— Majesté...

— Plus tard, cher Melrose. Nous aurons bientôt l'occasion d'en discuter. Pour le moment, je dois me concentrer sur mes tâches. Les délais sont serrés, et je ne peux me permettre aucune distraction importune.

Avec un geste délicat de la main, elle congédia Melrose, qui s‘inclina, compréhensif. Son rôle pour soutenir la souverainne ne se résume pas à cela ; il sait qu’il devra revenir auprès d’elle plus tard pour avoir cette conversation.

Il se dirigea vers son bureau après avoir fermé la porte derrière lui, poussant un soupir long et réfléchi.

Dans l'une des serres royales, la Reine se remit au travail immédiatement après le départ de son bras-droit.

Elle chuchotait des encouragements à la plante fragile qui se tenait sous ses doigts. Le petit bourgeon blanc s'étendit doucement, ses délicates feuilles vertes s'épanouissant dans une grâce sereine.

Satisfaite d'avoir achevé cette étape, elle rangea le pot avec les autres pousses prêtes, se préparant à passer au suivant. Chacune d'elles serait ensuite confiée à d'autres mains expertes pour être intégrée au festival de la reine. Chaque année au printemps, on fête la fin de l'hiver, mais cette année, comme tous les dix ans, il est particulier. Il met à l'honneur la fleur emblématique de la reine, qui assure elle-même la naissance de chaque pousse.

Il ne restait que huit jours avant le lancement des festivités. La reine jonglait entre les préparatifs du festival et les affaires de son royaume.

À l'extérieur des murs du palais, une agitation frénétique régnait parmi les habitants de Lavande. Pour eux, c'était l'occasion de montrer leurs talents artistiques et de contribuer à la réussite de cet événement. Bientôt, la ville serait parée de fleurs de saison, enrichies de créations spécialement conçues pour magnifier leur beauté naturelle.

Pendant que les femmes s'occupaient des floraisons, les hommes prenaient soin de la logistique : installation des stands, préparation des mets, entretien et décoration de la ville, sécurisation des lieux. La participation des enfants, bien que possible, se limitait à éviter de leur imposer la pression des préparatifs.

La ville, splendeur lumineuse et chaleureuse, restait fidèle à elle-même, avec ses structures naturelles et raffinées. Les terres de Lavande, intimement liées au pouvoir de la reine, permettaient une extension sans difficulté.

Dans cette cité toujours fleurie, les espaces verts, expressions de la magie des fleurs, étaient soigneusement entretenus. Leur magie faisait partie intégrante de l'histoire et de la vie de Lavande. Le palais, immuable, restait au centre.

Bien que la reine y réside, le palais n'était pas uniquement son domaine. Des hôtes de marque pouvaient y séjourner, et chaque membre du personnel disposait d'un logement à proximité. En hommage à la reine, les murs extérieurs blancs laissaient libre cours à la prolifération naturelle des plantes, symbolisant son esprit et son essence.

Le palais était bordé de deux parcs, l'un privé, l'autre accessible à tous. Dans un coin de ce dernier, un espace de fête presque idyllique était décoré selon les événements à venir, qu'il s'agisse de mariages ou d'autres célébrations.

La magie dans ce royaume se manifestait sous de multiples facettes. Pour les Fleurs, à la différence des mages élémentaires, c'était la terre de Lavande qui éveillait en elles une capacité unique à influencer la croissance végétale.

En dehors du royaume, elle s'évanouissait en fonction des aptitudes de chaque femme.

Tandis que la reine, unique en son genre, possédait le don rare de création.

Le Lys est autant un cadeau qu’un fardeau.

Elle est enviée pour son prestige mais sous le décor, elle n’est que le Lys. Malgré les personnes gravitant autour d’elle, elle reste solitaire. Elle protègera toujours les siens avant même de penser à elle mais le prix à payer est grand. Il n’y a pas de place dans sa vie pour une famille ou l’amour, c’est implicite à son rôle.

Louvina, après plusieurs heures de concentration intense, s'accorda enfin une pause dans les jardins privés. Consciente de l'importance de son devoir, elle savait aussi reconnaître ses limites et le besoin de se ressourcer.

Elle se dirigea vers un kiosque ornementé de rosiers immaculés et s'assit sur un banc joliment sculpté. Rassurée par le calme environnant, elle s'endormit involontairement.

— Majesté... Votre Majesté... Réveillez-vous...

— Oui, oui...

Les mots de Melrose la tirèrent de son sommeil.

— Majesté, je vous prie de ne pas vous endormir ici, dit Melrose d'une voix neutre mais basse.

— Melrose, interrompre ainsi mon rare repos n'est pas très aimable de votre part, répondit Louvina avec un sourire en coin, ses yeux encore fermés.

Melrose expliqua doucement qu'il ne pouvait permettre à la reine de rester ici, bien qu'en sécurité, un sourire dans la voix.

Elle s'étira, ouvrit les yeux et accepta, amusée, de regagner ses appartements.

— Pourquoi ne m'accompagnez-vous pas ? Vous aviez quelque chose à me dire, non ?

— En fait, oui, mais étant donné votre fatigue, je préférais attendre demain avant de commencer.

— Soyez rassuré, cette petite pause m'a suffisamment requinquée. Allons, dites-moi de quoi il s'agit.

Lorsqu'ils se retrouvèrent installés dans les appartements de la reine, Melrose s'éclaircit la gorge, hésitant avant de parler.

— Ce n'est pas une urgence, mais simplement une observation et quelques inquiétudes personnelles qui m'amènent à aborder le sujet. Depuis quelque temps, vous semblez plus distraite. Cela m'inquiète, car ce n'est pas dans vos habitudes, avoua-t-il.

— Oh, cela ? Dit-elle, riant presque. C'est l'appel, Melrose.

Les yeux de Melrose s’agrandirent de surprise.

— L'appel ?

— Oui, lui répondit-elle doucement, reprenant son sérieux tout en souriant.

Melrose s'était attendu à tout sauf à cela. Après un moment, il acquiesça et demanda :

– Quel comportement devons-nous avoir désormais ? Devons-nous annoncer la nouvelle dès maintenant ou connaître notre Fleur en priorité ? Demanda-t-il, sérieux.

— Peut-être devrions-nous attendre avant de faire une annonce. Je souhaite d'abord rencontrer celle qui héritera de ce don. Une approche précipitée par le conseil me semble déplacé.

Melrose hocha la tête, conscient de l'importance de la situation.

- Nous devrions mettre en place une parade pour préserver la future Lys de toute pression, ainsi qu'un subterfuge pour vous laisser de l'espace afin que vous puissiez faire sa connaissance.

- Je suggère d'utiliser le festival pour masquer vos agissements, d'y trouver une excuse pour votre changement d'attitude de ces derniers temps en prétextant les festivités comme sujet d'inquiétude. Cela nous ferait gagner du temps, ajouta Melrose.

Louvina hocha la tête avec approbation. Ils conclurent que cette explication serait suffisante, avant de se concentrer sur les affaires du royaume.

Lorsque Melrose quitta les appartements de la reine après ce long échange, il rejoignit ses quartiers, prit soin de consigner dans les registres les éléments majeurs du jour, en omettant toutefois d'y faire mention de l'appel.

De son côté, Louvina termina sa journée sur un bain chaud destiné à apaiser ses tensions avant de savourer une nuit de sommeil bien méritée.

Avant de s'endormir, elle repensa à sa journée et se demanda nerveusement si elle serait capable de veiller au mieux sur sa successeure, de lui éviter un cheminement similaire au sien autrefois.

Elle n'eut que peu le temps d'y penser avant que le sommeil ne l'emporte.