Lui… j’allais le déchiqueter la gorge, l’abdomen… Tout et n’importe quoi, mais j’allais lui faire payer d’une manière ou d’une autre. J’avais le désir profond de vouloir sentir le goût de son sang dans ma gorge. Je sentais que le soleil allait bientôt se lever, mais je le fus avant lui. Ma main glissa le long de ma jambe, mais les fluides m’avaient guéri, bien sûr. Les fluides chantaient pour moi dans le vent et dans le sang. Ils me guérissaient et m’offraient pouvoir et protection. J’étais forte je le savais, mais pas assez pour m’opposer à un homme adulte aussi puissant. Il fallait le reconnaître, mais je n’allais pas me laisser faire. Oh que non ! J’étais une fille de la forêt et des montagnes. La force du froid, du vent, des fluides étaient avec moi. En moi. Je ne ploierais pas si facilement. Ma jambe allait très bien. J’étirais longuement mes membres ainsi que mon dos toujours en écoutant la vie autour de moi. J’eus un sourire, la vie était tellement fausse ici… Dans la forêt, elle était organique, organisée, tout en ne l’étant pas. C’était comme un grand corps vivant à son propre rythme. Ici, tout était faux, c’était un rythme totalement… inventé, qui n’était pas naturel. Artificiel. Personne ici ne se laissait porter par les fluides. Je secouai la tête en baillant à nouveau longuement, lorsque j’étais avec ma mère dans la forêt, nous nous levions avant le soleil et après nous être préparé, nous y allions nous assurer que tout allait bien, voir les herbes, les autres s’ils allaient bien. Cænar, mon père, me manquait terriblement. Tout comme ma mère… Mes parents étaient encore vivants, je le savais, il ne pouvait en être autrement pour moi. Je me léchais doucement les lèvres pour chasser le goût de la nuit sur ma bouche. Je fis craquer ma nuque à nouveau avant de poser doucement mes membres par terre. Fraîcheur salutaire… Il faisait trop chaud dans cet endroit de malheur… Trop chaud, trop de poussière… Rien n’allait à mes yeux et à mon goût.

Profitant de la solitude, je finis par me hisser sur le bord de la fenêtre pour observer le paysage immonde qui s’étendait sous mes yeux. Une cour d’homme de pierre et de sable, au-delà des villages et des champs, des dizaines de champs… Où était la forêt ? Rien à voir avec mon royaume à moi ou la terre et les feuilles formaient bien des chemins. Bien que lorsque je fus allée au château du Nord… C’était encore différent. La neige recouvrait les dalles du palais, et surtout le château était installé au beau milieu d’une forêt proche d’un grand lac. Et là-bas on vivait au rythme des fluides. Pas ici, on les avait oubliés… Machinalement, pour souhaiter une bonne journée et un bon travail au soleil, je murmurais une prière aux dieux et aux fluides. C’était une habitude que nous avions avec les miens, remercier les dieux et les fluides pour nos vies et tout cela. Deux longues années… J’avais l’impression que cela faisait en réalité plus proche d’un siècle… Mais non, deux ans… Je chantai paisiblement, laissant les mélodies sortant de mes lèvres me porter très loin d’ici, chez moi… avec les miens. Je me laissai porter par mes souvenirs encore très précis, mes sensations, les parfums si particuliers de l’endroit, la clairière avec ma mère… sa douceur, l’odeur des herbes, sa force, sa maîtrise des fluides, sa manière de chanter presque tout le temps. J’aimais me nicher contre elle pour m’endormir, son odeur ou sa chaleur m’apaisaient. Ici à part des coups ou la solitude d’une nuit trop chaude par l’air et glaciale par le manque d’humanité, je n’avais rien.

Je ne le sentis pas rentrer, entière à mes souvenirs et à mon chant. Ma surprise et ma rage furent décuplées quand d’un coup de poing il projeta ma tête contre l’embrasure de la fenêtre en pierre. Je secouai la tête pour chasser l’engourdissement et je montrai aussitôt les crocs en réponse je n’eus qu’un ricanement moqueur.

« Pas de chant de si bon matin, petite créature immonde. Allez, prépare-toi, c’est l’heure de manger et de commencer ta journée petite garce. »

Je m’ébrouai pour chasser la douleur avant de me redresser lentement et d’aller faire ma toilette moi-même. Je m’observai un long instant dans le miroir piqueté de rouille sans bouger. Ce visage… Ce n’était pas le mien. Pas aussi maigre, pas aussi… simplement triste. Et pourtant ce reflet levait la main en même temps que moi, bougeait… Ce corps maigre couvert de cicatrices et de marque… La lignée marquée sur mon corps m’assurait que j’étais bien dans le bon corps. Je m’avançai à nouveau pour le repas et une odeur étrange s’en éleva, aussitôt je me reculai avant de venir sentir une nouvelle fois, cette odeur de plante, douceâtre… je sentis une main se refermer autour de ma nuque :

« Tu n’aimes pas l’odeur ? »

Je grondai et montrai à nouveau les dents, il serra plus fort sa main autour de ma nuque pour me pousser le visage dans l’assiette. D’un revers je la rejetai au sol, la nourriture se répandit sur les joncs et l’odeur s’éleva davantage. Croyait-il que je ne sentirais rien ? Que je ne serais pas capable d’identifier l’odeur des plantes ? Que je ne les connaîtrais pas ? Il me prenait pour qui ? D’un mouvement brusque, je me dégageai, ignorant la douleur de mes muscles, en quelques secondes, les fluides m’apaisèrent, les liants à nouveau les uns avec les autres, comme-ci la douleur n’avait jamais existé. L’homme se redressa lentement et fronça les sourcils :

« Tu te crois maligne ? De donner du travail comme ça à des gens qui n’ont rien demandé ? Tu existes et tu causes du tort petit monstre. »

Je découvris à nouveau mes crocs dans un grondement colérique, j’avais rien demandé moi non plus. Je n’avais pas demandé à quitter ma mère. Non, pas la quitter. On m’avait arraché à ma mère. Je n’avais jamais voulu vivre dans un lieu puant et trop chaud. Qu’il ne me jette pas la faute dessus. Il eut un rire :

« Tu ne me connais pas… Je suis Sadralbe, un chasseur des monstres de ton espèce. Et crois-moi petite putain, je vais te dresser. »

J’eus un rire amusé. Croyait-il pouvoir me briser ? Il ne serait ni le premier, ni le dernier à essayer. Personne n’avait réussi. Dans ma tête, j’avais tous mes souvenirs, toute ma vraie vie. Je ne ferais pas qu’attendre la libération. Je la provoquerais… L’homme s’avança, je ne reculai pas, le défiant du regard de s’avancer encore. Je rassemblai les fluides autour de moi, je n’avais pas ma puissance habituelle… au nord les fluides étaient bien plus puissants, au sud ils étaient plus rares… Je bondis en arrière en projetant les joncs au visage du soi-disant chasseur. Il voulait un vrai chasseur ? Qu’il attende mes périodes, j’allais lui montrer ce que c’était une chasseuse. D’un geste il jeta au sol les joncs :

« Tu crois que ça va m’arrêter ? »

Non. Les pas que j’entendais, oui. Il les avait entendus aussi, il bondit avec souplesse et je roulai avant de grimper sur le coffre et le mettre entre nous. L’Homme entra dans la pièce et le prétendu chasseur s’arrêta pour s’incliner devant lui. Chien. Deux gardes. Je ne pouvais pas tenter une sortie. Je grondais plus fort et montrai mes crocs. L’Homme fronça les sourcils.

« Je veux lui dire bonjour ce matin. Midelia. Viens ici. »

Je secouai la tête en me déplaçant en crabe. Comme-ci de une je m’appelais Midelia et de deux que j’allais m’approcher de l’Homme à cause de qui j’étais ici. L’Homme fit signe au chasseur qui bondit pour me coincer en me glissant son bras autour de ma gorge pour la serre et me planta salement son genou dans mon dos, histoire que je ne bouge pas :

« Voilà, majesté. »

L’Homme s’approcha sans peur, Wilkin, c’était son nom, je le savais, mais je refusais de lui donner. Il tendit une main et j’essayai de me dérober, le chasseur serra sa prise et je grondai. L’Homme puait le parfum et marcha simplement dans la nourriture au sol pour venir me caresser tout doucement la tête et la joue. Le contact de sa paume sur moi me révulsait au point ou un haut-le-cœur me secoua :

« Si tu arrêtais d’être aussi sauvage Midelia, tout se passerait beaucoup mieux pour toi. »

Si tu m’avais laissé chez moi je serais très sage, bâtard. Je serrais les dents et attendit que ça passe. Il se lassa rapidement, fort heureusement, et repartit après une dernière caresse. Je n’étais pas un animal de compagnie ! Le prétendu chasseur me lâcha avant de me pousser en avant avec un ricanement. Je soupirais longuement en me léchant les lèvres avant d’obéir à la poussée pour avancer vers la bibliothèque. Je savais très bien que je devais y rejoindre quelqu’un comme tous les jours pour écouter sagement des leçons. J’aimais ça, mon esprit pouvait enregistrer les informations avec facilité. Les gens du Nord étaient bénis par les fluides d’une mémoire prodigieuse et presque sans fin et d’un esprit très vif. Je me souvenais pratiquement de tout sans aucun effort et apprendre de nouvelles choses, comme une nouvelle langue, ne me prenait que quelques jours. Plus cependant que la plupart de mes frères à qui il ne leur fallait que quelques heures. Dû à mon métissage sûrement.

J’avançai souplement, prêtant à mon environnement une attention réduite, le reste étant focalisé sur mes pensées et mes souvenirs. L’odeur du vieux parchemin me sauta au nez quand la porte de la bibliothèque s’ouvrit. La princesse, la seule agréable dans cet endroit de malheur, était déjà présente, penchée sur un livre qui semblait l’absorber. Le casseur n’eut pas besoin de me pousser pour m’obliger à m’asseoir, non je le fis toute seule en regardant la pièce. Le vieil homme qui sentait plus le cadavre qu’un être vivant s’avança pour donner sa leçon et j’écoutais sagement, retenant parfois un petit bâillement. C’était tellement… Peu vivant, aussi vivant qu’un cadavre ce professeur, je me demandais comment la princesse pouvait supporter ça… Elle devait avoir beaucoup de patience. Je m’imaginais déjà lui mordre les mollets à celui-là… Mmh… S’imaginer lui faire du mal est-ce que c’était une bonne chose ? Après tout… c’était qu’un humain et un vieux en plus. J’eus un ricanement mauvais en le regardant, la princesse leva un regard vers moi avec un sourire. Je ne lui rendis que du bout des lèvres.

Après le cours on put enfin se lever et sortir de l’endroit. J’adorais la bibliothèque et son ambiance, mais j’aimais encore plus être dehors et profiter de l’air frais sur mon visage, courir jusqu’à en perdre mon souffle, mais ici… c’était toujours pareil : je devais rester collée à la princesse et attendre le bon vouloir des humains… Comme d’habitude, toujours attendre, mais je trouverais bien un moyen de retourner chez moi. Ou je mourrais en essayant, je serrais les dents pendant un instant, la présence calme du soi-disant chasseur, m’obligeait à me tenir tranquille. Lui il était un problème. Mais si je pouvais manipuler la princesse pour la convaincre de me laisser partir… Elle me sourit tout doucement, mais je ne lui rendis pas, je n’aimais pas leur sourire.