Je crois que c'était un elfe. Un grand, mais du genre très discret. Au début je ne l'ai pas vraiment vu arriver, enfin, c'est surtout son ombre que j'ai vue sur le mur ; très très grande, très déformée, mais agrémentée de jolies petites oreilles en pointe. Évidemment tous le monde s'est tourné vers lui, et je n'ai jamais vu quelqu'un devenir aussi rouge. Il n'avait pas l'air à l'aise, et j'aurais juré l'entendre marmonner qu'il ne savait pas pourquoi il était venu. Il se cachait un peu derrière ses cheveux, comme derrière un minuscule rideau. Je me demandais comment il voyait le monde. Un jour, quelqu'un a voulu le forcer à parler, en public, devant une assemblée constituée des gens les plus quotidiens. C'est vrai que jamais on n'avait entendu sa voix, même lorsqu'il marmonnait, ça ressemblait davantage à un écho venu de très loin, très faible. Il a hésité, son ombre a même essayé de se faufiler avec lui hors de cette cage humaine, mais il n'avait pas le choix. Alors il s'est redressé, et il nous a tous surplombé, son ombre est venue sur nous. Puis il a parlé, fort, très fort, sa voix résonnait tout autour de nous. Je crois que je n'ai jamais vu quelqu'un contenir autant de colère. Toute cette peur qui recroquevillait son corps long est devenue de la colère. Alors il a parlé, beaucoup, dans une langue ancienne, ou peut-être qu'il l'a juste inventée, mais c'était à notre tour d'avoir peur. Quand il eut fini, ses grandes épaules se sont courbées encore, et il s'est faufilé avec son ombre. Pendant un instant, j'ai cru qu'il n'avait jamais existé, l'elfe en colère, mais je l'ai recroisé. Il rasait les murs, il avait l'air d'avoir encore plus peur qu'avant.