Chapitre 35 - Liliraele
Mon regard se promena sur le groupe que je pouvais voir au travers de l’ouverture de la porte de mon carrosse. Ma mère s’approcha et je viens l’étreindre avec douceur. Cela serait probablement l’une des dernières fois que je la verrais. Est-ce qu’elle viendrait ensuite dans le royaume des Montagnes et des Neiges ? Je ne pensais pas. Elle ne venait pas à mon mariage et… elle en voulait à mon père, mais en réalité, j’y allais pratiquement seule avec mon père, quelques dames et nobles de la cours, mon père, Sadralbe et bien sûr Saorsa. De plus, le château était plus petit, impossible d’y amener une délégation comme eux l’avaient fait. Puis… même s’il y avait des gardes, moins il y en aurait, plus Saorsa pourrait disparaître, Aalrika l’aimait bien, elle la couvrirait et sur ces vastes terres… elle pourrait s’y cacher à jamais, c’était chez elle après tout. Mais pour l’instant, je profitai de l’étreinte de ma mère, de son parfum. J’avais dit au revoir la veille à mes frères quand ils étaient partis pour se rendre vers les villes portuaires, mon père leur avait donné deux villes à gérer, un entraînement avant d’avoir le royaume entre les mains. Je relâchais ma mère qui me sourit, elle ne pleurait pas, elle me caressa tout doucement la joue.
« Pense à m’écrire souvent ma chérie d’accord. Je suis fière de toi, sache-le. Je suis fière de toi et je t’aime de tout mon cœur. »
Elle vient m’embrasser avec tendresse le front avant de me draper les épaules de son châle aux teintes d’un feu orange, rouge, gris, noir. Notre préférée. Je le serrai autour de mes épaules avant de venir l’embrasser à nouveau. J’en profitai pour dire au revoir à mes petites sœurs, mon père coupa court aux adieux et referma la porte du carrosse, ma mère l’embrassa légèrement avant de s’écarter pour que le cortège puisse partir, je ravalai mes larmes en faisant un dernier signe à ma mère avant de m’installer contre la banquette, une main caressant doucement le tissu doux du châle. Je finis par tourner la tête pour regarder Saorsa, elle était décontractée sur son cheval, elle ne souriait pas… et n’avait pas ses rênes : Sadralbe les avait attachés à sa selle. Jamais libre… Bientôt ! J’observai son profil avec attention, elle avait rassemblé ses cheveux en chignon et portait une longue tunique brune par-dessus une chemise et son pendentif resplendissait au soleil. Elle avait les joues creuses, et j’étais sûre que sans ses vêtements elle faisait peur à voir. La louve dut sentir mon regard sur elle et son regard pivota vers moi, je ne pus que lui sourire un peu. Elle savait très bien tout ce qu’il m’habitait, peut-être mieux que moi et dès la pause, elle descendit pour me rejoindre dans le petit habitacle. J’entourai aussitôt ses mains des miennes avant de me nicher dans ses bras. D’un battement de cil elle ferma les voilettes du carrosse, nous isolant du monde. Elle me serra dans ses bras et je me mis à pleurer tout ce que je savais, aussi silencieusement que possible. Elle me berça sans rien dire, n’était-ce pas égoïste que je pleure un départ alors qu’elle-même on l’avait arraché aux siens, mais elle ne dit rien, passant juste ses doigts dans mes cheveux pendant un moment et je finis par verbaliser au creux de son oreille ce qui me terrifiait depuis toujours :
« Je… Je ne veux pas être reine… Je veux pas être une … un… une poupée… Je veux pas… Je peux pas être reine… J… »
Elle posa sa tête contre la mienne, embrassant tout doucement ma tempe sans rien dire. Elle attendit que je calme mes pleurs avant d’essuyer tout doucement mon visage de ses mains et souffla sur le même ton :
« Tu ne seras pas reine. Aolis ne sera pas roi. »
J’écarquillais les yeux et elle me couvrit aussitôt la bouche pour que je reste silencieuse.
« Itham sera régnant sur les terres du nord. Il est lié aux loups, et l’union doit régner sur ces terres… Tu seras princesse, mais pas reine, tu auras enfin ta liberté, je t’apprendrais à vivre là-bas. Ne t’inquiète pas. Pas un mot à ton père. »
Elle attrapa mon visage entre ses doigts et posa mon front contre le sien avec douceur. J’accrochai ses poignets comme une bouée, savait-elle à quel point elle venait de m’ôter un poids considérable. D’aucun pensait que c’était un objectif d’être reine, mais pas du tout ! Je détestais ma position, je détestais devoir faire des ronds de jambes, la politique… Je détestais ça, vraiment pas, je ne pouvais pas m’imaginer reine, princesse… soit, mais reine ?! Surtout dans un pays que je ne connaissais pas. Ma sœur me garda longtemps contre moi, chuchotant aux creux de mon oreille mots doux et réconfort. En dehors de tout ça, quitter tout ce que j’avais connu me faisait peur. Le sommeil me prit, alors que j’avais la tête sur les genoux de ma sœur et qu’elle peignait ma tignasse du bout des doigts.
Lorsque je rouvris les yeux, le soleil commençait à tomber doucement. Le crépuscule. Saorsa baissa les yeux sur moi et un petit sourire étira doucement ses lèvres.
« Ça va mieux ? Tu pleurais dans ton sommeil.
- J’ai fait des cauchemars. Mais ça va mieux… merci. »
Je ne dis rien de plus, pour les cauchemars, elle devait être servie, et la pauvre j’avais dû l’empêcher de bouger pendant plusieurs heures. Et pourtant, je ne me sentais pas reposée du tout, mais je préférais n’en toucher mot à Saorsa, je savais qu’elle-même faisait énormément de cauchemars. Même si elle n’en parlait jamais, elle ne parlait jamais d’elle, ou presque jamais. C’était particulièrement vexant quand on y pensait, mais c’était comme ça. Elle s’étira les jambes avant de me glisser un regard amusé :
« J’ai de la bave sur le pantalon. »
Je me sentis rougir et me mordis les joues sans rien dire, elle me fit simplement un clin d’œil avant d’ouvrir la porte du carrosse pour observer l’auberge qui nous faisait face. Énorme. Il y aurait de la place pour tous. Je descendis seule, rassemblant ma robe je sortis pour la rejoindre. Ma sœur avait du mal à tenir en place, comme toujours. J’eus un frisson et elle me fit un sourire tordu :
« Déjà l’impression de sentir le froid du nord sur ta peau ? »
Je ne pus rien lui dire, je ne savais pas si c’était vraiment ça ou juste dans ma tête. Je fermais à nouveau les yeux pour inspirer profondément, Sadralbe se glissa derrière ma sœur et lui prit le bras pour l’entraîner dans l’auberge sans lui laisser plus le temps que cela de parler. Personne ne dit rien… Étais-je réellement la seule à ne pas être… Elle était une louve… et les loups étaient plus que mal vu ici, ce n’était pas pour rien que Sadralbe pouvait les chasser sans aucune difficulté et même avec la reconnaissance de la population. Combien est-ce qu’il en avait massacré ? Sûrement beaucoup trop, et après on s’étonnait qu’ils partent tous dans d’autres contrées. Et pourtant… Mon père posa sa main aux creux de mes reins.
« Viens. »
Je lui obéis silencieusement et fronçai les sourcils, ni Sadralbe ni ma sœur étaient là.
« Sadralbe et Midelia, où sont-ils ?
- Midelia était fatiguée, il est allé la coucher, est-ce que ça t’ennuie qu’elle dorme avec toi ?
- Je préfère la savoir à dormir avec moi que dans la même chambre que Sadralbe. »
Je n’eus le droit qu’à un froncement de sourcil, mais c’était hors de question de laisser ma cadette, seule, la nuit avec lui. Autant que je le pourrais durant ce voyage. Et mon père… était-il vraiment au courant de ce qu’il se passait ? Ou alors il ignorait vraiment tout ? Je ne pouvais pas le croire, il était forcément au courant ! C’était lui qui avait… Je secouai la tête. Mon père devait être au courant en partie… Mais à quel point Sadralbe lui mentait-il ? Mon père était un homme bon… C’était ça dont je voulais me souvenir à cet instant. À quel point Sadralbe le manipulait-il ? Et surtout à quel point savait-il pour ma sœur ? Est-ce qu’il l’aimait vraiment ? Ou pas du tout ? Je me massai les tempes avant de m’avancer pour profiter, moi, d’un repas chaud.
Les journées se suivaient et étaient mortellement identiques, Saorsa venait parfois m’accompagner dans le carrosse, mais elle aimait tellement être dehors sur son cheval ! Alors, la nuit, elle m’écrivait de longs textes dans la langue de la cours du royaume des Montagnes et des Neiges. Et lors de la journée je les lisais, mais cela ne m’occupait jamais vraiment assez longtemps, alors souvent je la faisais venir pour qu’elle me parle, qu’elle me raconte des histoires qu’elle connaissait, ou qu’elle m’en invente, mais toujours dans cette langue. Je ne pouvais pas faire autrement… et souvent, elle me gardait dans ses bras longtemps alors que je pleurais et je lui confiais mes doutes. Comment avait-elle fait toutes ces années ? Aucune idée, mais elle… pourquoi elle, pourquoi elle, elle y arrivait ! Et pas moi ! Elle ne disait pas, elle n’expliquait pas… Comme d’habitude, elle ne parlait pas d’elle. Elle ne parlait jamais de ce qu’elle ressentait… J’eus beau l’interroger sur Itham, elle ne me fit qu’un sourire sans rien expliquer.
Au fur et à mesure du voyage, je sentais poindre de plus en plus fréquemment des maux de têtes… Elle m’avait affirmé que c’était normal. À cause des fluides : il y en avait beaucoup plus dans son royaume que dans le sud et il fallait du temps pour s’y habituer. Ce qui ne semblait pas du tout la déranger, mais comme d’habitude : elle ne s’en plaignait pas, alors elle pouvait souffrir je n’en savais rien… En tout cas, je finissais par sentir la différence de température, et dans son attitude, elle était calme, et rien ne semblait plus la troubler, aux abords de la frontière, alors que je lui ordonnais de venir avec moi, elle eut un sourire plein de morgue.
« Viens sur mon cheval, ça te ferra du bien. »
Et elle m’avait tendu la main. Après un instant d’hésitation, j’avais accepté de grimper en croupe avec elle. En serrant mes bras autour d’elle, je sentis tous ses os poindre, j’eus un frisson. Lorsqu’elle avait passé trois jours sous sa forme de louve, elle les avait passés dans le carrosse, solidement muselé et enchaîné, Sadralbe étant là, j’avais dû moi-même sortir pour chevaucher. Et elle n’avait rien dit. Mais ici, elle était chez elle, sa cape était rejetée sur son épaule et elle promenait son regard autour de nous, après un moment je finis par retourner dans le carrosse, la frontière du nord, une immense chaîne de montagne se dressait devant nous, le seul passage, un chemin qui sillonnait aux cœurs des montagnes jusqu’aux terres centrales, était impressionnant. Un long hurlement de loup fit vibrer l’air. Je crois que ce n’était pas du tout une bonne nouvelle ça.
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