Elle s’échappait, elle virevoltait entre les membres de la délégation nordienne, elle glissait entre mes doigts… Où qu’elle aille, un nordien était avec elle et discutait, toujours basculant d’une langue à une autre, toujours en prenant soin que je ne puisse comprendre que quelques mots ou aucun d’ailleurs. Wilkin ne pouvait pas lui interdire, elle les connaissait tous, ou presque de ce que j’avais compris, impossible pour lui de lui interdire de sortir de sa chambre, et j’avais beau essayer de parler de sa santé fragile et du fait qu’elle eût besoin de beaucoup de repos, je n’avais eu le droit, pour l’instant, qu’à des rires moqueurs et des jugements. Les nordiens me repoussaient sèchement d’une remarque dans ma propre langue sans aucun accent, ou alors d’un geste. Et clairement, ils n’étaient ni petit ni mince. Le pire c’était le prince Itham, il était toujours proche de Saorsa, parfois la tenant dans ses bras, elle lui souriait… J’aurais adoré lui trancher ses lèvres… Wilkin n’avait rien dit non plus, les nordiens n’étaient pas étonnée, et surtout la mère n’avait rien dit, ou si juste « Qu’il ne ferait rien de ce que les sudistes considèrent d’outrageux. » J’avais essayé de lui parler, de lui dire que sa précieuse « Saorsa » avait déjà couché et donc n’était plus bien pour son fils. Sa réaction ? Un simple rire et un petit « Qu’elle profite de la vie. ». Et là, les deux étaient enfermées dans une pièce, deux gardes nordiennes me bloquaient la porte. Pas d’épée pour elles : deux haches chacune et des poignards.

Je remontais pour m’asseoir dans la chambre de Saorsa, rien n’avait bougé, je saisis sa dent de lait avant de m’asseoir sur son lit et de fermer les yeux. Toujours aucun son, je voyais qu’une conversation, et encore, Midelia s’agitait en parlant, elle ne tenait pas en place. Je voyais le paysage, puis le mur de pierre, Aalrika un bref instant qui semblait avoir du mal à rester calme. Je n’arrivais pas à lire sur leurs lèvres. Obscurité. Midelia avait fermé les yeux un instant et les rouvrit. Elle observa ses paumes, c’était très perturbant, j’aurais presque aimé qu’elle se pose… Au moins j’aurais pu tenter de déchiffrer quelque chose ! Mais elle ne faisait que s’agiter…

« Qu’est-ce que vous faites ici ?! »

Je rouvris en grand les yeux, l’handicapé de service posa son regard azur sur moi, les sourcils froncés, il était seul, et parfaitement calme.

« Et vous ? Répondis-je agressif.

- Je remontais dans mes appartements. Vous êtes dans ceux de Saorsa.

- Midelia. Elle s’appelle Midelia. Insistais-je. »

Il m’observa et eut un simple sourire, une main sur les roues de son fauteuil, je devrais le jeter par une fenêtre, je lui épargnerais une vie… de misère. On aurait dû le faire à la naissance. Il repoussa en arrière une mèche sombre qui lui tombait devant les yeux. Ça semblait le faire rire tout cela, il croyait que c’était facile de la dresser ?!

« Elle a beau guérir vite, les cicatrices restent. »

Il tourna son fauteuil et reprit son chemin, je restais immobile assis sur le lit de la petite chienne sans rien faire pendant encore un petit moment avant de me lever. Puisqu’il n’y avait rien à faire… j’attendrais que tout cela se finisse, je me plaquais cotre le mur en entendant des pas…

« Tu penses qu’une chasse est une bonne idée Gaïa ?

- Aalrika m’en parlait, ils chassent beaucoup dans le Nord.

- Nous sommes dans le sud. Chez nous, nous n’allons pas les laisser dicter leur coutume ! »

Le roi ne semblait pas enclin à se laisser marcher sur les pieds par une femelle à peine dégrossit du nord.

« C’est la future culture de Liliraele et la culture de Midelia.

- Il faut que j’arrive à l’empêcher de trop les fréquenter.

- Tu crois sérieusement y arriver ? Elle les connaît tous et Itham semble être fou d’elle, c’est parfaitement réciproque.

- Elle épousera qui j’aurais décidé pour elle ! Mais au moins Sadralbe continue sa surveillance. »

Ah ! Il avait noté cela ! J’eus un sourire en me plaquant davantage contre le mur, ils passeraient bientôt et je ne pourrais plus les entendre. La reine semblait sûre d’elle, quoi qu’elle l’eût toujours été, soutenant son époux dans les démarches et la gestion du royaume… Mais là, elle devait laisser Wilkin et sa poigne de fer décider, et il avait raison sur mon compte, je veillais au grain… Comme je pouvais.

« Si tu le dis. Enfin, la chasse est quand même une bonne idée, toi-même tu aimes ça.

- Sans doute. »

Le couple royal s’éloigna et je respirais à nouveau avant de me remettre en chemin pour retrouver cette petite saloperie et esquiver ses protecteurs. Sauf, qu’autant chercher une aiguille dans une botte de foin, elle se faufilait partout, mais surtout j’avais l’impression qu’elle était avec les prêtresses et surtout la reine Aalrika qui elle aussi était introuvable. Les nordistes s’étaient rassemblés hors du château et préparé quelque chose. Ils portaient leur grand bouclier rond de bois avec leur centre de fer, et avaient dégagé un grand cercle, repoussant la moindre brindille sur le sol, les Danseuses, toujours présentes semblaient donner des directives. Et pourtant elles ne semblaient pas être des guerrières ou quoi, tout le monde obéissait sagement. Je serrais les mâchoires en les regardant, ça on pouvait dire qu’avec leurs hautes tailles et leur corps fins… elles étaient impressionnantes. Leur seule capacité c’était de savoir danser un peu mieux que les autres ? Quelle perte de temps ! Une prêtresse revient, elle avait un poignard elle aussi, ils avaient tous des poignards en réalité, à la ceinture, tout comme les marques sur leur cou et leur épaules, personne n’avait rien voulu me dire sur ce que c’était. J’observais un long moment, ne comprenant pas ce qu’ils faisaient, ils traçaient des runes sur le sol, les reliaient, priaient et repartaient. Je finis par saisir : ils consacraient le sol. La religion était la religion… je voulais bien leur donner ça, il fallait qu’ils prient, soit, priaient. Ils ne rentrèrent même pas pour manger, en réalité ils ne mangèrent pas, se rassemblant même, pas de lune, que les étoiles pour éclairer la scène, c’était presque étrange… Ils se rassemblèrent, presque tous agenouillé au sol, leur bouclier sur leurs genoux, lame au clair, même l’handicapé était avec les autres. Seuls quelques musiciens étaient là, debout, faux, il y avait un chanteur avec son étrange lyre ainsi qu’une autre musicienne avec son instrument qui aurait pu être un violon, mais en plus gros, ainsi qu’un joueur de vièle et de gigje. J’avais fini par connaître les noms, connaît ton ennemi. Des guerriers entourèrent le grand cercle qu’ils avaient tracé, plantant des torches sur le sol. Ils ne plaisantaient pas, eux aussi avait leur grand bouclier, mais leurs haches étaient au clair, prêtes à être utilisé. Wilkin s’avança, suivit de sa famille. Sauf Midelia qui n’était pas là.

Un silence étrange planait, jusqu’à ce qu’elle s’avance, sans même nous regarder, une longue tunique blanche sans manches sur un pantalon de toile aussi immaculé, pieds nus, les cheveux relevés en une coiffure plus que complexe. Les guerriers la laissèrent passer et avancer jusqu’au centre du cercle, elle semblait presque briller sous la lueur des torches et dès que l’homme se mit à chanter, elle se mit à danser. C’était une langue que je n’avais jamais entendue, mais une langue du nord, je reconnaissais les intonations… Aalrika portait sa tenue de guerrière, je venais de la voir arriver du coin de l’œil. Les nordistes se mirent à frapper dans un rythme parfait sur leur bouclier et, à son tour, elle s’avança dans le cercle, son poignard au clair. Les deux femmes s’observèrent avec attention, aucune méchanceté ou quoi, immobile simplement ! Le chant continua, plus désespéré, plus guerrier, les nordistes frappant le centre métallique de leur bouclier de coup de pommeau de leur dague dans un tintement régulier. Je sentis le souffle me manquer, c’était angoissant ! Les guerriers encore debout ne bougeaient pas un cil, les prêtresses s’avancèrent lentement comme des fantômes au moment culminant du chant, Midelia s’agenouilla, renversa la tête en arrière en fixant le ciel. Je la vis déglutir, sa peau fine était tendue, le rythme s’accéléra brusquement à nouveau, les prêtresses ne bougeaient pas, Midelia étendit les bras, Aalrika s’avança, contourna la louve, se positionna derrière elle, le poignard trancha la gorge de la louve d’un geste vif au moment où la musique et le chant s’élevaient pour l’ultime note.

La tunique de la chienne était tâchée de sang.

Elle venait de se faire trancher la gorge.