Chapitre 12
La Bête ne réapparut plus. Je l'appelais comme ça, mais je savais bien que c'était une partie de moi. Je devais l'accepter et je n'avais pas le choix. Maître Klearn m'avait pris sous son aile pour me faire travailler ça. D'après lui, si je reniais cette part de moi, ça ne la rendrait que plus forte et à même de reprendre le dessus à la moindre panique.
Ces études m'épuisaient. Je donnais tout ce que je pouvais pour réussir à maîtriser mes pouvoirs. Il était important de tester ses dons et ses limites. Par exemple, j'avais plus de facilités à créer qu'à modifier. A la différence de Syrae que arrivait à modeler la matière comme elle le voulait mais avait plus de mal à créer à partir du néant. Elle était également plus dans le défensif et moi dans l'offensif. J'avais une affinité particulière avec le feu. Je pouvais aussi manipuler un peu l'air. Mais les autres éléments, l'eau et la terre, ne me répondaient pas. J'avais beau essayer, pas le moindre frémissement ne les animait.
Chaque soir je m'endormais comme une masse à peine arrivée dans mon lit. Je savais que ma colocataire ne rentrait pas tous les soirs, mais j'étais souvent incapable de dire si elle dormait là ou pas.
Pourtant ce soir, rien n'allait comme prévu, je ne faisais que me retourner dans tous les sens sans trouver le sommeil. Je grommelais quelques jurons bien sentis en me mettant sur le ventre. Je sursautais comme une folle en sentant une main contre ma bouche, m'empêchant de crier à l'aide. Je sentis la Bête frémir en mon seing, mais je réussis à la contrôler, lui promettant que son heure arriverait si j'étais vraiment en danger.
Je sentis une odeur que je connaissais bien m'envelopper. La voix qui chuchota ne fit que me confirmer l'identité de son propriétaire.
— Ne crie pas Ellie s'il te plait.
Puis il me lâcha précautionneusement, prêt à remettre sa main à la moindre alerte.
— Asher, soufflais-je.
Je sentis l'acidité de la rancœur remonter. La plaie laissée par son comportement commençait à peine à se refermer, qu'il fallait qu'il la rouvre.
— Dégage de ma chambre !
Je sentais mes yeux devenir rouges. Mon côté sombre effleurait la surface.
— Ellie, il faut que tu te sauves !
— Pardon ?
— Ils veulent te marier à mon frère dans deux semaines ! Les rumeurs vont bon train et la ville commence à s'impatienter.
— Comme c'est gentil de ta part de me prévenir. C'est vrai, je sais que je peux compter sur toi dans les moments difficiles ... persiflais-je.
Malgré tout, ses paroles m'alertaient. Il me semblait avoir été claire sur le fait que je n'épouserais pas son frère.
— Ellie ! Je n'ai pas eu le choix !
— On a toujours le choix ! Et il est hors de question que j'épouse ton connard de frère ! J'ai failli le tuer l'autre jour alors je pensais que ma position était claire ...
Je me redressais sur mon lit. Il s'assit à côté de moi, l'air vraiment désespéré. Un pli soucieux barrait son front. Je n'arrivais pas à déchiffrer le regard qu'il me lança. Je pris quelques instants pour le détailler. Malgré son abandon, ça me faisait du bien de le voir.
Il me faisait presque peine à voir. Il avait un physique déjà délié mais là il était vraiment émacié. Ses joues étaient creusées, ses cheveux ébouriffés. Si je ne l'avais pas connu, je l'aurais pensé fou.
— J'étais sûr qu'ils allaient prendre soin de toi ... Tu es trop importante pour nous et notre survie. Je pensais que tu étais entre de bonnes mains et en fait voilà ce qu'ils veulent faire de toi. Je suis vraiment désolé.
Il baissa les yeux, honteux. On aurait dit qu'il portait le poids du monde sur ses épaules.
— Pourquoi ne m'as-tu pas dit que je devrais me débrouiller seule une fois arrivée ? Qu'il était prévu que j'épouse ton frère ? Pourquoi es-tu devenu si indifférent avec moi ? Ça fait six mois que tu as disparu alors que tu m'avais dit que je pourrais toujours compter sur toi !
Les larmes me montaient aux yeux. Les digues que j'avais érigées menaçaient de céder.
— Tu as vu comment sont mes parents et mon frère. Je ne peux pas montrer la moindre faiblesse, sinon ils l'exploitent pour me faire du mal. Je devais revenir te voir, mais je n'ai pas dû réussir à me montrer aussi neutre que ce que je pensais. Ils m'ont fait repartir à peine rentré. M'envoyant toujours dans les situations diplomatiques les plus compliquées pour m'éloigner du château. La première chose que j'ai faite a été de demander des nouvelles de toi à Syrae ! Je ne savais pas qu'ils t'avaient promise à mon frère ! Ils n'ont aucuns droits sur toi, tu n'es pas une de leurs sujettes.
— Comme je te l'ai dit, je ne l'épouserai pas. S'il me touche encore une fois, je n'aurais aucuns scrupules à le tuer.
— Encore une fois ?
Dans la pénombre je crus voir une lueur de haine traverser ses prunelles azur.
— Il s'est introduit dans l'Académie et a réussi à me coincer seule dans un couloir. Sauf qu'un côté sombre de moi a émergé et a tenté de l'écorcher vif. Ta sœur est arrivée à ce moment-là, ce qui lui a permis de s'enfuir. En revanche, la Bête a estimé que Syrae était une proie de substitution parfaite. Heureusement que Maitre Klearn est intervenu. Sinon je ne sais pas si je me serais arrêtée.
Cette fois-ci c'était moi qui étais honteuse. Je n'osais pas le regarder dans les yeux. J'avais beau essayer d'accepter cette part de moi, cet incident demeurait sensible pour moi.
Il plaça deux doigts sous mon menton pour relever ma tête.
— L'important c'est que tu te sois arrêtée.
— J'ai failli tuer ma meilleure amie ...
Mes mots s'étranglèrent dans ma gorge serrée.
D'un coup, je sentis sa main dans mes cheveux et sa bouche se poser presque timidement sur la mienne. Je ne me sentais pas envahie, bien au contraire. Une douce chaleur s'empara de moi, et je répondis à son baiser. A peine j'entrouvris les lèvres que je sentis sa langue s'insinuer pour taquiner la mienne. Nos souffles se mélangèrent. Mes mains se positionnèrent naturellement autour de son cou pour approfondir notre baiser.
La porte qui s'ouvrit à la volée nous fit sursauter.
— Ellie ! Il faut absolument qu'on t'organise une audience !
Un ange passa.
— Euh ... je reviens après si vous voulez.
Nous nous écartâmes les joues rougies par l'embarras de s'être laissés emportés, et les lèvres gonflées de nos baisers. J'étais encore groggy sur mon petit nuage. Ash se passa la main dans les cheveux et répondis avec un sourire gêné.
— Non Syrae, tu arrives au bon moment.
Ses yeux incandescents se posèrent sur moi, me laissant apercevoir ce qu'il aurait pu se passer si elle n'était pas arrivée. Une douce chaleur se répandit dans mon corps, et plus particulièrement dans le creux de mon ventre.
— Ash tu es revenu !
Elle courut prendre son frère dans les bras. Nous nous retrouvâmes à trois dans mon lit.
— Et oui petite sœur, je suppose que tu viens rapporter les mêmes nouvelles que moi à notre Enfant de Lune.
Au vu de toute l'affection qu'il mettait dans ce terme, pour une fois, je ne fus pas agacée.
— Oui enfin j'espère que ça ne se terminera pas de la même manière entre elle et moi qu'entre vous deux, ironisa-t-elle.
— Oh, mais je ne suis pas Maitre Klearn moi ...
Elle piqua un far à ces mots.
— Quoi ?! L'Ambusien Suprême et ma petite soeur ?
— Roh ça va, râla-t-elle.
Je rigolais en voyant leur tête à tous les deux.
— Plus sérieusement Ellie, il faut absolument que tu sollicites une audience auprès de nos parents. Ils ont prévu le mariage pour dans deux semaines et la ville commencer à se préparer à la fête. Maitre Klearn a déjà réussi à le repousser un peu mais lui ne peut pas faire plus.
— Syrae, tu as bien vu ce qu'il s'est passé la dernière fois que Galaeron s'est essayé à m'approcher ! Tes parents le savent bien vu que Maitre Klearn les a rencontrés.
— Ils s'en foutent ma belle. Seul le pouvoir est important.
Nous passâmes un moment à en parler pour en arriver à ce que la meilleure solution soit l'audience publique.
Ne pouvant refuser cette demande, je fus reçue trois jours plus tard par la Reine et le Roi. J'avais eu l'autorisation de sortir quelques jours plus tôt que prévu pour ça. Maître Klearn estimait mon contrôle satisfaisant. Il m'avait mise à rude épreuve en manipulant mes plus grandes peurs.
Quand j'entrais dans la salle, je fus surprise de voir le monde qui était présent. Ça n'en faisait que plus de témoins de ce qui allait suivre, mais j'eus pourtant l'impression d'être une bête de foire. Tous scrutaient cette étrangère qui était censée devenir leur reine et leur pondre des princes et princesses. Sauf qu'on était pas chez Disney.
— Enfant de Lune, vous avez souhaité obtenir une audience publique. Que pouvons-nous faire pour vous ? Nous ne pouvons vous accorder de voir votre promis pour le moment, m'indiqua la reine avec un sourire vicieux.
Je serrais les dents et les poings. Je pris trois respirations abdominales pour me calmer avant de répondre. La partie pouvait commencer.
— Chère Reine, ce n'est pas pour cela que je demande audience aujourd'hui. Je vous informe publiquement que je ne prendrais pas le Prince Galaeron pour époux.
— Pardon ?! tonna le roi. Vous nous faites l'affront de refuser l'honneur qui vous est fait ?
— Cher Roi, ce n'est pas un affront que je vous fais. Dans un premier temps, n'étant pas un de vos sujets, vous n'avez aucun droit de contracter un mariage en mon nom.
Échec.
— Dans un second temps, comme vous en a informé Maître Klearn, le Prince Galaeron s'est introduit illégalement dans l'Académie pour m'atteindre. Il a alors tenté de voler ma vertu. De ce fait, malgré l'honneur qu'il m'est fait, je ne peux passer au-dessus d'un tel affront à ma personne. J'ai ici un document signé de l'Ambusien Suprême l'attestant en tant que témoin.
Et mat.
D'un signe de main, je fis voleter vers eux le document que je tenais. Ils y jetèrent un œil et la haine et le ressentiment passèrent sur les traits de ses Majestés. Ce fut très fugace. Ils se reconstruisirent un masque impénétrable presque instantanément. Ils étaient coincés. Pour autant, je me doutais bien qu'ils tenteraient tout pour parvenir à leur fin.
Ce fut la reine qui réagit le plus rapidement.
— Nous comprenons votre position Enfant de Lune et respectons votre choix. Sachez que le Prince a été sévèrement puni pour cet écart de conduite. Pourrions-nous nous entretenir un moment en privé ?
Un instant, j'eus peine pour lui et pour l'état dans lequel il devait être. Et qu'est-ce qu'elle me voulait elle ? J'appréhendais, mais ne devais rien montrer. Je ne fis qu'hocher la tête en signe d'assentiment.
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