Retour en arrière

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Un pas en avant, trois pas en arrière…

De force, Mr. Old m'avait bousculé dans la voiture sans que Mr. Kilian ne tente quoi que ce soit. Comment pouvait-il être aussi lâche ! Un seul regard avait suffi pour qu'il abandonne ? C'était absurde ! Les mains contre la fenêtre de la voiture, je posais les yeux sur le jeune homme qui se trouvait dans l'entrée. Je percevais ses poings et sa mâchoire serrés... Pourtant, il restait là, debout en silence, à nous regarder quitter sa propriété. Un pas en avant, trois pas en arrière, c'est bien cela. J'avais comme une impression de déjà-vu alors que mon regard se perdait sur le paysage.

**Quinze ans plus tôt**

Je n'avais que dix ans lorsque j'avais été retiré de chez moi par cet homme. Mes parents, restés devant l'entrée de la maison familiale sans bouger, sans dire un mot, me regardaient m'éloigner en compagnie de Mr. Old jusqu'à ce que je ne puisse plus les voir. Ce jour-là, ma vie avait débuté à ses côtés.

— Sale gamin ! J'en ai assez de t'entendre, tu vas la fermer, oui !

Ce jour-là, quelque temps après mon arrivée chez lui, j'avais ressenti une douleur lancinante contre ma joue tandis que ma main se posait contre celle-ci, les larmes me montant aux yeux. Ce n'était pas la première fois...

À l'époque, j'aimais parler ; je le faisais souvent, avec les domestiques de Mr. Old ou encore à moi-même. Mais avec le temps, j'avais appris à me taire afin de ne plus recevoir de coups, pleurant en silence lorsque personne ne pouvait me voir. C'était de là que venait ce mutisme sévère. J'avais associé le fait de parler à de la violence en retour. Pour un enfant de dix ans, le choix était vite fait : se taire à jamais. Je ne m'étais jamais rebellé face à cet homme, ayant toujours obéi au doigt et à l'œil. De ce fait, je n'avais jamais développé une personnalité propre ; je n'étais qu'une coquille vide, enfermée dans une autre coquille. Souvent, les domestiques de Mr. Old soignaient les blessures que m'affligeait mon maître. Sûrement avaient-elles pitié de moi ? Malgré tout, elles restaient toujours à leur place lorsque cet homme était pris de colère à mon égard et me frappait.

J'avais passé quinze ans de ma vie à vivre dans une cave alors que cette maison contenait suffisamment de chambres. Pas de fenêtre. Pas de bruit. Seul, dans le froid. Lors de mes punitions, s'ajoutait à cet environnement la privation de repas, selon la gravité de la bêtise commise. Un jour, deux parfois, sans manger. Cette vie n'en était pas une... C'était un cauchemar, et je le vivais bien éveillé.

Les années passaient, je grandissais, mais j'étais toujours enchaîné à cette vie, incapable de fuir. Avais-je au moins essayé de le faire ? Non… J'avais fini par développer le besoin de rester ici à ses côtés afin de survivre, pensant que je serais incapable d'y parvenir seul.

**De nos jours**

Avec Mr. Kilian, c'était différent. Je m'étais découvert un certain répondant, de réels sentiments positifs, agréables... Un semblant de personnalité. Peut-être était-ce pour cela qu'aujourd'hui, je me retrouvais de nouveau aux côtés de Mr. Old. J'avais manqué de respect à Mr. Kilian, agissant parfois de la mauvaise façon ; alors, s'il m'avait laissé partir, c'était sûrement parce qu'il ne souhaitait plus de moi sous son toit. Je ne pouvais que le comprendre.

En retrouvant les murs de ma prison, je me recroquevillais sur moi, tête contre les genoux, dos au mur. Il n'y avait plus aucun espoir. J'étais de nouveau enchaîné sous ce toit sans aucune possibilité de sortir. Plus de retour en arrière possible. La vie chez Mr. Killian était terminée... Malgré tout, j'étais heureux d'avoir goûté à quelque chose de différent, touché du bout des doigts une vie qui aurait pu être bien plus belle. Il n'était pas parfait, mais était d'une incroyable gentillesse. Malgré quelques débordements, ces quelques moments à ses côtés m'avaient fait du bien.

Killian était resté un long moment dehors à regarder l'allée que j'avais empruntée pour quitter les lieux. Ses mains écrasaient sa chevelure brune alors que, du coin de l'œil, il apercevait mon cahier sur le sol. Se penchant en avant, il le ramassait tout en retournant à l'intérieur, le feuilletant en silence avant de s'asseoir dans un des fauteuils du salon. Un semblant de sourire se dessinait sur ses lèvres lorsqu'il lisait les quelques mots que j'avais écrits la veille, lorsqu'il n'était pas dans son état normal.

Ce matin, il avait pour but d'ignorer la chose, de faire comme si de rien n'était, comme s'il ne se souvenait de rien des événements de la veille, afin que je ne revienne pas sur le sujet. Mais sa mémoire était bien en forme ; il se rappelait exactement de chacun de ses mots... et de ses gestes. Bien sûr, ces derniers avaient été guidés par l'alcool, mais ils s'étaient bel et bien produits. Refermant le cahier, un soupir quittait ses lèvres.

— Putain… semblait-il réaliser.

Non pas sur les faits de la veille mais bel et bien sur la situation actuelle : mon départ précipité.

De nouveau, le jeune homme pouvait se sentir envahi par ce sentiment de solitude qu'il ne semblait plus autant ressentir lorsque j'étais présent dans cette maison. Son dos s'écrasant dans le fauteuil, ses doigts tapotaient nerveusement contre la couverture du cahier qu'il avait sur les genoux, pensif pendant de longues secondes.

— Virginie ! se levait-il en appelant la jeune femme.

Cette dernière arrivait rapidement dans le salon, le regard rempli d'interrogation. Elle n'avait peut-être pas assisté aux événements de ce matin, mais les voix montantes des deux hommes dans l'entrée s'étaient pourtant bien faites entendre. Il ne fallait pas être des plus intelligents pour comprendre que quelque chose s'était produit.

— Monsieur ? attendait-elle les ordres face à un homme se trouvant de dos, qui finissait par se tourner vers elle, le cahier serré entre les doigts.

— Contactez mes parents, demandait-il avec un regard des plus sérieux.

Face à cette demande, la jeune femme tiquait.

— Vous... vous êtes sûr, monsieur ?

Elle vivait ici depuis des années, aux côtés de Mr. Kilian, et par conséquent connaissait les histoires familiales de ce dernier, qui, au vu de cette réaction, n'étaient sûrement pas des plus glorieuses.

— Faites-le, Virginie, insistait-il en passant à côté de la jeune femme pour rejoindre l'entrée.

Il enfilait rapidement un manteau en ouvrant la porte sous les yeux de Virginie, perplexe, perdue même.

— Dites-leur que j'arrive, fermait-il la porte fermement en rejoignant sa voiture.

Le jeune homme posa un regard vers le cahier qui se trouvait sur le siège passager tout en resserrant ses mains sur le volant.

— Je vais arranger ça, Darren...

Promesse qu'il se faisait à lui-même, mais, parviendra-t-il seulement à la tenir ?

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