Je regardai le mur devant moi, Vahagn était assit à même le sol, Itham nous avait laissé. Je fermais les yeux sans dire un mot jusqu’à ce que mon père ne rentre dans la pièce et ne s’installe près de moi sur le lit. Je me laissai tomber contre lui et il me prit dans ses bras alors que les sanglots affluaient à nouveau. Je me laissai bercer en pleurant tout ce que je savais pendant un moment. Je finis par me redresser, parlant ma langue natale avec lui avec plaisir :

« Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Pourquoi ?

- Nous voulions te retrouver, trouver qui avait tué ta mère… Tu avais disparu si vite… nous n’avions rien put faire… Nous avons retourné tout le royaume… Aalrika nous a aidé… Mais nous ne pouvions plus rester… nous nous sommes regroupés, entre nous… nous avons formé une meute unique. »

Je relevais les yeux vers lui avec surprise, sans être sûre de saisir, sa grande main caressa doucement ma joue, séchant mes larmes.

« Nous nous sommes organisés comme une immense meute, pour que plus jamais quelque chose comme cela n’arrive, je suis l’Alpha des alpha, il y a encore des alpha, puis sous les bêtas… Ainsi de suite, mais je suis maintenant si on veut… le roi des Loup-garous. Et toi… Et toi tu es toujours mon héritière… ma princesse. »

Il me sourit et déposa ses lèvres sur mon front me serrant plus fort contre moi avant de finir :

« Cela nous a pris beaucoup de temps, nous continuions de te rechercher… Puis… Vahagn nous a dit. Nous l’avons vu arriver avec sa meute, et nous sommes allés le trouver et il a tout dit. »

Je levai les yeux vers lui avant de souffler :

« Pourquoi on n’a pas arrêté les kidnappeurs à la frontière ? Tu ne les as pas sentis ?

- Ils avaient usé d’un sort pour effacer leur odeur et à part… le cadavre d’Isean, il n’y avait plus rien. Et comme tu le sais je ne venais malheureusement pas tous les jours. Quant aux frontières… je suppose qu’ils t’ont caché et comme nous ne fouillons pas, un groupe qui passe et qui sort du territoire… »

Je restai muette, essayant de me rappeler ce qu’il s’était passé ce jour-là. Obscurité… les chaînes m’enserrant le corps le bâillon… Y avait-il eu un sort pour camoufler mon odeur ? C’était sans aucun doute possible. Et surtout…

« Une caisse. J’étais dans une caisse.

- Le temps en plus que l’information remonte… j’imagine qu’ils n’ont pas traîné.

- Vous les avez retrouvés ?

- Des cadavres oui, près un long moment de recherches, mais ce n’est malheureusement pas nous qui les avons déchiquetés. Nous aurions adoré les faire parler. »

J’eus un pauvre sourire. Mon père avait tout fait pour me retrouver, je n’en doutais pas. Je repris la parole :

« Tu savais vraiment pour Wilkin ?

- Pas du tout, Isean m’avait dit qu’elle avait juste eu un donneur de graine. Tu connaissais ta mère… Elle était…

- Secrète. Mais elle m’a transmis tout ce qu’elle savait. Tu as donné onze ans de ta vie pour la conservation du sang ?!

- Non, seulement deux. Neuf autres loups, à qui ta mère avait sauvé la vie, l’ont fait. Nous voulions justice et que tu puisses… Lui dire au revoir.

- Merci… »

Il me sourit avec tristesse en me serrant contre lui. Je me laissai faire.

Je rajustai la tunique sur mes épaules. Il faisait nuit noir et un vent glacé soufflait des montagnes, j’avais oublié ce froid, mais j’aimais ça. J’étais pieds nus, et j’avais les bras nus. Comme tous les loups autour de moi. Au centre de la cours du château d’Aalrika un immense bûché était dressé, Vahagn tremblait de froid lui aussi, mais il serrait les lèvres pour ne rien laisser paraître. Tous les loups étaient rassemblés, pas d’humains, ils étaient tous installés aux fenêtres du château ou sur les remparts. Les flammes des torches ondulaient dans le vent. Mon père était près de moi et le corps de ma mère sur le bûché. Je tendis la main et la torche de mon père s’y glissa. Je m’avançai jusqu’au tas d’arbres, la résine suintait en gouttes épaisses jusqu’au sol dégageant une odeur particulière. Je levai la tête vers les étoiles sans rien dire, inspirant profondément, ma torche se dressa dans les airs avant que je ne vienne l’enfoncer dans le bûché. Le bois pris feu presque immédiatement et je reculai pour ne pas subir la morsure des flammes. J’inspirais profondément, la fumée me piquait les yeux et si je ne pleurais pas déjà… L’odeur du bois emplissait l’air. Je devais chanter, pour accompagner ma mère, pour qu’elle puisse enfin rejoindre Lycanos et Tungl, qu’elle puisse enfin se reposer. Chanter… une dernière fois… pour elle, avec elle, chanter à nouveau, chanter et la guider aux dieux, la remercier pour tout ce qu’elle avait fait. Je glissai un regard à mon père qui hocha la tête, m’invitant à chanter doucement. Ma voix grave, chantant la langue de notre meute, s’éleva dans l’air glacé, dessinant des arabesques de vapeur à peine visible dans la lueur mouvante des flammes du bûcher.

Le chant dura longtemps, entrecoupée parfois des sanglots qui me montaient dans la gorge, mais au moins la chaleur du bûché projeté un halo de chaleur tout autour qui m’empêchait de mourir de froid. Je finis par poser une main au sol et de prendre en un battement de cil, mon apparence de louve. Ici, avec l’abondance de fluides, je n’avais pas besoin d’attendre la pleine lune pour prendre ma forme animale, je pouvais le faire quand je voulais, comme je voulais. Je ne fus pas la seule, chaque loup présent prit sa seconde forme. La chaîne de ma pierre de sang s’agrandit, répondant à l’appel de mon sang juste assez pour enserrer mon cou sans pendre et sans me gêner pour respirer. Je levai mon museau et l’entrouvris, laissant un long hurlement faire trembler les étoiles, tous se joignirent à moi pour un dernier chant à une guérisseuse unique et connu au travers de tout le royaume. Je fermai les yeux pour savourer ce moment et rendre un dernier hommage à ma mère. La fumée sentait la chair calcinée et lorsqu’au matin le bûcher avait fini de brûler, il ne restait plus que quelques os. Mon père s’en approcha et les ramassa un à un pour les glisser dans une petite bourse qu’il glissa à sa ceinture avant de venir m’embrasser le front. C’était bien fini, plus jamais je ne pourrais entendre le rire de ma mère ou juste la voir me glisser un petit sourire en coin, mais au moins, elle avait rejoint les dieux, elle était en paix.

« Viens il faut que tu dormes un peu. Le mariage a lieu cette nuit. »

J’en avais oublié cette histoire de mariage… C’était pourtant bien grâce à cela que j’étais ici et grâce à rien d’autre. Je gardai la main de mon père dans la sienne avant de le suivre difficilement dans les couloirs. Vahagn marchait près de moi, sous sa forme de loup, la porte de ma chambre s’ouvrit et je m’avançai pour me laisser tomber sur le lit. J’entendis la voix profonde de Caenar ordonner à mon ami veiller sur moi. Je me glissai sous les draps et l’albinos grimpa doucement sur le lit, toujours dans sa forme de loup et se coucha contre moi. J’enfouis mon visage dans sa fourrure avant de m’endormir en sentant son odeur musquée.

Je brossai ma robe du bout des doigts, cette fois bleue et or. Les couleurs d’Itham. J’observai ma sœur, magnifique dans sa robe entièrement blanche comme le voulait la coutume. Aolis, porterait une tenue brune et verte, couleur de Lycanos. Je m’avançai à pas silencieux au près des miens, Itham glissa doucement sa main autour de la mienne, je posai ma tête contre son torse et il sourit légèrement, les autres loups portaient des tenus propres, mais enroulés de fourrure, portant du gris, ou du blanc, du marron. Ils affichaient aussi leur soutien. Wilkin ne disait rien, les mains serraient en poings. Ni lui, ni aucun du sud n’était ravi. Parce qu’ils n’avaient pas eut le choix, qu’est-ce qu’ils auraient pu faire ? Essayer de partir ? Aalrika ne l’aurait pas laissé faire, ses hommes n’étaient pas assez nombreux pour tenter une fuite, quant à Liliraele, elle avait elle-même choisit d’accepter de se marier, elle avait défié son père. Ce n’était pas rien. Elle était belle, ma sœur, dans sa robe qui réfléchissait doucement la lueur des étoiles et de la lune. Aolis la regardait venir et il lui fit un large sourire en tendant sa main qu’elle saisit doucement. Les prêtresses l’entourèrent et j’entendis les chants, les appels aux dieux pour les bénir. C’était toujours au plus simple, nous n’aimions pas que cela soit inutilement complexe. Alors en quelques minutes, les prêtresses s’écartèrent, dévoilant le couple, techniquement rien n’avait changé si ce n’était un simple anneau à leur main. Je me mis à applaudir et tous me suivirent presque avec une certaine hésitation, surtout pour les sudistes. Tant pis pour eux. La reine finit par accepter qu’on retourne à l’intérieur. Je m’assis à ma place et soupirai de plaisir, j’aimais le froid, mais la chaleur et l’odeur de viande grillée était plus qu’appréciable. Je glissai un regard à ma sœur qui me fit une grimace et j’eus un rire derrière ma main. Je lui répondis par un clin d’œil et elle se pencha vers moi.

« Je suis contente d’être ici… et de ce mariage.

- Tu sais qu’hier tu aurais pu partir ? Avec ce qu’il s’est passé.

- Pourquoi ? Pour permettre à mon père de ne pas payer ses erreurs ? Hors de question qu’il s’en sorte, et que toi tu n’aies pas justice. Et moi… c’est hors de question que je retourne dans le sud… Même si ma mère me manque… »

Je pris sa main dans la mienne pour la serrer et la remercier sans le dire. Je savais que ce n’était pas encore joué, mais je ne repartirais pas de mon pays, ça c’était sûr. Je profitai avec appétit du repas, ainsi que de danser avec tous les princes, Vahagn également. Cela me plaisait de vivre à nouveau après onze ans de sommeil.