041 La fuite (2)
L'Étoile Filante, le yacht de Hugues Milton, traversait l'espace obscur, quelque part entre les systèmes de Solera et de Boscudir. Seul le ronronnement de la climatisation se faisait entendre dans l'astronef. Les lumières avaient été baissées, pour simuler une ambiance nocturne. Il s'agissait de respecter le rythme circadien des passagers, malgré l'absence de repère extérieur.
Hugues était sur la passerelle. Il dormait très peu durant les voyages, toujours attentif au travail de son équipage. Une fois arrivé à bon port, il se rattrapait en faisant de longues grasses matinées. Prita, épuisée par l'angoisse ressentie ces derniers jours, dormait dans sa cabine.
Ceyla Bouabe et Alter Pavi étaient restés dans le salon et buvaient un jus de fruit glacé. Ils gouttaient le calme et la sécurité du lieu, loin du climat social délétère de Solera. Derrière son bar, à l'autre bout de la pièce, le steward somnolait.
La princesse noire semblait heureuse, soulagée. Elle en oubliait presque sa réserve naturelle.
— Finalement nous nous en sortons bien, je veux dire en gardant notre intégrité physique. J'avoue qu'à un certain moment je m'attendais au pire. Et pas seulement pour moi. J'étais en quelque sorte protégé par le rôle que Tenos me faisait jouer. Mais ce n'était pas le cas pour vous ou mademoiselle Saldanera. J'étais vraiment horrifié par ce qui se passait autour de moi.
— Nous avons eu la chance de nous en sortir, mais la situation sur Solera n'est pas brillante.
Ceyla baissa la tête.
— C'est vrai. La mission du prophète a été un échec, sa mort et la prise de pouvoir par Tenos une catastrophe. Enfin, la fermeture des mines va plonger tous ces gens dans la misère. L'avenir de Solera est sombre, le désespoir risque d'envahir la population ce qui pourrait engendrer à nouveau de la violence.
— Ne soyons pas trop pessimistes. J'ai l'espoir que quelqu'un puisse être l'homme providentiel. Je pense à Simon Temton, le ministre de l'industrie. C'est quelqu'un d'une très grande valeur. Si quelque chose peut encore être fait, soyez certaine qu'il le ferra. Croyez-en mon expérience de journaliste.
Ceyla secoua la tête, peu convaincue. A l'inverse d' Alter Pavi, la politique la rebutait. Elle trouvait que les leaders des différents partis vivaient dans une bulle, et ne se souciaient de ce qui se passait sur le terrain qu'à la veille des élections. Voyant son scepticisme, Pavi changea de sujet de conversation.
— Mais parlez moi de vous. Vous allez retrouver votre planète, votre famille, votre maison. C'est une grande chance, car moi j'ai tout perdu : mon travail, mes amis, mon appartement, tout !
— Et Prita Saldanera ?
— Ah ! bien sûr, Prita... Vous savez que nous avions déjà vécu ensemble quelques mois, il y a quatre ou cinq ans ?
Ceyla sourit.
— C'est vrai ? Alors cela veut dire que vous êtes faits pour être en couple.
— Non, je ne crois pas. Nous avons de l'amitié c'est sûr ! De même n'avons nous pas de problème pour les petits calins ! Mais je ne crois pas que cette nouvelle histoire dure beaucoup plus que le temps de faire son bébé et de s'en remettre.
— Vous croyez ? Ce n'est pas mon impression. Je pense qu'elle, au moins, est amoureuse de vous, vraiment.
— Vous vous trompez, car vous jugez suivant vos critères. Pour nous deux, il est possible d'avoir beaucoup de tendresse pour quelqu'un, sans pour autant connaître le grand amour. Je pense rester avec elle jusqu'à ce qu'elle rencontre une autre personne. Alors je m'effacerai. Mais nous resterons amis.
Ceyla fit la moue, déçue.
— Effectivement, j'ai du mal à vous comprendre. Cependant, je sens en vous un potentiel d'humanité, de compassion, d'empathie, qui ne demande qu'à s'épanouir.
— Ce doit être les vestiges de ma formation de messager !
— Ne riez pas : je pense que pour être « sélectionnable » pour cette mission, il fallait avoir dès le début de grandes qualités morales et une capacité à assumer un destin difficile. Je suis étonnée que vous ne m'aillez jamais posé de question sur les messagers, le pourquoi, le comment...
— Visiblement vos confidences en ce domaine étaient réservées au prophète. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, je sais me tenir à ma place, d'autant plus qu'il ne s'agissait pas là d'informations publiables.
— Oui mais une fois que j'ai eu découvert vos « antécédents »...
Alter eut un sourire désabusé.
— Nous n'avons guère eu le temps de discuter, avec la rafale d' événements qui s'est produite.
— Bien sûr, mais la diffusion du message, le grand projet qui le contient, tout cela ne vous intéresse plus ?
Le journaliste marqua une pause avant de répondre, se remémorant le moment où tout avait basculé.
— Lorsque j'ai été repoussé par le service d'ordre de Tenos, j'ai pensé qu'une page de ma vie s'était refermée. Il ne me restait plus qu'à reprendre mon rôle de journaliste à plein temps. Il a eu tord de me considérer, à ce moment là, comme un ennemi. Je m'estimais définitivement hors-jeu. Il est vrai que, vu son attitude envers vous et Prita, nous aurions fini par nous opposer, inévitablement. Il avait la possibilité de nous imposer ses conditions, pour un armistice que nous aurions été trop contents d'accepter. Malheureusement, Tenos est un jusqu'au-boutiste, et il est en train de gâcher toute la belle ouvrage construite par le prophète. Alors, en ce qui concerne la diffusion du message je ne sais plus qu'en penser et surtout que faire.
— Voudriez-vous rencontrer les personnes qui ont conçu le message?
Alter releva la tête, surpris.
— Vous m'offrez un scoop?
— Je ne m'adresse pas au journaliste, surtout pas, mais au messager potentiel. Seriez-vous intéressé à jouer un rôle dans l'avenir? Avoir une autre mission ?
— Vous piquez ma curiosité. Vous les avez rencontrés, vous, ces gens là ?
— Un intermédiaire seulement, et une seule fois, lorsqu'il m'a été demandé de venir sur Solera. C'est grâce à lui, que j'étais au courant de tous les détails de ce qui se passait, y compris dans l'entourage du prophète. J'avais la possibilité de leur envoyer des rapports, et je l'ai toujours. Je peux, si vous le souhaitez, leur faire part de votre intérêt et de votre disponibilité.
— Je répond oui avec enthousiasme. Je ne sais pas si j'accepterai une nouvelle mission, mais j'ai envie de leur demander des comptes. Nous avons quand même été manipulés à l'insu de notre plein grès ! Et je trouve cela choquant. Accessoirement, j'aimerais d'ailleurs savoir comment ils s'y sont pris.
Ceyla haussa les épaules.
— Nous n'avons pas été manipulés plus que des soldats que l'on envoie au combat, et nous devions nous battre pour une cause bien plus juste !
— Je reconnais bien là votre générosité, mais des années de journalisme m'ont rendus plus méfiants envers les beaux idéaux.
— Vous jouez les cyniques, mais votre action aux cotés du prophète parle en votre faveur. Je ne vous promet rien de plus que de vous... « recommander » auprès de ces gens. S'ils vous contactent, vous jugerez par vous-même. Quand aux moyens mis en œuvre, je n'en ai aucune idée. A vous d'enquêter, au fond c'est votre travail ! Mais cela me semble bien secondaire : est-il indispensable de connaître la mécanique pour utiliser une voiture ?
Alter se frotta les mains, excité à la perspective de ne pas rester sur la touche et d'entrer à nouveau dans l'action.
— Marché conclu ! Vous me donnez une nouvelle raison de croire en la vie.
— Je retrouve enfin le battant que vous étiez lorsque je suis arrivée sur Solera. Je ferrai le maximum pour vous « promouvoir ». Bien sûr, je crois qu'il vaut mieux ne pas en parler à Prita. Elle en a assez bavé avec cette histoire de prophète, et, vu son état, il est préférable qu'elle ne sache rien.
— Vous n'avez toujours pas confiance en elle ?
— Ce n'est pas cela : j'ai été très injuste en la jugeant sévèrement, et je m'en repend. Mais enfin, c'est une brave fille, qui n'aspire finalement qu'à une vie calme avec son bébé. Ce qu'elle a connu auprès du prophète l'a dépassée et elle a essayé de survivre avec ses armes à elle.
— Et maintenant ?
— Je vous ai déjà dit que je souhaitais que nos chemins se croisent à nouveau. Cela me paraît maintenant une nécessité. Je pense qu'à terme nous aurons un destin commun, et je suis sincèrement heureuse que ce soit avec vous.
— C'est avec impatience, que j'attendrai de vos nouvelles, et j'espère que nos « amis » consentirons à s'intéresser à moi. Après tout, ce sont eux qui m'ont mis en tête toutes ces idées. En attendant, je vais faire profil bas, et me fondre dans le paysage. Je dois aider Prita à mener à bien sa grossesse. C'est désormais mon objectif prioritaire.
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