Tout réapprendre
J'avais finalement très peu dormi... Mon cerveau n'était pas parvenu à se mettre en veille, bien trop "excité" à l'idée de découvrir ce que M. Kilian préparait pour cette journée. J'avais préparé un petit déjeuner pour lui, en profitant pour rattraper mon manque de repas d'hier.
— Déjà debout ? se questionna le jeune homme en entrant dans le salon.
Dans celui-ci se trouvaient plusieurs suggestions, préparées avec soin, pour son petit déjeuner. Je hochais doucement la tête en lui apportant une tasse de café.
— Merci. Tu as bien dormi ? me demanda-t-il en s'asseyant à table.
Je grimaçais, penchant la tête sur le côté en jouant de ma main pour lui faire comprendre que... pas vraiment. Mais peu importe ! On ne m'avait jamais emmené quelque part comme il avait l'air de vouloir le faire alors... on y va ? Je tentais de contenir mon excitation, essayant d'occuper mon esprit en faisant un peu de rangement dans la pièce.
— C'est propre, tu sais, Virginie a déjà fait le ménage hier, sourit-il en buvant son café.
Il piochait dans les petits gâteaux se trouvant sur la table pendant que je récupérais mon cahier avant de le poser sur la table afin d'écrire quelques mots que je lui mettais sous les yeux.
"Que voulez-vous que je fasse ?" demandai-je, puisque j'étais là pour ça, n'est-ce pas ?
J'étais très loin de me douter que toute mon excitation allait redescendre en un rien de temps. Maintenant, tout de suite.
Mon regard se posa sur les écrits de mon cahier, et ce fut à ce moment précis que j'y vis noté... "Je te pardonne."
Je TE pardonne ! Mes yeux s'écarquillèrent alors que la panique montait en flèche en moi. J'avais écrit ça la veille ! Je ne le réalisais que maintenant ! Je l'avais tutoyé, sans même en avoir eu la permission et... et... ah !
Face à mon agitation, M. Kilian se redressa légèrement.
— Qu'est-ce qu'il y a ? Que t'arrive-t-il ?
Le cahier m'échappa des mains et tomba au sol, terminant sa chute aux pieds de mon maître qui le ramassa d'un geste de la main. Comment avais-je pu avoir un tel manque de respect envers lui ? Pourquoi ne m'avait-il pas remis à ma place hier soir ? Alors qu'il me tendait le cahier, son regard se posa sur les mots. Je voyais à son visage qu'il comprenait pourquoi je m'agitais de la sorte.
— Oh.
Je me confondais en excuses avec des gestes de la main alors que lui... en riait. Pardon ? Mon agitation se calmait face à ce rire que je ne comprenais pas.
— Tu peux, si tu le veux.
Je peux, quoi ? Non ! Je lui arrachais presque le cahier des mains, m'empressant d'y écrire des mots que je lui montrais de nouveau.
"C'est hors de question... vous êtes mon maître !"
Un de ses sourcils se releva alors qu'il reposait sa tasse sur la table. J'ai... dit quelque chose de mal ? Un silence s’empara de la pièce durant quelques longues secondes.
— Qui a dit ça ?
Je crois qu'il fallait que je m'assoie. Je le regardais avec des yeux ronds, essayant de comprendre le double sens de sa phrase, si tant est... qu'il y en ait un.
— Allez, range-moi ça. Je te retrouve dehors.
D'un geste lent, je rangeais mon cahier. Dehors…? Je peux... sortir dans le jardin sans lui ? Un regard hésitant vers l'extérieur, je surpris son mouvement de menton qui m'incitait à y aller, chose que je finis par faire en le laissant finir son petit déjeuner.
L'air était frais... ça sentait bon les fleurs... Je n'avais qu'un simple gilet, qui d'ailleurs lui appartenait sûrement, mais je n'avais pas froid. Lentement, je commençais à marcher dans l'allée, touchant les plantes, regardant les coccinelles, les fleurs... Je profitais du soleil bien que caché derrière quelques nuages pendant un moment.
— Tu es prêt ?
Une voix me parvint tandis que je me retournais pour apercevoir M. Kilian, vêtu d'un long manteau, s'avançant vers moi.
— Tiens, mets ça.
Lorsqu'il tendit son bras vers moi, je vis qu'il tenait un manteau. Oh… bien... Je l'enfilais rapidement mais, il semblait y avoir comme un petit souci. Il était trop grand. J'avais l'air... d'un nain là-dedans ! Son regard se posa sur moi, il ne disait rien alors que les manches dépassaient clairement de mes mains. Moment de flottement, jusqu'à ce qu'il ne lâche un rire franc.
— Ça te va comme un gant !
Pardon ? Le rouge me monta aux joues alors qu'il me poussait légèrement dans le dos. Quoi ? Je le garde quand même ? Mais... hm... très bien. Je retroussais les manches en rejoignant le véhicule.
Le trajet fut silencieux, aucun de nous ne parlait... Je profitais pour regarder le monde extérieur à travers cette fenêtre sans percevoir les regards de M. Kilian sur ma personne.
De longues minutes plus tard...
— On y est.
La voiture s'arrêta alors que je regardais autour de nous. On y est ? Mais où ? Il n'y avait rien ici. Je tournais mon visage vers le brun dans une certaine incompréhension.
— Suis-moi.
Je m'exécutai en sortant de la voiture tandis que nous marchions un petit moment jusqu'à nous arrêter à l'entrée d'un champ. Il n'y avait vraiment rien ici, pas âme qui vive. Toujours dans l'incompréhension, je me tournais vers M. Kilian.
— Voilà ce que je veux que tu fasses… commença-t-il en glissant ses mains dans ses poches.
C'est à moi de faire quelque chose ?
— Tu vois ce champ ? Je veux que tu ailles tout là-bas.
Tout... là-bas, au fond ? J'étais de plus en plus perdu face à ce qu'il me demandait. Je penchais la tête sur le côté, attendant une explication supplémentaire, mais... aucune ne venait.
— Vas-y.
Il est fou, ce type... est fou. Tout en fronçant les sourcils, je m'exécutai et marchai dans l'herbe un moment. En me tournant, je voyais ses gestes de main me signaler d'aller encore plus loin. Ce ne fut seulement à l'entente de son "STOP" que je m'arrêta net en me tournant vers lui.
— Tu m'entends ?
Il criait à l'autre bout... Je commençais vraiment à me dire que tout ça était de la folie. Qu'est-ce qu'il avait aujourd'hui ? Je levai le pouce en l'air.
Oui, je vous entends…
— Je veux t'entendre crier jusqu'ici ! Tu m'as compris ?
Crier… jusqu'ici. Est-ce qu'il pourrait me la refaire, parce que là... pardon ? Est-ce qu'il se rendait compte de ce qu'il me demandait de faire ? De loin, je lui envoyais un geste de refus.
— Fais-le ! Crie ! Libère-toi !
C'était pour ça que nous étions ici… ? Il espérait que cela... changerait quelque chose dans ma vie ? Hm... qui ne tente rien, n'a rien, n'est-ce pas ? Fermant les yeux, j'inspirai et ouvris la bouche, mais... rien. C'était évident.
— Encore ! Refais-le, Darren !
Pourquoi ?! Qu'est-ce que ça peut bien lui faire que je le fasse ou non ? Je serrais les poings, fermant de nouveau les yeux. Deuxième tentative... nouvel échec. Ça m'énerve ! Je tapais du pied, le regard fuyant. Je suis un incapable ! Il avait raison, ils avaient tous raison…!
Soudainement… Dans ma colère, j'entendis ma propre voix, un fragment, s'échapper de ma gorge. Un son venait d'en sortir, pour la première fois depuis des années.
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