Chapitre 2
Le reste de la soirée se déroula dans un silence étouffant. Aucun de nous trois n’osait parler. À part un « passe-moi le sel » et « un yaourt s’il te plait », il n’y avait pas beaucoup de discussion. Je filais rapidement dans ma chambre après le repas. Après tout, un jour de rentrée c’était fatiguant. Par contre, ils ne m’entendirent pas redescendre pour écouter aux portes. Bouh c’est mal, et alors ? J’en avais ras-le-bol qu’on me cache des choses. Avec le temps, j’avais bien compris que ça ne servait à rien d’insister car ils ne me diraient rien du tout, on en arriverait à s’engueuler.
Heureusement pour moi, les escaliers de cette maison ne grinçaient pas. Ils ne m’entendirent pas tandis que je surprenais leurs chuchotements.
— Eric, nous devons tout lui dire !
— Ma chérie, tu sais que j’aimerais bien mais c’est impossible. Nous n’avons pas le droit.
— Il faut trouver un moyen pour qu’elle comprenne.
— Nous avons déjà tout essayé, mais tu sais bien qu’on est coincé. Tu crois que cette situation m’amuse ? s’énervait mon père. C’est bientôt fini ma chérie, nous allons pouvoir tout lui raconter.
— Tu sais bien que ça ne s’arrêtera jamais ! sanglotait ma mère, nous ne pourrons jamais arrêter de fuir.
— Chuuuuut, nous n’avons pas le choix malheureusement, répondit mon père.
J’entendis des froissements de vêtements, comme s’il prenait ma mère dans ses bras. Je l’entendis ensuite pleurer et ça me brisa le cœur. Que se passait-il ? Quels secrets avaient-ils au point de ne même pas pouvoir m’en parler ?
De tout temps nous avions fui, comme si nous étions poursuivis en permanence. Je m’étais habituée à ce mode de vie, à cette défiance envers chaque personne qui croisait notre route. Je n'étais pas la seule à ne pas avoir d'amis, c'était pareil pour mes parents. Il était extrêmement rare que nous recevions.
Pour autant, j’estimais avoir le droit de savoir. C’est avec cette idée en tête que se déroula le reste de la semaine.
— Salut miss, moi c’est Asher, mais tu peux m’appeler Ash. Et toi ?
Je sursautais avant de regarder celui qui venait de m’aborder. Beau garçon, un petit peu plus vieux que moi. Des yeux bleus comme un ciel d’été sans nuage et des cheveux blancs comme neige. Un mélange étonnant qui en faisant une beauté éthérée. Un fin sourire étirait ses lèvres. Proportionné juste comme il fallait, son jean et son sweat à capuche mettait en valeur le tout. En voyant son air narquois, je compris que mon examen détaillé et appréciateur n’était pas passé inaperçu. Je sentis mes joues se réchauffer et prendre une teinte rouge écarlate.
— Euh Elisabeth, enchantée.
— Très joli prénom. Je suis nouveau dans le coin, tu connais un peu les trucs intéressant à faire par ici ?
— Je viens d’arriver il y a peu, donc désolée, ça aurait été avec plaisir mais je ne connais pas grand-chose du coin, répondis-je avec une moue désolée.
Qui draguait qui ? Je n’en savais rien. En plus, je lui aurais donné dans les 19 – 20 ans, donc trop vieux pour moi. J’allais à peine en avoir 16 ! Ressaisis-toi ma vieille.
— D’accord pas grave ! Ah je tourne là pour rentrer chez moi, on se revoit bientôt, me lança-t-il avec un haussement d'épaule en se détournant.
Je n'arrivais pas à savoir si sa dernière phrase était une question ou une affirmation. Je répondis d’un hochement de tête avant de lui adresser un signe de la main en partant de mon côté. Je repensais pas mal à cette rencontre inopinée et savoureuse. Suite à cela, je le croisais régulièrement, sans arriver à savoir si c’était volontaire ou non.
*
Je rentrais tranquillement des cours quand tout dérapa. J’avançais avec mes écouteurs, en ne me souciant de rien d’autre que des devoirs que nous avions déjà, quand on m’attrapa le bras. Je sursautais et me retournais brutalement tout en essayant de me dégager. Ce qui fût un échec total soit dit en passant. La poigne ne fit que se resserrer sur mon bras et mes écouteurs tombèrent.
— Toi venir avec moi ! grogna le type.
Je restais immobile comme un lapin pris dans les phares d’une voiture et dévisageai cet homme de Cro-Magnon. Il était hyper musclé. Pas comme s’il avait travaillé le tout pour être harmonieux, mais plutôt comme s’il s’était musclé uniquement où il en avait besoin. Je le voyais bien car malgré ce temps frais, il portait un marcel noir qui semblait prêt à craquer et un pantalon de treillis trop grand pour lui. Il n’était pas passé par l’école du style celui-là. Ni par l’esthéticienne, je comprenais mieux le marcel, sa pilosité devait lui tenir bien chaud.
Je le dévisageais enfin. J’aurais mieux fait de m’en abstenir. Des cheveux et une barbe hirsutes et sales, ce qui expliquait l'odeur rance qui me piquait le nez. Des yeux noirs enfoncés et une cicatrice qui barrait son visage. Je me demandais comme ça se faisait qu’il avait encore son œil droit.
Je pris une grande inspiration dans le but de hurler, il fallait que j’arrive à alerter quelqu’un. Nous étions seuls au milieu de la zone résidentielle. Il surprit ma manœuvre et d’un mouvement trop vif pour quelqu’un de sa corpulence, je me retrouvais plaquée contre lui avec son énorme paluche sur la bouche. Je n’avais aucun moyen de me sortir de là. Je commençais à trembler et à sentir mes yeux s’embuer. Si seulement Ash pouvait passer dans le coin, au moins il pourrait alerter les secours !
— Si toi crier, moi assommer toi.
Comment voulait-il que je crie avec sa main sur ma bouche ? Je n’arrivais même pas à l’ouvrir suffisamment pour le mordre.
D’un coup je fus projetée en avant et tombais en me rattrapant de justesse sur les mains. Je sentis mes paumes s’érafler sur les cailloux et me brûler. Je jetais un regard en arrière pour voir ce qu’il se passait. Je ne voulais pas tomber de Charybde en Scylla. J’écarquillais de grands yeux étonnés. Je vis un silhouette que je connaissais bien, comme s'il m'avait entendu l'appeler. Ash avait sorti une épée d’on ne sait où pour combattre mon agresseur. Son regard avait totalement changé, on aurait dit un ange vengeur.
— Ellie sauve-toi ! me cria-t-il avant de charger le monstre.
Je n’attendis pas plus que ça avant de me relever et de courir comme une dératée vers chez moi. Je savais que ma mère y était, et mon agresseur ne pouvait pas savoir où j’habitais. Enfin je l'espérais. Arrivée à la porte je tambourinais comme une folle, c’était fermé à clé, comme d'habitude, et j’avais perdu mon sac en cours de route. Je sentais deux traces salées dégouliner le long de mes joues. Ma mère ouvrit la porte et c’est presque si je m’affalais de tout mon long dans le couloir.
— Vite referme à clé ! Hurlais-je.
Voyant mon air paniqué, et l’ambiance général à la maison, elle ne se fit pas prier puis se précipita sur moi pour m’entourer de ses étreinte protectrice. Je rassemblai mes bras et mes jambes pour adopter une position fœtale. Je profitai d’un instant de douceur pour me ressaisir. Ce n’était pas gagné, j’étais au bord de l’hystérie. Les larmes n’arrêtaient pas de couler sur mes joues. Je sentais les mains de ma mère me caresser doucement le dos.
— Que s’est-il passé mon bébé ? murmura-t-elle.
J’entendais aussi l’affolement la gagner, même si elle s'efforçait de ne rien laisser paraître. Ce qui n’était pas pour me rassurer.
— Ash m’a sauvé, fût tout ce que j’arrivais à dire dans un premier temps. Et je n’ai pas attendu de voir s’il s’en sortait, pleurais-je de plus belle.
— Il faut que j’y retourne ! continuais-je en me débattant pour qu'elle me relâche.
J’étais ignoble. Il était venu à mon secours et je n’avais même pas appelé les secours, je devais faire quelque chose, retourner l’aider peut-être. Je tentais de me dégager de l’étreinte de ma mère, qui se resserra autour de moi.
— Non ! Tu restes ici ! affirma ma mère. Et surtout tu me racontes tout. S’il le faut, nous appellerons les secours.
— Mais maman ! Il faut que j’y aille ! Il ne sera jamais de taille face à mon agresseur, même avec son épée sortie d’on ne sait où.
— Une épée ?!
— Euh oui.
Puis tout coula de source, je lui racontais tout. Ma première rencontre avec Asher, le type bizarre qui m’avait agressé, Ash qui était sorti d’on ne sait où est cette épée. Je n’arrivais pas à la sortir de ma tête, sur le moment j’avais juste été interpellée par sa présence mais au plus je me repassais la scène, au plus je distinguais ses détails. Comme si elle m’appelait. Ça, je m’abstins de le dire à ma mère, c’était trop bizarre.
— Oh mon cœur… Je suis tellement désolée, nous allons attendre ton père pour aviser. Mais ça ne servirait à rien ni d’appeler la police, ni d’y retourner. Tu ne trouverais plus aucunes traces.
Comment pouvait-elle être sûre de ça ? Pour autant, je n'insistais pas. Je voyais bien que ça ne servirait absolument à rien.
Nous attendîmes mon père blotties l’une contre l’autre dans le canapé. Le mutisme de ma mère m’inquiétait, son attitude était de mauvaise augure. Et surtout elle n’avait pas eu l’air plus surprise que ça par la situation que j’avais vécue.
Quand nous entendîmes toquer à la porte, je commençais à trembler, et si c’était mon agresseur qui nous avait retrouvé ?
— C’est papa ma puce, il m’a prévenu de son arrivée.
Je me détendis à peine, il allait falloir tout raconter à nouveau. Je restais sur le canapé à les attendre le temps qu’ils reviennent tous les deux.
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