Lalye-6 (version 0.6)
10 heures. Je me réveille, attrape mon GSM et… la presse est unanime : le compte Facebook de l’école ne parle que de la soirée d’hier. Une à une, je passe en revue les photos et courtes vidéos. Certaines me font rire, d’autres me font douter. Qu’est-ce qu’ils ont été fumer devant le garage ? Comme par hasard, Fred y est présent, Aline aussi. J’essaie de savoir si c’est avant ou après m’avoir gerbé dessus, ce qui est facile vu qu’elle est encore habillée. En apercevant ses yeux rouges horribles qui semblent me regarder à travers l’écran, je grince des dents.
Et puis il y a l’instant, le moment que toutes les vidéos ont bien immortalisé : elle et ma réaction. Ma soirée sera marquée à vie par ce moment dramatique où Aline se vide sur moi. Pourtant, en lisant les commentaires, je suis étonnée. Ils sont majoritairement gentils, sans parler des « Trop content d’avoir vu cela de mes propres yeux. Meilleure soirée du monde ».
Clairement, j’ai « pété le game » comme lancent les pauvres sans éducation. À croire que Mathilde avait raison ! Mais pas le temps de rêvasser, mes parents reviennent demain et il faut que la maison soit parfaite.
Je me lève, me lave et m’habille avant de descendre manger. Charles est déjà là et me prépare mes œufs brouillés.
« Bonjour, Charles !
— Bonjour, Mademoiselle. Comment s’est passée votre soirée hier soir ?
— Très très bien, merci. Mais maintenant, il va falloir tout ranger.
— Ne vous inquiétez pas, j’ai déjà téléphoné ce matin à Clean-And-Service. Leur personnel arrivera aux alentours de 11 heures.
Ils vont nettoyer la maison en moins de deux. À ce propos, dois-je aussi demander de laver votre chambre ?
— Mmmm, non. Toutes les chambres étaient fermées, donc aucune raison qu’il se soit passé quelque chose.
— Bien Madame. »
Et effectivement, à 11 heures 30, une dizaine d’employés viennent aider Charles à tout nettoyer.
Clean-And-Service est une entreprise qu’engagent mes parents lorsqu’ils invitent des amis, comme à la nouvelle année. Ce sont des professionnels du rangement et comme ils connaissent déjà bien la maison, ils ne se perdent plus dans les couloirs. De plus, les avoir sous la main me permet de continuer à éplucher la page Facebook. Je pense qu’ils offrent leurs services à l’ensemble de la rue.
19 heures, je redescends. La résidence est comme neuve. Une fête ici ? Non non…
Exceptionnellement, j’avais demandé à Clean-And-Service de pouvoir payer sur place au lieu d’envoyer la facture. Un des messieurs me présente le montant, une dizaine de milliers d’euros, ce qui n’est rien de bien cher pour moi.
Je règle, ferme la porte et… pfff.
Silence.
Dans le hall d’entrée, quelques portraits de famille, dont celui de mon père qui me regarde. Je le regarde, il me regarde et…
« Je l’ai fait, dis-je souriante. J’ai organisé ma soirée. Youpie ! »
Je n’en reviens toujours pas, j’ai défié l’ordre et tout s’est bien passé. La criminalité a du bon en un sens.
Mes parents sont rentrés le dimanche soir et à ce que j’ai compris, leur semaine s’est mal déroulée. Nous sommes assis à la table de la cuisine ; ma mère boit un sirop de grenadine et mon père un petit whisky. Moi, je termine la mousse au chocolat et souris en les écoutant lister tout ce qui n’allait pas : l’hôtel sans spa ou bien les lenteurs des taxis publics.
« Et sinon, tout s’est bien passé ici ? me demande enfin ma maman.
— Rien d’exceptionnel » répondis-je.
Mais Charles arrive dans la cuisine. Il est anxieux. Son mouchoir sur le front, il essuie quelques gouttes de sueur.
« Monsieur, Madame, je crois que nous avons un problème. »
Personne ne répond. C’est la première fois que je vois notre valet dans cet état.
« Qu’y a-t-il ?
— Je ne sais comment le dire. J’ai découvert quelqu’un dans l’appartement d’amis. »
Mes parents se regardent, stupéfaits.
Quel est le con qui est resté dormir là depuis deux jours ? Mrrrr, je suis sûre que c’est Aline, à force de vouloir vivre pauvre, elle squatte chez les autres.
« Montrez-nous, Charles.
— Chéri, je pense qu’il faudrait appeler la police, non ? S’il est dangereux…
— Madame, je pense qu’il ne pourrait plus l’être. »
Tout le monde se lève et suit l’homme de maison dans les couloirs.
« Je voulais aérer l’appartement qui se trouve au-dessus des garages afin d’accueillir Madame votre sœur la semaine prochaine dans de bonnes conditions. »
C’est vrai que Maman m’avait dit que tante Janet allait passer quelque temps chez nous. Elle serait déjà là ? Non, Charles l’aurait reconnue.
Nous traversons le couloir principal.
« Comment un clodo a-t-il pu s’introduire ?
— Au vu de l’âge, je pense que mademoiselle Lalye le connait, il me parait bien jeune. Probablement était-il présent vendredi soir lors de la soirée ? »
Je fais les grands yeux et m’arrête sur place.
« LALYE ? » crient mes parents.
« Charles, vous aviez promis de garder le secret.
— J’ai bien peur, Mademoiselle, que cela dépasse ce simple petit mensonge.
— OK ! On reprend, me dit papa. Que s’est-il passé ce vendredi ? T’as invité des amis ?
— Oui. Et on a fait un peu la fête.
— Une soirée ici ? Je t’avais dit non.
— Non, tu m’avais dit qu’un jour je pourrais en organiser une, mais tu m’as jamais laissé le faire. Alors…
— Monsieur, dit Charles, nous y voilà.
— On règlera cela plus tard, il faut d’abord mettre ce clodo à la rue, dit mon père.
— Je crois que ce sera plus compliqué que cela, Monsieur », dit Charles en ouvrant la porte.
Il me vient des envies de meurtre. Aline, comme d’hab, tu gâches tout, toi et… tes principes à la con. Pourtant, en regardant dans la pièce, je ne vois rien de prime abord. La chambre est propre et nette, rien d’anormal, mis à part quelqu’un dans le lit. À croire qu’elle a dormi deux jours. Moi, mes parents et Charles, nous nous approchons.
« Sean ? m’exclamé-je.
— Tu le connais ? me demandent mes parents.
— Oui, il est dans ma classe, il m’aide avec des Somaliens. OHÉ ? SEAN ! REVEILLE-TOI !
— Mademoiselle, j’ai bien peur que cela ne serve à rien. Il est mort. »
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