023 L'invitation
Christa tint ses engagements et, quatre jours plus tard, son rapport préliminaire était sur le bureau du Président. Celui-ci la convoqua peu après.
— Chère Mademoiselle, tout d’abord compliment pour votre ponctualité. C’est une vertu que j’apprécie beaucoup et qui, croyez moi, est rare. Ceci dit, le contenu de ce rapport est un peu… décevant. On n’apprend pas grand chose sur ce qu’il y a près du puits numéro quatre, seulement les difficultés auxquelles vous vous êtes heurtée.
Christa, contrariée, chassa une mèche de cheveux de ses yeux.
— Je suis très surprise de ces premiers résultats. Je n’ai jamais rencontré de telles aberrations dans les mesures. A croire qu’il y a sous terre, à cinq cents mètres de profondeur, une machine qui fonctionne encore et qui rayonne énormément sur le plan électromagnétique.
— Je peux vous certifier que toutes nos installations sont arrêtées. Si machine il y a, elle n’est pas à nous et elle ne fonctionnait pas lorsque nos experts ont évalué le site. Et je ne parle même pas de la source d’énergie qui lui serait nécessaire. Que me proposez-vous ?
— Comme je vous l’avais dit dès le départ, il est capital de s’approcher un peu. J’avais dit à 150 mètres parce que je pensais en termes habituels pour une mine. Mais, compte tenu de ce qui se passe, il faudrait être plus prêt ou alors avoir un deuxième point de mesure. Vous avez un sondage à proximité qui descend à moins trois cent quatre-vingt mètres. Si l’on pouvait le prolonger de cinquante mètres d’une part, et d’autre part descendre dans le puits numéro quatre vers moins quatre cent trente mètres je pense pouvoir cerner le problème avec le maximum de précision et le minimum de risque.
— Va pour cette solution. Combien de temps d’après vous ?
— Vos employés estiment le prolongement du sondage à trois jours. Pour le puits numéro quatre je peux d'ores et déjà descendre à moins trois cent cinquante mètres. Pour le reste il s’agit surtout de sécuriser le passage, disons trois jours la aussi. Je vous propose de refaire une série de mesures à moins trois cent cinquante mètres, ce qui n’empêche pas vos équipes de commencer le travail de leur coté.
— Nous ferons ainsi.
Quand Christa ressortit du bureau elle croisa à nouveau Steve.
— Décidément vous êtes toujours dans mes jambes. Vous écoutez aux portes ?
Steve éclata de rire.
— On n’écoute plus aux portes, jeune fille ! C’est fini tout ça. On place un micro espion discret et indécelable qui enregistre tout et on va le récupérer plus tard.
— Vous en avez mis un dans le bureau du président ?
Elle ouvrait des yeux ronds.
— Non. Je n’ai pas eu l'occasion de le faire. Il est bien trop méfiant. Cette pièce est interdite à mes hommes et moi-même et je pense qu’elle est piégée avec des caméras de surveillance. Notre client n’est pas un amateur.
Ils firent quelques pas en silence. Steve reprit avec hésitation.
— Puisque vous avez rendu votre premier rapport, vous pouvez peut-être faire une pause. Que diriez-vous d’un repas en ville, par exemple au « Belles Roches » dont la réputation dépasse de loin le cadre de Solera ?
— Pas possible ! Vous mangez autre chose que des barres énergétiques ?
Steve ne s’offusqua pas de la mise en boite.
— Cela me ferait plaisir de vous inviter…
— Est-ce un nouveau subterfuge pour me tirer les vers du nez ?
Steve marqua un temps d’arrêt puis la pris par l’épaule et la pilota en direction des toilettes à quelques mètres de là. La première salle était entourée de lavabos et de miroirs. Il la poussa devant l'un d'eux et lui désigna son reflet.
— Pour moi, ce que je vois là est une raison suffisante pour vous inviter à dîner.
Comme elle faisait une petite moue il ajouta :
— Bien entendu, en mettant un vêtement plus seyant et avec quelques apprêts dont les femmes ont le secret, je suis sûr de baver dans mon assiette toute la soirée.
Christa rit.
— Charmant spectacle auquel vous me conviez.
— Je parlais au figuré bien sûr !
Elle se contempla quelques secondes puis regarda le reflet du militaire.
— Je croyais qu’il y avait une taille maximum pour être romantique, disons moins de 1m80 et qu’au delà on ne pouvait être que macho.
Steve dégaina un énorme revolver.
— Mon machisme je l’exprime avec ça. Le reste du temps je peux être aussi romantique que n’importe quel nabot.
Christa resta songeuse une seconde puis elle reprit, s’adressant toujours au reflet de Steve.
— Monsieur le soldat, il y a quelques années je vous aurais fui comme la peste. Toutes les jeunes filles de bonne famille ont été mises en garde contre les jeunes et beaux soldats. Ils sont très séduisants, mais ils ne pensent pas un mot des serments d’amours qu’ils sont prêt à faire à la première inconnue qui passe. Mais j’ai grandi et maintenant je n’ai plus peur du grand méchant loup.
— D’ailleurs ai-je l’air d’un grand méchant loup ?
— Hum…méchant, je ne sais pas, mais grand loup certainement. Cela dit méfiez-vous des petits Chaperons Rouges. Ils ne sont plus aussi naïfs que dans l’histoire et ils peuvent en remontrer à la grosse bête !
— Permettez-moi de protester de mes intentions ! J’aurais plaisir à inviter à dîner une jeune et jolie collègue, car nous sommes tous les deux des chefs d’entreprise n’est-ce-pas ?
— Vu comme cela ! Je vous remercie de votre attention et je vous propose après-demain, le temps pour moi de mettre en route la deuxième phase de mon travail.
— Bien sûr. Je suis à vos ordres.
— Vous ne devriez pas dire ça : être sous mes ordres ce n’est pas une sinécure. Bon, ce n’est pas tout ça, mais je suis débordée. Je vous remercie, à bientôt.
Elle ressortit de la pièce d’un pas vif. Steve la suivit plus lentement, pensif. En arrivant dans le couloir il se heurta à son bras droit Erin.
— Eh ! Tu rêves ? Mais au fait, ai-je bien vu ? N’est-ce-pas mademoiselle Kalemberg qui vient de sortir de cette pièce ? Qu’est-ce que vous fricotiez là-dedans tous les deux ? Ne me dis pas que tu l’as coincée dans les toilettes…
— Idiote ! Nous parlions…
— C’est ça ! Vous parliez ! Dans les toilettes !
— Si tu veux tout savoir, je l’ai invitée au restaurant.
— Ah d’accord, le grand jeu. Tu aurais mieux fait de m’inviter moi, j’aime bien aller au restaurant…
— Pour que tu passes toute la soirée à reluquer les serveuses ? Non merci.
Erin éclata de rire et lui emboîta le pas.
— Je te remercie d’être venu, Hugues. J’ai besoin de l’œil d’un expert pour m’acheter une tenue de soirée.
— Une tenue de soirée, tien tien ! Et c’est quoi cette soirée ?
— Un repas au « Belles Roches ».
Hugues émit un sifflement admiratif.
— Carrément ! Tu débarques ici et cinq jours après on t'invite aux « Belles Roches » ! Tu sais que c’est ce qui se fait de mieux dans ce coin de la galaxie. Et je peux savoir qui veut t'emmener dans ce superbe endroit ? Ton client peut-être ?
— Chut, top secret. Connais-tu un magasin où je puisse trouver une tenue adéquate ?
— Bien sûr. Tu sais, Solera n’est pas une planète très évoluée, alors les adresses sélectes on en a vite fait le tour. Laisse ta voiture, je t’emmène dans la mienne.
Pendant le trajet Hugues l’interrogea sur son travail.
— Alors, où en es-tu avec les fantasmes de notre beau mercenaire ?
Christa se méprit sur la question et rougit.
— Quels fantasmes… ?
— Tu sais bien, le complot au milieu duquel nous devions tomber…
— Ah oui, bien sûr.
Elle poussa discrètement un soupir de soulagement. Tout en conduisant Hugues lui lança un regard intrigué. Elle se hâta de répondre.
— Effectivement, en ce qui concerne mon travail, pour le moment il a raison. Il correspond exactement à ce qu’il nous a décrit. Pour le reste, la mine est fermée et il ne reste sur place qu’une équipe d’entretien, plus bien sûr la direction. Il y a de l’activité dans les bureaux, c’est tout ce que je peux dire.
— Et ton client ? C’est quel genre ?
— J’ai été surprise par sa jeunesse. Il est très autoritaire, poli mais ferme, distant même. J’ai du mal à le cerner.
— Tu comptes mieux le cerner au « Belles Roches » ?
Christa réagit instantanément en lui donnant un coup de poing dans l’épaule.
— Eh ! Tu te fiches de la conversation, tu cherches seulement à me cuisiner sur ma soirée. Si c’est comme ça je ne te dirai plus rien.
— Ne te fâche pas, je plaisantais, c’est tout.
— Et en ce qui te concerne, il était aussi dans le vrai ?
— Qui ça, ton client ?
— Non idiot, Maroco, le mercenaire.
— Ah oui ! En fait, pas vraiment. J’ai transporté deux passagères qui voulaient débarquer discrètement sur Solera, une princesse noire et sa suivante. Visiblement elles ont l’habitude du luxe et affréter un yacht est pour elles une chose normale. Bien sûr, le fait que l'argent ai transité par la caisse du syndicat des mineurs est bizarre mais j'ai vu pire dans ma vie. Quant à les voir dans un complot, je crois qu’il débloque notre ami !
Il avait hésité à révéler qui était précisément cette princesse noire mais finalement il s'en était tenu à sa discrétion habituelle, attendant que son amie pose éventuellement d'autres questions. Mais elle ne réagit pas, ce qui pouvait signifier qu'elle n'avait pas regardé les informations à la télévision, trop occupée par la mise en place de son chantier. Par conséquent, elle devait ignorer qui était Ceyla Bouabe.
Une heure plus tard Christa achevait ses essayages et restait perplexe.
— Finalement il y en deux qui me plaisent bien, la grise à liserés bordeaux et la rouge. Qu’en dis-tu ?
— Comme tu refuses de me dire qui est l’heureux élu de la soirée je ne peux pas trancher. Tu es magnifique dans les deux.
Christa trépigna d’impatience.
— Allez, dis moi le fond de ta pensée, sois sympa !
— Bon, si tu veux. Avec la grise, tu as une classe folle, idéale pour une réception officielle ou un repas d’affaire. Quand à la rouge, avec elle tu es un monstre de sensualité, de quoi transformer n’importe quel amoureux transi en cocotte minute.
Elle rit.
— En cocotte minute ? Au « Belles Roches » ? Ça risque d’être déplacé.
Elle présenta à nouveau la robe rouge devant elle, fit une petite moue en se contemplant dans un miroir puis lança un clin d’œil à Hugues.
— Je crois que je vais prendre celle-là. On verra bien ce qui arrivera.
— Hou la la, elle est en chasse ! Ça va faire mal !
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