Max-6 (version 0.6)
Le mardi, c’est compliqué. Le matin, j’ai salle de gym en accord avec mon cursus adapté, mais seulement jusque 11 heures car je suis obligé d’être présent sur le campus pour des cours aussi insipides qu’inutiles tels que géo, maths… À quoi bon pour tenir un local de sport ?
En revenant au collège, je remarque quelque chose d’anormal. D’habitude, j’ai toujours un jeune ou deux qui veut me prendre en photo. Ils viennent, s’approchent et sont impressionnés.
Eh bien là, maintenant, une foule s’agglutine, et surtout je dois répondre à des questions déplacées, bizarres.
« T’as vu le cadavre ? me demande l’un des mioches.
— Quel cadavre ?
— Il était tout blanc ? Comme dans les films ?
— De quoi tu parles ?
— Tu mettras quand une photo sur Facebook ? »
Tout autour de moi, les discussions ne parlent que de cette étrange personne.
Seb, qui m’a vu de loin, vient m’aider à éloigner la petite foule.
« Allez les gamins ! Le héros doit se reposer un peu.
— Merci, répondis-je »
En moins de temps qu’il n’en faut, la place se vide des blondinets. Seb me dit alors :
« T’as entendu la nouvelle ?
— Non, quoi ? Quelqu’un a battu mon record de lever de poids ?
— Non, vendredi à la soirée… on a trouvé un cadavre. Un gars de ta classe.
— Ah ça ! Mathilde m’a envoyé un message ce matin mais je…
— Oui, elle me l’a dit aussi, mais je ne vois pas qui c’est, on lui a parlé ? Un Sean, je crois.
— Sean ? Cela ne me dit rien. Il porte combien en salle ?
— Sais pas, mais tu vas vite le savoir. La cloche va bientôt sonner. »
Effectivement, il était bientôt 11 heures, heure de reprendre les cours.
Je traverse le terrain de basket et descends les escaliers qui mènent à ma classe. La porte est déjà fermée mais qu’importe. Quand je l’ouvre, une seule chose me frappe : les têtes consternées de mes camarades. À croire que c’est une journée officielle.
Mathilde me regarde, désespérée, tandis qu’Haha m’observe de bas en haut comme si c’était la première fois qu’on se rencontrait. Il faudra d’ailleurs que je la remercie pour ses photos de la soirée.
En parlant de la soirée, Lalye est toujours absente. Malade ? C’est pas son genre. Et puis il n’y a pas que les filles. Les mecs aussi tirent une drôle de tête.
« Ah, Max. Tu es là, bien. Justement, commençons par toi. »
Au bureau du professeur, la directrice et… trois policiers, dont l’un m’est familier. Chemise trop serrée ; biceps travaillés et sous son pantalon, je peux imaginer le volume de ses quadriceps. Nous nous sommes déjà croisés, aucun doute là-dessus, mais où ? J’ai cette étrange impression, comme un bonbon dont le goût évoque un sentiment passé mais dont il est impossible de se souvenir.
Et d’un coup, cela me revient :
« Il y a deux ans, au concours “Ibra-Men contest” vous avez fait un 210 levé couché, exact ? » lui dis-je en le pointant du doigt.
Le type me regarde (comme toute la classe), d’abord curieux, et puis surpris. Enfin il me sourit.
« Oui, je me souviens de toi. Tu avais gagné la médaille d’or chez les moins de 20 ans ?
— Exact, c’est moi.
— Oui ! 140 kilos au levé, 20 push-up d’affilés, un développé soulevé vertical impressionnant. »
Et nous continuons la discussion dehors dans une classe à part. On parle de choses et d’autres (dont entre autres de la soirée de Lalye vendredi). Il paraitrait que quelqu’un est mort, mais après quelques questions, ils se sont vite rendu compte que je ne connaissais pas très bien la victime.
Par contre, Hugo (parce que le flic s’appelle Hugo) détient un abonnement à la salle GoldGym. GoldGym, c’est une marque de fitness dont le cœur de cible est la richesse et l’extravagance. Je m’y suis rendu une fois, et j’ai été étonné du nombre de vieux et de vieilles, de directeurs bien gras et jeunes en costume cravate qui étaient présents. Ils ont les moyens, mais ils n’ont pas la carrure. Comment Hugo peut-il posséder un abonnement dans cette salle ? Flic n’est pas ce qui paie le mieux ; pour connaitre un oncle policier, je sais qu’un flic est toujours à la recherche du moindre billet.
La réponse est assez simple : son cousin y travaille ; et en passant, il me révèle une des nouvelles les plus excitantes que j’ai entendues ces deux dernières semaines : le manager de « GoldGym » cherche quelqu’un.
Je vois « GoldGym » écrit en face de moi. La salle se situe non loin du quartier où habite Lalye, qui soit dit en passant avait invité des policiers chez elle, à ce que j’ai pu voir de loin. Je ne savais pas qu’elle connaissait des gens dans la police.
Je pousse la porte d’entrée, et je dois avouer que bien que je ne sois pas fan de ce genre d’endroit m’as-tu-vu, cela impressionne. Ici, l’espace est de mise, les machines respirent et le bar est aussi grand que le coin poids et haltères de la mienne.
Je regarde ma montre, il est 15 heures 50. Pas beaucoup de monde dans l’établissement, à cette heure-ci, c’est pas normal. Un petit couple de vieux en train de pédaler, un gars sur les escaliers automatiques, et c’est tout.
« Que puis-je pour vous ?
— Bonjour, Max. Je viens parce que j’ai entendu que vous recherchez quelqu’un. »
Je sors mon CV, une page A4 qui contient l’ensemble de mes victoires en championnat et un résumé de mon carnet de suivi. À sa tête, il est impressionné (qui ne le serait pas).
« C’est vous qui connaissez mon cousin ?
— Votre cousin ?
— Oui, Hugo, le policier. Il m’a dit qu’il m’envoyait quelqu’un. Votre CV m’a l’air OK. Nous cherchons surtout quelqu’un en soirée pour faire la fermeture, donner des conseils et ranger un peu. Enfin vous voyez quoi ?
— Ça m’a l’air bien. Juste une question : aurai-je le droit d’utiliser les instruments ?
— Oui bien, sûr. Et il le faut, si vous restez derrière le comptoir, les gens vont médire sur vous. Vous pourrez même venir quand vous voulez, vous aurez un abonnement gratuit.
— C’est parfait.
— Je reviens, je vais téléphoner au gérant et discuter un peu. S’il est d’accord, je vous apporte le contrat. Attendez-moi.
— Puis-je aller en salle ? J’ai pris mes affaires avec. »
Il semble un peu surpris, mais après une seconde de réflexion, il acquiesce.
Pendant une heure, je m’échauffe, cours, porte et soulève. Je ne force pas, cela serait idiot de se casser quelque chose maintenant devant mon nouveau boss. Non, je fais tout le contraire, allant jusqu’à aider quelques personnes qui ont du mal à utiliser certains instruments de plaisir. Il faut au moins reconnaitre que les appareils sont de qualité. Par exemple, les poids ont tout juste l’air d’être déballés et les équipements sont graissés. Je serai ravi de venir ici tous les jours, même si c’est un peu plus loin.
Quand revient le manager, il tient un paquet de feuilles en main. Bon, ça !
Je travaillerai tous les soirs à partir de 18 heures et jusque 22 heures. Je dois ranger les instruments, passer une loque sur les tables ; éteindre les appareils ; fermer le bar… bref, rien de compliqué.
Mais surtout, je reçois le Saint-Graal des temps modernes : un badge-montre qui me permet de venir à toute heure du jour. Je pense déjà au sourire de mon père et ma mère lorsqu’ils repèreront ma montre « GoldGym ».
Et puis je pourrai devenir coach, tout en continuant mes entrainements. Et pourquoi pas carrément être gérant dans un avenir proche ? Posséder ma propre salle me parait tout à coup accessible.
Je persévère jusqu’à plus d’heure. À un moment (aux alentours de 20 heures, je pense), je remarque le policier qui m’a donné l’info. « Huhu » est son nom… je crois. Il porte les haltères « 50 » allongé sur un banc, un travail pour les pecs qu’il pratique par séries de 8, pas banal, mais bon.
« Ah, Max, c’est ça ? Comment va ?
— Très bien. Merci à toi, j’ai été engagé.
— Oui, mon cousin me l’a dit. Tant mieux, on cherche toujours des gens compétents comme toi. »
Je décide aussi d’aller chercher des haltères quand il m’interrompt dans mon élan.
« Oh ! Au fait, on a bouclé l’enquête. »
Circonspect, je me retourne.
« Bouclé quoi ?
— Sean, le gars mort de ta classe. C’est officiel, il s’est suicidé.
— Ah » dis-je.
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