaume, renouvelé les alliances, jour où le peuple Nain, reconnaissant sa bravoure et grandeur d’âme, lui avait fait cadeau de la sublime et résistante armure qu’elle portait. Les Elfes lui avaient offert leur savoir-faire pour endiguer la famine et rendre la terre plus fertile et prospère, et avec du recul, elle trouvait ce dernier présent comme un bien piètre cadeau. Je savais que mes sentiments et mon instinct penchaient pour le soutien du peuple Nain, mais il me fallait parler avec mes conseillers des décisions politiquement envisageables pour les deux camps, en passant par l’option neutralité conflictuelle.

Le premier à ma droite suggéra de ne pas se mêler à cette guerre, le Territoire se remettant tout juste de deux générations de crises avant mon règne, tout en disant officiellement qu’en tant qu’alliée des deux nations concernées, je ne pouvais pas choisir de camp. Après tout, ajouta-t-il, aucune missive n’est encore parvenue pour demander un soutien de guerre.

Le second préféra l’idée de s’allier aux Nains, plus proches géographiquement et politiquement, grâce à des alliances qu’il avait fallu réussir à perdurer depuis la nuit des temps, mais surtout, les Nains ont un avantage militaire important et ce sont eux qui nous fournissent en armes, ce qui veut dire qu’une guerre contre eux serait perdue avant d’être commencée.

Le troisième se recula dans une démarche de réflexion et passa son tour, car tout lui semblait juste et louable.

Le quatrième pensa à s’allier avec les Elfes, car ce sont des êtres réfléchis et il pensait que si réellement les Nains avaient arnaqué les Elfes avec qui ils entretenaient des relations favorables, ils avaient pu aussi nous trahir. Il ajouta que comme chacun le savait, les Elfes sortaient d’une violente guerre civile et qu’ils ne se lanceraient pas dans une guerre si loin de chez eux sans une bonne raison.

Le cinquième, sans laisser la parole au suivant, demanda du papier et de quoi écrire, puis il les distribua et intima à tous de peser le pour et le contre une guerre, et ensuite le pour et le contre pour les Nains ou les Elfes.

L'émmissaire regardait la reine qui avait écouté sans bouger, elle leur dit que son choix était déjà presque fait, mais qu’elle attendrait toutefois leur avis pour décider. Le clocher sonna à la fin de sa phrase et elle ajouta qu’elle leur donnait une heure pour avoir fini de départager leurs opinons personnelles. Elle s’adressa aux gardes ordonnant que personne ne puisse entrer avant la fin du temps et qu’ils ne communiquent pas entre eux au risque de s’influencer.

Elle fit ensuite un signe au jeune émissaire de sortir avec elle. Ne sachant se comporter en présence royale autre que la révérence de présentation, puisque personne n’avait envisagé cette possibilité pour lui, personne ne lui avait appris les manières à suivre. Il marchait donc légèrement en retrait pour ne pas marcher à égalité avec elle. Il n’avait pas non plus l’habitude de son pas vif et bruyant, des chausses dorées qui semblaient lourdes. Elle lui demanda d’une voix claire, mais moins autoritaire et ferme que dans la salle du trône, depuis quand il était rentré. Comme il ne parlait pas fort et qu’il était derrière elle n’entendit rien de ce qu’il disait et fut obligée de s’arrêter et de se retourner. Il crut que sa réponse ne lui avait pas plu ou qu’il avait mal répondu et s’arrêta aussi. Après quoi, elle soupira et l’invita à marcher à côté d’elle pour lui répondre. Il ne savait pas si elle voulait savoir depuis quand il était rentré dans le Territoire ou bien dans l’ordre des émissaires si bien qu’il parla des deux. Il n’était là que depuis le matin même, n’avait d’ailleurs pas mangé depuis deux jours et pas lavé depuis cinq ou six. Il avait trop parlé et s’attendit à ce qu’elle s’écarte d’un air dégoutté, mais sa seule réaction fut de hocher la tête.

Il allait encore parler lorsque je l’interrompis et me retourna de nouveau. Je prononçai un nom et ma servante surgit d’une statue, rouge de honte. Exceptionnellement je ne me fâchai point, captant le regard de ma domestique pour le garçon et lui ordonna de préparer un repas et un bain, mention dont la jeune demoiselle piqua un nouveau fard, elle s’éclipsa aussi rapidement que venue agrémenté d’un « Bien votre majesté » encore rougissante. Pas plus émue que ça, je m’excusais auprès de l’émissaire car il est fréquent que je sois suivie dans ce palais et quand je suis accompagnée, cela est assez désagréable, autant pour moi que pour l’invité. Sur le ton de la confidence, dont il se sentit visiblement honoré, je lui racontai qu’une fois j'avais accueilli une famille d’Elfes nobles et que le mâle avait failli transpercer le garde qui veillait à ma sécurité. Depuis, le port d’armes est interdit au sein du palais, à l’exception de la garde et de moi-même. En attendant que Blanche ne revienne les voir pour annoncer le repas prêt et le bain coulé, je proposai de nous asseoir dans le jardin intérieur afin de me tenir compagnie à l’abri des regards.

Nicola s’était accoutumé à cette présence autoritaire et n’avait plus peur, surtout qu’après une petite réflexion, il avait conclu qu’elle n’était son aînée que de quelques années. Il raconta la seule chose qu’il avait à raconter, c'est-à-dire sa vie, depuis son enfance difficile de pauvres paysans en pleine crise, acculé au bout des Territoires, les endroits se trouvant aux frontières étant les plus défavorisés. Puis il y a seulement quelques années, elle était arrivée et la situation se stabilisa un peu. Il continua de trimer pour aider ses parents à s’en sortir et se trouva bien malheureux de ne rien connaître. Il avait insisté pour qu’on lui apprenne à lire et à écrire, par ailleurs il avait manifesté son intérêt pour partir découvrir autre chose que la boue des champs et des terres arides autour de chez lui. Son père souhait par-dessus tout voir son fils rester à la ferme, en le traitant de rêveur incapable de tenir sur un cheval. Sa mère était un peu réticente aussi, car elle n’avait vécu que sous la peur, l’incertitude, la misère et le dur travail, mais elle savait qu’il était possibles, seulement elle lui fit bien comprendre que ce ne serait pas un voyage tranquille. Il lui faudrait de la robustesse, du courage et de l’endurance. Né endurci par l’éducation de ses parents et de vivre en pleine crise, ne lui restait qu’à tenir sur un cheval, se battre un peu, apprendre les bonnes manières et avoir une meilleure notion du temps. Il avait été longtemps refusé, ce qui renforçait sa motivation, ensuite un gars d’un village voisin mourut de maladie et on lui permit de prendre sa place. Arrivé là, il n’a plus rien à dire, alors il se permet de la regarder dans les yeux et de lui prendre les mains. Il la remercie chaleureusement pour sa venue au trône, sinon il serait mort de faim ou d’épuisement à travailler dans la terre rocailleuse de son père. Je lui souris chaleureusement et raconte ce que personne du peuple ne sait. Je lui explique que j'étais dans le même état que lui, mis à part le travail aux champs, avant la mort de mon père. Il m'avait aussi fallu du temps avant d’être aussi robuste que je ne le suis aujourd’hui.

Le jeune homme n’est pas si surpris, la mort de l’épouse de l’ancien roi, assassiné par celui-ci, avait choqué tout le monde. Qu’il néglige et maltraite sa fille autant que son royaume n’étonnait personne, mais aucun n’avait pu faire quoi que ce soit pour la jeune héritière. Elle avait beau être noble et un peu plus âgée, elle n’était pas si différente du peuple. Nicola comprenait mieux ses motivations et sa volonté de rétablir l’ordre et la santé d’une main de fer sur le Territoire. Blanche appela la Reine et il fut ravi d’entendre son prénom, fort joli, Alicia. Il fut ému de remarquer que le nom de sa mère ; Anne-Lisa, qu’il avait souvent appelée Alisa étant petit, ressemblait à celui de la reine et cela lui plaisait. Ce prénom majestueux en tête, il ignora les coups d’œil langoureux de Blanche qui l’escortait. Puis au moment d’enlever ses vêtements et se laver, il fut saisi d’une idée insensée. Il pensa qu’il n’aurait sans doute plus jamais l’occasion d’un tête-à-tête royal et partit en courant comme un perdu. Je l’entendis arriver, mais ne reconnaissant pas ses pas de forcené, je tirai sa dague et au moment où il arriva derrière moi, je me retournai prête à l’affronter. Mais il se contenta de me remercier pour mon hospitalité et la promenade et repartit aussi brusquement qu’il avait accouru. Surprise, je ris et il fut charmé par ce rire franc. L’horloge sonna et je rentrai dans la salle du trône, toujours avec mon air impassible, en apparence pas le moindre du monde bouleversée par cette heure étrange passée en compagnie d’un non moins étrange jeune émissaire. J'écoutai donc mes émissaires me parler de points politiques, économiques, sociaux et diplomatiques avant d’arriver à la conclusion que si je désirais vraiment faire la guerre, je devais me ranger du côté du peuple Nain. Bien, c’était exactement ce que j'avais décidé, mais maintenant que j'avais toutes les informations, j'étais sûre de mon choix. J'annonçai que j'attendrais tout de même une lettre de la nation naine pour savoir s’ils requéraient mon soutien.

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