006 Robert Darnos

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Robert Darnos faisait les cent pas devant l'entrée de service de l'hôpital, fébrile. Si l'infirmière tenait parole, il allait avoir le scoop du siècle : à lui le journal télé du soir. Enfin il serrait reconnu à sa juste valeur. Il aperçut de loin l'opulente chevelure rousse et la non moins opulente poitrine. Un instant ses pensées s'égarèrent sur des fantasmes peu avouables mais il se ressaisit. La partie était trop importante. Après tout, il pourrait toujours l'inviter plus tard. Une femme ne résiste pas à un présentateur du journal. Triomphante, elle agita de loin son petit caméscope.

  — Voilà, c'est dans la boite ! Vous avez l'argent?

  — Chose promise chose due, mais laissez-moi d'abord jeter un coup d'œil.

Il sortit de sa sacoche un mini-lecteur dans lequel il introduisit le cube mémoire de la caméra. Son cœur battit plus vite lorsqu'il vit les premières images. Il fit plusieurs avances rapides puis, satisfait, il sortit de sa poche une liasse de billets qu'il tendit à Prita. Celle-ci s'en saisit avec un sourire moqueur qu'il ne comprit pas et lui fit une petite révérence impertinente.

  — Ce fut un plaisir de travailler pour vous. Mon salaire habituel est bien inférieur à cette somme. Je vais pouvoir faire quelques folies.

  — Heu... Si vous le souhaitez, nous pourrons peut-être nous revoir plus tard... ?

  — En aurez-vous envie ? Je vous souhaite une bonne soirée.

La réponse énigmatique le surprit mais il avait d'autres chats à fouetter. Il se précipita vers sa voiture et repartit à toute vitesse vers les studios. Là, il s'enferma dans une salle de montage pour mettre en forme le reportage en enregistrant les questions avec sa propre voix. Puis, triomphant, il se dirigea vers le bureau du rédacteur en chef.

  — Ça y est, je l'ai !

  — Vous avez quoi ?

  — L'interview du prophète !

Il brandissait le cube mémoire avec fierté. Mais, contrairement à ce qu'il espérait, il n'eut droit à aucune félicitation. Le rédacteur en chef fit tourner vers lui le petit écran de télévision qui trônait sur son bureau. Stupéfait, il reconnu le prophète en train de parler à Alter Pavi. Le reportage commençait par une rétrospective rapide de la catastrophe de la mine puis de la théâtrale apparition du miraculé et son fameux «j’ai rencontré Dieu». Ensuite des images de médiocre qualité, visiblement prises avec une petite caméra amateur, le montraient sur son lit d’hôpital. D’une voix grave et hésitante, il affirmait bien récupérer de son séjour sous terre. Puis, il annonçait qu’il avait un message à faire passer au monde. Malheureusement, il était enfermé dans cette chambre. On interdisait les visites sous un prétexte médical afin de l’empêcher de parler.

  — Cela fait plus d'une heure que Starcom passe ces images en boucle. Votre reportage c'est du réchauffé !

Stupéfait Robert Darnos s'effondra dans un fauteuil.

  — Ce n'est pas possible... Il m'a doublé ! Le salaud !

  — Dans notre métier nous sommes tous des salauds, vous devriez le savoir.

La porte du bureau s'ouvrit sur un rédacteur surexcité.

  — Chef ! Une foule de manifestants s'est groupée devant l'hôpital. Ils exigent la libération du prophète ! Une vrai émeute !

  — Et bien, mon petit Darnos, voilà l'occasion de vous racheter. Prenez un cameraman et un preneur de son et soyez prêt dans une heure à faire une intervention en direct pour le journal du soir.

  — Quoi... mais c'est le travail d'un...

  — D'un journaliste qui a besoin de réviser les bases de son métier. Bougez-vous, le temps presse !

Lorsqu'il retraversa la salle de rédaction, il fut accompagné de regards ironiques et de commentaires peu amènes. Visiblement «pue des pieds» n'était guère apprécié par ses collègues.

Ce qu'il ne savait pas, c'est que Prita avait fait entrer Alter déguisé en médecin dans la chambre tant convoitée. Elle avait ensuite fait la conversation avec des vigiles fort impressionnés par ses mensurations. Ce qui se dit ce jour-là entre le rescapé et le journaliste, en dehors de l'interview, personne ne le sut. Mais c'est avec deux heures d'avance sur son confrère qu'Alter était sortit de l'hôpital, le précieux reportage dans les mains. Il avait même poussé le vice jusqu'à aider Prita à faire celui de Darnos, en beaucoup moins bien évidemment !

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