Chapitre 16
Je m'étais une nouvelle fois effondrée après un entrainement intense. J'espérais un jour arriver à battre Oregon, je savais que ça ne serait pas facile et qu'il me fallait encore travailler
— Ne t'inquiète pas jeune Padawan ! Un jour le Maitre tu battras.
— Quoi ?! Tu connais Star Wars ! Mais comment ça se fait d'ici ?
Elle explosa d'un rire sonore.
— Parce que tu crois que le Prince Asher est le seul voyageur de cette terre ? Tss tss tss.
— Mais donc tu es déjà venue chez nous ?
— Ne t'ai-je pas déjà dit que j'avais énormément voyagé chaton ?
— Tu ne me dis pas grand-chose de toi.
J'avais renoncé à l'idée qu'elle m'appelle Elisabeth ou Ellie. Je me demandais si c'était vraiment une coïncidence qu'elle m'affabule du même surnom que Sylf. Je n'osais pas lui demander de peur de déclencher une de ces fameuses colères.
— Ah la saveur de l'inconnu ... Crois-moi, tu n'as pas envie de tout savoir.
Confortée par son envie de discuter et comme elle ne voulait pas parler d'elle, j'en profitais.
— Toi qui connais beaucoup de chose, qu'est-ce que tu sais sur l'Enfant de Lune ?
Elle réfléchit quelques instants avant de reprendre.
— Je vais te faire la version courte, sinon ce serait pire à ingurgiter que la trilogie du Seigneur des Anneaux.
Elle s'entailla le doigt pour accompagner ses paroles d'images. Elle recourrait très rarement à l'Ambus, et toujours avec une certaine pudeur. Bien loin de l'étalage que j'avais parfois pu voir à l'Académie. Elle m'avait expliqué qu'il fallait vraiment le réserver pour ce qu'on ne pouvait pas faire par nous même. J'avais déjà cette notion en tête, elle était encore plus restrictive. Je comprenais sa façon de penser, mais je trouvais ça un peu extrême. Qu'elle me fasse à cet instant bénéficier de ses talents indiquait que le sujet était très important pour elle. Les couleurs chatoyantes se mirent à onduler pour faire émerger des paysages somptueux.
— Tous les royaumes étaient en harmonie, chacun prospérait et les échanges permettaient que chaque pays se spécialise dans son domaine. L'équité était de rigueur. Il y avait bien quelques bandits par-ci par là mais les routes étaient sûres. Chacun estimait cette profusion comme normale et juste. Malheureusement, il y a près de 800 ans, les mondes ont commencé à s'entrechoquer au lieu de glisser les uns contre les autres, comme si un grain de sable s'était glissé au milieu des rouages. Les démons ont forcé les portes entre les mondes, ce qui a tout déséquilibré. La terre a souffert de tout ça et a commencé à dépérir. Les vivres ne pouvaient plus être échangés comme il l'aurait fallu, la terre ne produisait plus autant. Certains ont essayé de créer la nourriture à partir de l'Ambus mais comme il était aussi détraqué, une bonne partie de ce qui apparaissait été juste bon à jeter ou à empoisonner. Aucune solution ne fonctionnait. Les Royaumes ont commencé à se refermer sur eux-mêmes pour se préserver, à jalouser le voisin qui semblait s'en sortir mieux que lui. Les guerres ravagèrent le monde. Le dernier roi d'Ezekie disparu, c'est le grenier à grain du monde qui a fermé ses portes. En voyant les dérives qui gangrenaient le tout, l'Amusien Suprême eu recourt aux techniques spirituelles de l'Ancienne Magie pour trouver une solution.
Elle marqua une pause, semblant éprouver chaque événement comme si elle les avait vécus. Malgré la promesse que je m'étais faite, je sentais les larmes prêtes à rouler sur mes joues à l'idée de tant de beauté perdue.
— Ah ce qu'il regretta son geste ... L'Ancienne Magie est très puissante. Le revers de la médaille n'est jamais clair jusqu'à ce que ça te tombe dessus. Là, il voulait juste trouver une solution mais ce qu'il vit lui fit perdre la tête. Il tenta de rester lucide juste le temps de réunir les Rois et Reines pour les alerter et leur sommer d'arrêter leurs gueguerres futiles. Il était temps de s'allier en prévision des heures sombres. Et crois-tu qu'ils auraient écouté cet homme qui a tout sacrifié pour eux ? Que dalle ! Alors il leur a délivré un dernier avertissement : « Si vous ne vous accordez pas aujourd'hui, seul l'enfant de Lune pourra ramener la prospérité. Unificateur ou Destructeur, il sera toujours Purificateur. Les trois lunes de Sang dans le ciel de l'Ether signeront son avènement sur Terre. » Après ça, il mit le reste de ses affaires en ordre et ce connard abandonna le navire et laissa son esprit dérangé le guider. Sans même penser à ceux qu'il laissait derrière lui !
Elle cria presque ces derniers mots. Le désespoir qui y était contenu me chavira. J'avais envie de me lever pour la prendre dans mes bras. Je n'osais pas; de peur de me voir rejetée. On aurait dit qu'elle tenait vraiment à cet Ambusien Suprême. Mais c'était il y a près de huit siècles, c'était juste impossible. Elle se leva et parti dans la forêt, me laissant seule près du feu. Mon cœur se serra, je m'en voulais d'avoir touché ce sujet qui paraissait lui faire autant de mal.
C'était la première fois que j'entendais parler de cette Ancienne Magie. Je la soupçonnais d'en savoir encore beaucoup plus que ce qu'elle m'avait dit. Je m'endormis avant qu'elle ne revienne prendre sa place auprès du feu. Je crus entendre dans mon sommeil ce murmure :
— Ne t'inquiète pas Enfant de Lune. Pour mon Amour, je veille sur toi.
Nous n'abordâmes plus le sujet.
Un matin, un rapace sembla lui apporter une mauvaise nouvelle. Elle ne me parla pas du contenu de ma missive qu'elle avait reçue. Elle passe plusieurs jours à ruminer.
— Fais chier bordel de merde ! explosa-t-elle alors que nous nous dirigions vers Ebrem. On change de direction, on va en Izover.
— En Izover ? Mais tu ne m'as pas dit que c'était la pire période pour y aller ?
— Ouais je sais et j'avais dit que je ne remettrais plus les pieds dans cette putain de base avant un moment mais que veux-tu ! Karma de merde ...
— Et tu comptes me dire ce qu'il se passe ?
J'avais conscience de frôler les bornes mais j'en avais marre de la voir comme ça. En plus, la brume s'infiltrait dans nos vêtements, c'était agaçant de ne jamais se sentir sec et ça usait le moral.
Elle me fusilla du regard, excédée.
— Ils ont besoin de renfort à la base de la Frontière Maudite et quand c'est ça c'est bibi qu'ils appellent ! Il ne pouvait pas se perdre ce maudit piaf ?! Surtout maintenant que les routes s'enneigent à la vitesse de l'éclair. Manquerait plus qu'on reste coincé l'hiver là bas. Pffff. Comme si j'étais responsable du bordel qu'ils ont foutu.
— La Frontière Maudite ?
— Là bas, tu auras malheureusement certainement l'occasion de mettre tes compétences en pratique. Lorsque les guerres ont éclaté entre les territoires, certains Ambusiens ont estimé judicieux d'invoquer les démons qui s'étaient infiltrés et de les confiner dans des corps de notre monde. Humains comme non-humains bien sur, sinon c'est pas drôle. Sauf que nos essences ne sont pas compatibles avec ces choses. Et du coup en plus de rendre ces créatures complètement folles et indomptables, ça a provoqué des mutations irréversibles des corps. Si ça avait été en gentil lapinou ça aurait été trop cool, mais c'était sans compter les âmes de tueurs qu'on avait rapatrié d'ailleurs.
— Et ils n'ont pas pu les renvoyer chez eux ?
— Que neni ! Une fois les essences fusionnées, pour le pire plutôt que pour le meilleur, impossible de les dissocier. Nous avons donc dû les confiner de l'autre côté d'une frontière créée de toute pièce et devant être entretenue par les Pouvoirs Anciens. Mais ces abrutis sont trop cons pour se replonger dans les légendes et se transmettre les informations, donc on préfère m'appeler. A un moment il faudra bien qu'ils se sortent les doigts et aillent trouver une solution pour que ces saloperies arrêtent de pulluler.
Bon et bien là elle était vraiment énervée. Au delà de ses mots, on voyait sur son visage toute la contrariété et l'énervement que cette situation provoquait. Si ces yeux avaient pu lancer des éclairs, nous serions dans un champ de ruines.
Parfois je ne comprenais pas tout ce qu'elle disait. J'avais l'impression qu'elle portait le poids du monde et de leurs conneries sur son dos. Je ne connaissais pas grand-chose de son passé, elle était très secrète. Je crus comprendre qu'elle avait beaucoup souffert d'un amour perdu, mais je n'en savais pas plus.
J'avais quand même bien la confirmation qu'elle maîtrisait la Magie Ancienne. J'attendais un peu avant de revenir à la charge. Il faudrait un jour qu'elle m'apprenne comment ça fonctionne. Il était important que j'en sache le plus possible pour ce à quoi on me destinait.
Au plus nous nous approchions de cette frontière, au plus son humeur s'assombrissait et elle devenait irascible. Nos entraînements viraient à quelque chose proche de l'affrontement. Ah ça ! Je n'avais pas le choix que d'apprendre vite, si je ne voulais finir percluse de courbatures et de bleus. Avec un peu de recul, ce fut la période la plus formatrice pour moi, C'était plus proche d'un combat en conditions réelles face à une combattante experte. Bien loin des échauffourées de bandits mal dégrossis.
Nous ne traînions pas, comme si elle voulait se débarrasser le plus vite possible de cette tâche. Nos échanges étaient brefs et secs. Je n'insistais pas, comprenant que ça ne servait à rien. Voir cette force de la nature aussi à cran était perturbant.
Quand nous commençâmes à voir la Frontière Maudite, je compris mieux. Elle était encore loin et pourtant, au plus nous nous rapprochions, au plus la terre se faisait désoler. Comme si elle était contaminée par ce qu'il y avait de confiné derrière ces murs. Je sentais le mal-être me gagner. Cette sensation désagréable rampait sur ma peau. Ce n'était pas du tout la même sensation qu'en Ezeki. Ici cette sécheresse me grattait la peau, comme si une nuée d'insecte me parcourait.
— Chaton, pourquoi tu n'arrêtes pas de gigoter sur ta selle.
— Je ne me sens pas bien. Plus on va par là-bas, pire c'est.
Je me grattais machinalement le bras. Oregon me regardais suspicieusement.
— Quoi ?! grondais-je.
— Tu ne devrais pas réagir aussi violemment. Être mal à l'aise c'est normal. En arriver à avoir le bras en sang non. Je ne t'ai jamais vu comme ça. Il vaudrait peut-être mieux que tu rejoignes la ville et m'attende là-bas.
— Non ! m'exclamais-je.
Je me repris avant de répondre plus calmement.
— Désolée. Je ne peux pas, il faut que j'y aille. Ça ne va pas, mais je suis obligée d'y aller.
En effet, malgré ces sensations, cette Frontière m'appelait. Je ne pouvais pas détacher mes yeux d'elle et même si j'essayais de faire demi-tour, je n'y arrivais pas. Shadow piaffait en désaccord avec moi. Il voulait galoper le plus loin possible de cette saleté noire et imposante. La monture d'Oregon n'en menait pas large face à lui.
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