009 Introspection
Les célébrations de la Huitaine étaient commencées depuis plusieurs jours et les festivités avaient envahi les rues de la ville. Pourtant, au milieu de toute cette folie, certaines personnes avaient échappé à l'hystérie collective.
Lorsqu'Alter Pavi sorti de son domicile, il fut submergé par toutes sortes de stimulis destinées à rendre les gens euphoriques : des haut-parleurs diffusaient de la musique entraînante, des banderoles multicolores surplombaient les rues, leurs couleurs chatoyantes changeant au rythme du vent. A chaque carrefour, des vases imitant les amphores antiques laissaient s'échapper des parfums sucrés.
Sur la place de la République, un « vol du diable » était installé. Il s'agissait d'une variante moderne du vieux Carrousel à chaîne. Des petites cabines en forme de fusées étaient reliées à un poteau central par un câble. Lorsqu’elles se mettaient à tourner, la force centrifuge les écartaient de celui-ci et le passager avait à sa disposition des commandes qui, en faisant pivoter de petits ailerons, permettaient de décrire de folles arabesques en faisant monter ou descendre la cabine tout en continuant à tourner autour du poteau. Ce « vol du diable » était la version dite « guerrière »: en plus de la voltige, les amateurs de sensations fortes avaient la possibilité de tirer fictivement sur la fusée qui les précédait à l’aide d’un rayon laser... et bien sûr de se faire tirer dessus par celle qui suivait. Celui qui restait trop longtemps dans la ligne de mire de son adversaire voyait ses commandes se désactiver et il continuait à tourner à hauteur constante jusqu’à la fin de la partie.
Alter sourit en passant devant l’attraction. Il n’était pas mauvais dans ce genre d’exercice et il gardait des souvenirs grisants de parties acharnées avec ses copains. Avec l’âge cependant, il supportait beaucoup moins bien les mouvements désordonnés de la cabine et il préférait des lieux plus propices aux jeux de séductions comme «la rivière sans retour», un circuit en barques tractées sur des rails imergés, qui alternait des moments calmes où l’on avançait doucement à travers une végétation aussi artificielle que luxuriante avec des passages de rapides et de chutes d’eau très spectaculaires. Le but du jeu étant que la passagère, effrayée ou faisant semblant de l’être, vienne se réfugier dans les bras de son compagnon… et y reste une fois le danger passé bien entendu.
Tout le long du boulevard du Progrès, des stands étaient alignés. Ceux dédiés aux sucreries ou aux grillades étaient encore fermés à cette heure matinale; par contre des adolescents s’escrimaient déjà sur divers simulateurs. Alter remarqua qu’il était maintenant agacé par le tintamarre s’échappant de ces bâtiments alors qu’auparavant il adorait cette ambiance étourdissante.
Au bas de l’avenue, sur un grand espace vide servant habituellement au stationnement des camions, était justement installé « la rivière sans retour ». Compte tenu du travail représentant sa mise en place, il était probable qu'elle resterait trois ou quatre périodes au minimum. Un très jeune couple, sortant précipitamment d’un bus, le bouscula. Ils s’excusèrent en se dirigeant vers l’attraction, main dans la main. Ils ne devaient pas avoir plus de dix huit ans. Lui était un peu chétif, les bras maigres et la poitrine creuse. Elle par contre était déjà bien en chair. Alter sourit en les imaginant, enlacés dans le bateau, dévalant les chutes artificielles. Il eu même l’impression fugace de sentir contre le sien le corps chaud et parfumé de la jeune fille. Il soupira en pensant que décidément il serait bientôt temps de trouver la compagne définitive avec laquelle il passerait le reste de sa vie. Au fait, pourquoi pas Prita d'ailleurs ? Elle était gentille et avait un physique « remarquable ». C’est vrai que, jusqu’à maintenant, il n’avait pensé qu’à passer des moments agréables avec elle, sans plus. Décidément, depuis qu’il avait rencontré le prophète, il raisonnait bizarrement. Penser à se caser, lui ! Et pourtant c’était vrai, il avait vraiment envie de changer de vie.
Sa petite introspection lui occupa l’esprit, tant et si bien qu’il fut surpris d’être déjà arrivé devant la Maison du Mineur. Il s'agissait du siège des diverses organisations syndicales, d’entraides ou associatives regroupant les gens de la profession.
L’ambiance, dans cette partie de la rue, tranchait avec celle du reste de la ville. Ici point de joie braillarde, mais du recueillement. Quelqu’un avait débranché les hauts-parleurs de la fête autour de la Maison du Mineur qui était devenue un îlot de calme dans une ville en liesse.
Sur le trottoir et une partie de la rue, une foule assez importante attendait calmement. Les rares discussions avaient lieu à voix basse. On se serait cru au départ d’un enterrement, sauf que personne n’avait l’air triste, seulement sérieux. Ils devaient bien être une petite centaine à patienter et d'autres convergeaient des rues adjacentes. Par réflexe professionnel, il rechercha des têtes connues. La récolte fut maigre. La majeure partie des personnes présentes était de condition modeste, employé, ouvrier, mineur. Par contre Alter repéra sans difficulté trois indics de la police qui essayaient de se fondre dans le groupe. Il se souvenait d’avoir vu l’un d’eux à la mine lors de la catastrophe. Ce jour là il repoussait les journalistes trop curieux. Aujourd’hui il arborait l’écharpe de membre du club corporatif de casette, un jeu de boules local. Les deux autres avaient vraiment l’air de flics et semblaient mal à l’aise. Alter décida de rester en arrière du groupe pour mieux observer tout le monde.
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